Le code du travail ne contient aucune mention explicite à cette notion. Dans le contrat, elle est toujours limitée dans le temps et dans l'espace. Sur la place, les entreprises ne déposent généralement pas plainte pour non-respect de la clause de non-concurrence. Rares sont ceux qui consacrent toute leur vie professionnelle à une seule entreprise. Les salariés sont en effet souvent amenés à changer d'employeur, soit parce qu'ils y sont contraints, du fait d'un plan social, soit, tout simplement, parce qu'ils ont trouvé d'autres opportunités pour améliorer leur situation financière ou autre. Mais, dans la deuxième éventualité, le divorce n'est pas toujours signé de gaité de cœur, surtout si le salarié partant est très compétent, a été bien formé en interne ou est détenteur de secrets professionnels. Dans ces trois cas, le départ peut s'avérer encore plus désastreux pour l'employeur si le partant décide de rejoindre une entreprise du même secteur pour y exploiter son savoir-faire ou la faire bénéficier de l'expertise. Exemple, il y a quelques années, le départ d'un manager opérationnel de General Motors/Opel chez Wolskwagen avait défrayé la chronique en raison de la bataille qui avait opposé les deux constructeurs automobiles et du procès intenté à l'encontre de l'employé pour divulgation de secrets professionnels. Les entreprises ont peu de chance d'avoir gain de cause devant la justice Pour se prémunir contre ces mauvaises surprises, il est courant de voir des entreprises d'un même secteur conclure des codes déontologiques, sortes de «pactes de non-agression», pour s'interdire d'aller débaucher chez la concurrence. Pour ce qui est du Maroc, les banques avaient été les premières à instaurer, même de manière tacite, ce genre de pacte. Cependant, ces derniers mois, la mobilité au niveau des cadres a été telle que les établissements les plus touchés ont protesté en sourdine. Pour se protéger, la pratique la plus courante est d'insérer, dans le contrat de travail, une clause de non-concurrence. Il s'agit d'une disposition écrite dont l'objet est d'interdire explicitement à un ancien salarié, après son départ de l'entreprise, l'exercice d'une activité professionnelle concurrente qui porte atteinte aux intérêts de son ancien employeur. Si l'on reprend l'affaire Opel/ Wolkswagen, dont les répercussions, faut-il le souligner, dépassent très largement celles des mouvements courants de salariés, le but était que le salarié ne puisse pas faire un usage portant atteinte aux intérêts de son ancienne entreprise de toute l'expérience qu'il avait pu acquérir au sein de celle-ci pendant la durée de son contrat de travail. En somme, il s'agit pour l'employeur, qui aura formé son salarié à différentes techniques et méthodes de travail propres à l'entreprise, de se protéger contre une éventuelle concurrence du salarié après la rupture du contrat de travail qui les lient. Généralement, cette clause concerne les cadres supérieurs, détenant une expertise de l'entreprise, des secrets de fabrication d'un produit, une stratégie commerciale et marketing, un portefeuille clients important ou tout simplement des méthodes de travail. Dans de nombreux pays, la législation du travail ne fait pas directement référence à la clause de non-concurrence, mais définit un cadre général pour les relations contractuelles entre l'employeur et le salarié. C'est donc dans le contrat que l'employeur insère des clauses de sauvegarde. Il en va ainsi au Maroc, notamment dans le secteur bancaire. Pour Omar Benbada, conseiller en relations professionnelles, «cette disposition reste à l'appréciation de l'employeur. Elle constitue pour ce dernier un moyen d'éviter que ses bons éléments quittent subitement la société». En somme, elle a plus un effet dissuasif pour les cadres souhaitant aller voir ailleurs. Or, dans la pratique, aucune des deux parties ne respecte cette clause. Les entreprises ne tentent presque jamais d'engager une procédure judiciaire parce qu'elles ont très peu de chance d'avoir gain de cause devant un tribunal, ici comme ailleurs. Et pour cause, comme l'explique Mohammed Benouarrek, DRH dans une multinationale, «une telle clause est une limitation grave à la liberté de l'emploi pour le salarié». A défaut de preuves réelles de préjudice, la clause est déclarée nulle ou restreinte par le juge En France, par exemple, la jurisprudence a peu à peu délimité les contours des droits et obligations des parties, en l'absence de législation. Des arrêts de la Cour de cassation sont venus éclairer un certain nombre de zones d'ombres en déterminant explicitement les conditions de fond indispensables à la validité d'une clause de non-concurrence (voir pages suivantes du dossier). A défaut de preuves réelles de préjudice, la clause de non-concurence est en effet déclarée nulle ou restreinte par le juge. De l'extrait de plusieurs jugements, il ressort que la clause de non-concurrence doit être limitée dans le temps et l'espace. Du point de vue temporel, la durée dépasse très rarement deux ans. En France, par exemple, ce délai est fixé dans le cadre de conventions collectives. Cette limitation doit également tenir compte des fonctions exercées par le salarié et de ses possibilités d'exercer un autre métier. Il est par exemple aberrant d'interdire à un soudeur d'aller exercer son