Plombé par la montée en puissance des importations, l'unique producteur national de bois revêtu se bat pour une mesure de sauvegarde. En jeu, un marché estimé à 238 MDH, 600 emplois directs chez l'industriel national et plusieurs milliers d'emplois indirects dans tout l'écosystème. Le recours par les industriels marocains aux mesures de défense commerciale contre leurs concurrents importateurs n'en finit pas de défrayer la chronique. Après l'acier, le papier, le PVC, le bois contreplaqué, le textile, c'est au tour du bois revêtu de faire l'objet d'un différend commercial opposant la branche nationale aux importateurs. Tout commence le 31 juillet 2018. Une enquête a été ouverte par le département du commerce extérieur, à la demande de Cema bois de l'Atlas, le producteur national – unique – représentant la branche nationale du bois revêtu. La filiale du groupe Safari – fondé par Mohammed Karim Lamrani – a envoyé une requête après avoir estimé que toutes les conditions sont réunies pour l'activation d'une mesure de sauvegarde, «suite à l'accroissement massif des importations lui causant un dommage». «Cela fait presque deux ans que nous préparons le dossier de notre requête», nous indique, Ali Fassi Fihri, directeur général de Cema-bois. Quelques mois après, une audition publique a réuni, jeudi 28 février, les protagonistes, et d'autres parties prenantes du secteur du bois. Assistées par des avocats et des experts spécialisés, les deux parties ont présenté leur argumentaire, chiffres et faits saillants à l'appui. Si le dernier mot reviendra aux équipes de division de la défense commerciale, suivant une démarche rigoureuse encadrée par la législation nationale et les accords de l'Organisation mondiale du commerce (OMC), il n'en demeure pas moins que l'impact sur le secteur du bois ne sera pas minime (voire les enjeux en chiffres). En cas d'activation d'une mesure de sauvegarde imposant des droits additionnels ou des restrictions quantitatives pour une durée de 4 ans, Cema bois de l'Atlas pourra freiner ce qu'elle qualifie de déferlante des importations turques et européennes. D'après la requête de la filiale du groupe Safari, les importations se sont accrues – en absolu – de 141% entre 2013 et 2017, et de 87% en relatif par rapport à la production nationale au cours de la même période. Un accroissement massif qui a causé, toujours selon le plaignant, un dommage grave se traduisant par une diminution importante de ses parts de marché, dégradation continue de sa profitabilité, de ses prix de vente et de l'emploi. En clair, le bouclier de protection lui permettrait de sauver son business. «Sur un chiffre d'affaires de 500 millions de DH, près de 20% provient de l'activité du bois revêtu alors que le reste est tiré essentiellement par le contreplaqué orienté à l'export et d'autres produits dérivés du bois», détaille Fassi Fihri. Cela sans compter les 170 emplois dédiés exclusivement à cette activité sur un effectif global de 600 personnes. Un seul producteur local Pour les importateurs, l'enjeu est tout aussi important. Une surtaxation des importations ou du moins leur limitation freinera à coup sûr la demande sur les produits étrangers. En clair, une grosse part de la consommation nationale estimée en valeur par des professionnels à 238 MDH est en jeu. Et comme souvent, les deux parties s'accusent mutuellement d'enfreindre les règles. Quelques jours avant l'audition, l'Association professionnelle des importateurs de bois au Maroc (APIBM) a fustigé, via un communiqué parvenu à La Vie éco, la demande de la sauvegarde. Pour les importateurs, Cema bois de l'Atlas ne produirait que 35% de la consommation nationale, dont la moitié proviendrait de panneaux bruts et revêtus par des intrants importés. Selon eux, le producteur national n'est pas en mesure de satisfaire la demande nationale aussi bien sur le plan qualitatif que quantitatif. «Les produits de la Cema bois et ceux de l'import ne sont pas en concurrence. Ils sont différents aussi bien qu'en termes de dimensions, de textures, de couleurs et de nuances. Chacun a sa clientèle et son créneau», soutient Abdelhamid Saouri, directeur général de Manorbois, une entreprise leader dans l'importation et la distribution de bois et dérivés. Interpellé par La Vie éco sur l'augmentation importante des