Utilisée en temps de crise, de transition ou d'incertitude, la peur peut constituer un excellent stimulant. A trop forcer, elle risque de générer des conflits ou d'inhiber l'esprit d'initiative. Quand la peur est liée à l'histoire personnelle, un travail sur soi devient nécessaire. Depuis des années, les scientifiques aussi bien que les organisations non gouvernementales (ONG) ne cessent d'attirer l'attention des politiques et industriels sur les méfaits du réchauffement climatique. Mais, en dehors de déclarations de bonnes intentions ou d'actions sans réelle envergure, le problème n'a jamais été pris à bras le corps, surtout pas par les dirigeants des nations les plus polluantes de la planète. Qu'à cela ne tienne ! Al Gore, ancien vice-président des Etats-Unis, a trouvé le moyen de réveiller les consciences. Avec un documentaire qui fait froid dans le dos et montre concrètement les risques à court terme pour l'homme si des initiatives vigoureuses ne sont pas prises, il parcourt le monde et anime des conférences. Sa stratégie est simple : plutôt que de perdre son temps à sensibiliser, il faut faire jouer la peur. Et cela a l'air de payer : jamais le sujet n'a été autant étudié et analysé sous tous les angles pour pousser les pays les plus réticents à signer enfin le protocole de Kyoto. Cet exemple montre que la peur comme moyen de changer une situation peut s'avérer efficace. Quand les enjeux ne sont pas pris en compte, l'arme de la sanction peut être utile Et les managers ne diront pas le contraire. Pour nombre d'entre eux, il n'y a pas d'autre solution que de mettre la pression, d'exiger l'atteinte des objectifs, d'attirer l'attention des collaborateurs sur les risques de perte d'un marché ou sur l'agressivité de la concurrence… Les moins performants sont harcelés ou licenciés s'ils ne progressent pas tandis que les plus performants sont récompensés. Un collaborateur qui redoute de se retrouver sur le carreau essaiera forcément de rester en éveil par peur de compromettre son confort matériel ou d'affronter le regard des autres. On retrouve ici la théorie X de Mac Gregor selon laquelle l'être humain est paresseux et a besoin d'être dirigé et contrôlé avec fermeté pour donner le meilleur de lui-même. La peur comme «outil de motivation» est utilisée durant les périodes de transition, de crise ou d'incertitude. Dans certaines organisations, c'est quasiment la règle. Elle fait recette dans de nombreuses entreprises du textile, par exemple, et, de manière générale, partout ou la main d'œuvre est nombreuse et peu qualifiée. Il est vrai que, parfois, quand les enjeux ne sont pas bien compris, il n'y a d'autre choix que de brandir l'arme de la sanction pour atteindre les objectifs. Ne voit-on pas parfois des adeptes de la causette entre collègues se replonger dans leurs dossiers dès qu'elles sentent que le patron est là ? D'ailleurs, au plan individuel, qui, en se remémorant son enfance, ne comprend pas très bien, rétrospectivement, le sens et l'efficacité des menaces de correction proférées par les parents au cas où les devoirs n'auraient pas été faits ou les leçons apprises ? Cela ne signifie pas pour autant que l'on doive utiliser cette arme psychologique en permanence. Les effets pernicieux ne sont pas négligeables. La mise en garde d'Ahmed Al Motamassik, sociologue d'entreprise, est sans équivoque. «Ce type de gestion résulte d'une vision à court terme, isole terriblement le manager et se révèle, in fine, conflictuel», souligne-t-il. Naturellement, à force d'être mis sous pression, on risque de réagir négativement, de montrer de la résistance. Il s'agit dans ce cas du réveil d'un mécanisme qui sommeille en tout individu : l'auto-défense. Face au danger, l'homme (ou l'animal) résiste en cherchant des réponses à la situation – ce qui génère les conflits – ou bat en retraite ; c'est-à-dire qu'il se plie à la volonté du plus fort. Presque toujours, cette seconde situation est vécue dans la souffrance. Ce n'est pas pour rien que la notion de harcèlement moral, qui