métier ailleurs, fût-ce chez un concurrent installé dans le même quartier. Généralement, si le salarié, de par sa spécialité professionnelle, sa formation et son expérience professionnelle, se trouve dans l'impossibilité d'exercer une activité conforme à ses qualifications, le juge se prononce en sa faveur. En Allemagne, on fixe même le niveau de salaire annuel en-dessous duquel toute clause de non-concurrence est frappée de nullité. Plus précisément, la clause ne doit pas porter atteinte à la liberté du travail du salarié. Généralement, pour éviter des revers, les entreprises prévoient dans le contrat des indemnisations pour que le salarié puisse supporter la «diète» sans trop de difficultés. Le montant de l'indemnité, en revanche, est laissé à la discrétion des deux parties. Mais, là aussi, il arrive très rarement que la clause soit respectée, aussi bien par l'employé que par l'employeur. Jurisprudence Exemple de deux plaintes traitées par les tribunaux français Il est presque impossible de trouver des cas traités par des tribunaux marocains en matière de clause de non-concurrence. En revanche, les exemples ne manquent pas en France. Nous en avons choisi deux pour mieux comprendre le raisonnement de la justice. Cas 1 L'histoire Un cadre travaillant comme VRP dans une entreprise. Son contrat de travail comportait une clause de non-concurrence qui lui interdisait, pendant deux ans, d'entrer au service d'une entreprise vendant des produits concurrents ou de s'intéresser, sous quelque forme que ce soit, à une entreprise ayant le même genre d'activité. Après quelques années de service, il démissionne et envisage d'acheter une société concurrente. Son ancien employeur l'accuse d'avoir violé son engagement. La décision Des actes préparatoires ne caractérisent pas la violation d'un engagement de non-concurrence et ne dispensent donc pas l'employeur de verser la contrepartie financière stipulée dans la clause (Cass. soc., 17 janvier 2006, n° 04-41.038). Dans cette affaire, la société avait poursuivi en justice son ancien directeur général, lui reprochant d'avoir organisé une future activité concurrentielle, notamment par une prise de contact avec des fournisseurs et la signature d'une promesse de vente d'une entreprise concurrente. Les juges du fond ont débouté l'entreprise, et la haute juridiction les a approuvés, considérant qu'il ne s'agissait que d'actes préparatoires, sans engagement définitif. La solution est classique : seule une violation avérée pendant la durée visée dans la clause constitue une faute privative de la contrepartie financière et peut être susceptible d'ouvrir droit à des dommages et intérêts. Ainsi la Cour de cassation a déjà jugé que « le fait pour un salarié d'avoir sollicité un emploi similaire auprès d'une société concurrente ne caractérise pas, à lui seul, une violation de la clause de non-concurrence » (Cass. soc., 12 mai 2004, n° 02-40.490, Bull. n° 133 ; Cass. soc., 13 janvier 1998, n° 95-41.467, Bull. n° 8). La démarche du salarié annonçait ou laissait supposer une transgression future de la clause, mais elle ne constituait pas en elle-même une violation de celle-ci. Le projet n'est donc en rien répréhensible. Même si l'ancien employé a signé une promesse de vente pendant la durée d'interdiction de non-concurrence, cette signature ne caractérise pas une violation de son engagement à l'égard de son ancien employeur. La conclusion du contrat de vente, en revanche, si elle était faite dans le délai d'engagement de la clause, permettrait à l'entreprise de poursuivre son salarié en justice. Cas 2 L'histoire Un salarié a démissionné de son entreprise. Son contrat de travail contenait une clause de non- concurrence lui interdisant d'exercer directement ou indirectement une activité concurrente, pendant deux ans, dans le département ainsi que dans trois départements limitrophes. Sa contrepartie financière était égale à un dixième du salaire brut perçu au mois de janvier de la dernière année d'activité au sein de la société durant le nombre de mois composant la période de non-concurrence. Cette contrepartie s'élevait à l'équivalent de 2,4 mois de salaire. Le salarié a contesté la validité de cette clause devant le Conseil des prud'hommes. Ce que disent les juges Une contrepartie financière dérisoire à la clause de non-concurrence contenue dans un contrat de travail équivaut à une absence de contrepartie. La clause de non-concurrence est alors illicite. Ce qu'il faut retenir Depuis un arrêt de la Cour de cassation du 10 juillet 2002, toute clause de non-concurrence doit prévoir une contrepartie financière au profit du salarié. La contrepartie financière est exigée sous peine de nullité de la clause. La contrepartie financière de la clause de non-concurrence ne doit pas être dérisoire. La clause respectée par le salarié étant jugée illicite, le salarié peut prétendre à l'indemnisation de son préjudice. Rien n'est précisé sur le montant de l'indemnisation d'une clause de non-concurrence, si ce n'est qu'il doit respecter le principe de proportionnalité. Le montant est modulé d'un salarié à l'autre en fonction de l'importance de la contrainte imposée. Le juge, de par son appréciation souveraine, détermine si le montant est ou non dérisoire. (Arrêt de la Chambre sociale de la Cour de cassation en date du 15 novembre 2006.)