importations, Abdelhamid Saouri estime que cette croissance étalée sur plus de cinq années est le résultat d'une évolution de la demande sur le marché du bois revêtu. Une évolution que Cema bois n'a pas pu suivre, à l'en croire. «La force des produits importés est qu'ils sont à la fois tendances, compétitifs et disponibles en plusieurs coloris et en plusieurs gammes. Leur façonnage est facile, d'autant plus que la livraison se fait dans les meilleurs délais», détaille M.Saouri. Le risque de pénurie réfuté Qu'en est-il des menaces de cet état de fait sur l'emploi et l'activité de l'industriel national ? «L'industrie du bois est à la fois faiblement intégrée et peu génératrice d'emplois», rétorque le patron de Manorbois, pour qui les emplois en aval sont beaucoup plus nombreux. Un aval constitué d'importateurs disposant de capacités logistiques, de distributeurs et d'artisans et de petits industriels dans les secteurs de l'ameublement et de la construction. Autres arguments évoqués par les importateurs : la protection du producteur créerait une pénurie sur le marché au niveau de l'aval du secteur (distribution et transformation) et un surenchérissement des importations. Pire encore, celle-ci pourrait, selon eux, booster le business des enseignes étrangères de l'ameublement, qui vendent du prêt à installer. «En somme, les conditions nécessaires pour l'activation de la sauvegarde ne sont pas réunies», conclut sur un ton confiant Abdelhamid Saouri. Une conclusion que seuls les enquêteurs du commerce extérieur sont en mesure de valider ou invalider dans les semaines, voire les mois à venir. Le dirigeant de Cema bois de l'Atlas balaye d'un revers de la main tous les arguments de ses adversaires. Pour lui, la société peut fournir 95% de la demande nationale, bien qu'elle ne produit actuellement que le tiers. Exit donc le risque de pénurie. «Comme dans toutes les industries, nos capacités industrielles sont sous-utilisées», argue-t-il, ajoutant que la largeur et la diversité de l'offre des importateurs correspondent à des niches. La raison ? «Le marché marocain du bois revêtu est orienté prix», estime-t-il. Interrogé sur les capacités actuelles de Cema bois de l'Atlas en bois revêtu, Ali Fassi Fihri déclare que celles-ci sont confidentielles, ajoutant qu'elles ont été communiquées au département, qui statuera en fonction de cette donne. Quid du risque de glissement de la demande vers les enseignes de l'ameublement ? «Il n'en est rien. Etant l'unique industriel du pays, nous jouons un rôle de régulateur du marché et un garant de la disponibilité du bois revêtu», insiste le patron de Cema bois. Affaire à suivre. [tabs] [tab title="Le bois revêtu en chiffres " id=""]Consommation nationale : 100 000 m3 / 6 à 7 millions de m2 Chiffres d'affaires du secteur : 300 MDH Chiffres d'affaires de l'industrie nationale : 130 MDH Emploi direct en amont industriel : 600 postes Emploi direct en aval commercial et de distribution : quelques milliers de postes Taux d'augmentation (relatif) des importations entre 2013 et 2017 : 87% Sources : Cema bois de l'Atlas et l'APIBM.[/tab] [tab title="Une mesure de sauvegarde, c'est quoi ?" id=""]Au sens de la législation en vigueur (loi n°15-09 relative aux mesures de défense commerciale) et aux accords de l'OMC, les importations d'un produit peuvent être soumises à des mesures de sauvegarde; s'il est déterminé que, par suite à l'évolution imprévue des circonstances : Ce produit fait l'objet d'un accroissement massif, dans l'absolu ou par rapport à la production nationale; Qu'il y a un dommage grave ou menace de dommage grave à la branche de production nationale de produits similaires ou directement concurrents au produit importé; Qu'il existe un lien de causalité, entre les importations objet de l'accroissement massif et le dommage ou la menace de dommage grave. Pour appliquer des mesures de sauvegarde, une enquête d'une durée maximale de douze mois, si les enquêteurs du département du commerce extérieur estime que la requête de la branche nationale est recevable. Dans certains cas, des mesures provisoires peuvent être appliquées en l'attente de fixation de mesures définitives.[/tab] [/tabs] A Lire aussi : Différend opposant Cema bois de l'Atlas aux importateurs : Trois questions à Jamal Mahrouch, Professeur à l'ENCG Kénitra.