peut générer des conséquences physiques et psychologique désastreuses, a trouvé une grande place dans la réflexion sur la gestion des ressources humaines. L'amour-propre conduit parfois à se faire peur tout seul Toute personne qui vit dans la peur, dans l'entreprise ou ailleurs, perd ses repères. La crainte d'être contredit sans ménagement conduit à rechercher constamment la validation des autres dans tout ce qu'on fait, à perdre le sens de l'initiative. Idem pour la peur de l'échec qui pousse à remettre constamment au lendemain ce qu'on peut faire aujourd'hui, à choisir le statu quo, à rester dans sa zone de confort… De tels comportements sont contreproductifs dans le monde de l'entreprise et vont à l'opposé des discours rabâchés tous les jours par tous les grands patrons qui ne cessent de magnifier les collaborateurs créatifs et autonomes. On ne peut cependant mettre tous les avatars de la peur sur le compte d'un mode de management peut recommandable. Certaines personnes, par nature, se retrouvent souvent dans cette posture. Parfois, on a tout simplement peur de décevoir, de ne pas être à la hauteur. Et là on se «met la pression» tout seul. Si, dans le contexte de la crainte provoquée par un supérieur hiérarchique, la pression descend avec le changement d'attitude de ce dernier, seul l'individu peut trouver des réponses à son problème. Dans ce cas, la gestion de la peur relève d'une bonne compréhension de son environnement, de ses différentes problématiques. A en croire Khalid Derouan, contrôleur de gestion dans une multinationale, «on apprend à gérer et maîtriser cette crainte avec l'expérience». Tout est question d'affirmation et de confiance en soi. Quant à Khadija Bikri, responsable communication dans une société de services, elle a su vaincre sa peur du regard des autres en animant des séminaires de formation. «Lorsque nous sommes l'objet de l'attention des autres, il peut arriver que nous ayons peur de ne pas faire bonne impression. Mais tout s'enchaîne lorsqu'une bonne ambiance s'installe et que vous prenez du plaisir à communiquer», confie-t-elle. Bref, il s'agit d'un combat solitaire, mais que l'on peut gagner avec l'aide d'un coach et, pourquoi pas ?, du patron qui, en développant l'écoute, en mettant l'accent sur le côté réussite du salarié, et en promouvant une communication positive, peut atténuer ce sentiment inhibant ou, pourquoi pas, le faire disparaître. Avis de drh «La peur pousse à rester dans sa zone de confort» Abderrahmane Mokhtari Directeur des RH, du budget et des affaires générales au ministère de l'emploi «On peut ressentir de la peur dans différentes situations. Le plus souvent, on a peur du rejet ou de l'échec. Pour un manager, ce sentiment survient souvent quand il sent qu'il n'arrive pas à fédérer ses collaborateurs, qu'il n'a pas leur confiance ou celle de la hiérarchie. La peur vient aussi de l'incertitude. Chaque fois que l'on a peur, cela signifie qu'il y a quelque chose que l'on ne comprend pas, ou que l'on ne voit pas. Elle peut également être générée par notre milieu social, notre éducation. Ce sentiment perdure et se développe au fur et à mesure que nous grandissons. A l'origine, il y a souvent les critiques, avertissements ou reproches souvent dévastateurs des parents, même lorsque ces derniers sont animés des meilleures intentions. Ainsi, lorsqu'un enfant curieux entreprend des choses jugées dangereuses pour lui, ses parents le grondent et le punissent, créant en lui un blocage qui l'empêchera de prendre de nouvelles initiatives ou qui le fera douter de ses capacités. Devenu adulte, cela se traduira par la peur d'échouer, de prendre des risques, la peur de commettre une erreur, ou la peur de perdre. Cette peur de l'échec nous pousse à remettre constamment au lendemain ce que nous devons faire aujourd'hui. Elle nous pousse à rester dans notre zone de confort, en attendant que la chance nous sourie. Pourtant, l'échec n'est pas un drame. Les erreurs sont au contraire bénéfiques et enrichissantes pour la personne»