L'exécution de la Loi de finances est le moment où les analystes jugent concrètement l'efficacité de la politique économique d'un gouvernement et la justesse de ses choix en la matière. Entre efficacité économique et justice sociale, un gouvernement doit choisir, ne serait-ce qu'à court terme. Or, comme à l'accoutumée, nos projets de budgets prévoient la chose (justice sociale) et son contraire (efficacité économique) dans un pays aux ressources, somme toute, limitées. A final, on n'a ni l'un, ni l'autre. Un flou autour de la politique économique Dans son exposé des grandes lignes de la Loi de finances 2019, le ministre de l'économie et des finances a tracé les grandes priorités du gouvernement, à savoir éducation, santé, emploi et réduction des inégalités. En d'autres termes, on comprend que le gouvernement veut réaliser une politique de relance économique, tant les secteurs identifiés sont très consommateurs de dépenses publiques. Cela signifie, en l'absence d'augmentation d'impôts, une aggravation du déficit budgétaire et donc de l'endettement déjà à des seuils inquiétants, à moins que le ministre n'ait trouvé le moyen d'améliorer les prestations des secteurs visés à budget constant (et dans ce cas, il faut qu'il nous montre comment) ou qu'il compte prioriser ces secteurs au détriment d'autres (et dans ce cas, il faut qu'il nous les désigne). Or, on découvre dans le même projet de Loi de finances un objectif de déficit budgétaire de 3% du PIB et un souci de préserver les équilibres macroéconomiques. Mais en phase de mise en œuvre et face à toutes ces contradictions, le gouvernement est dans l'obligation de faire sauter tous les verrous. Pour financer ses engagements face à une grogne sociale de plus en plus virulente, il a dû augmenter les impôts, relancer le programme des privatisations et recourir à l'endettement. Tout cela est de nature à laisser filer le déficit budgétaire et donc à creuser davantage l'endettement qui commence à fleurter avec l'acceptable. Cette politique de relance aurait pu produire des effets positifs sur la croissance si elle devait bénéficier à notre tissu productif. Or, face au manque structurel de compétitivité de ce dernier, la politique économique adoptée par ce gouvernement calmera momentanément la grogne sociale, mais déséquilibrera durablement une économie encore en convalescence. A terme, on aura réussi l'exploit d'avoir une économie encore plus malade et des demandes sociales plus importantes. Il semblerait que le deuxième budget du gouvernement El Othmani veuille satisfaire tout le monde, ce qui revient à n'atteindre aucun objectif sérieux de politique économique. Face à l'essoufflement du modèle de prélèvement sur lequel s'appuie l'économie de ce pays, il ne nous restera dans quelques années que le recours aux dons étrangers. Une panne économique à l'horizon Une vive polémique avait enflé sur la destination d'un prêt de 500 millions de dollars octroyé par l'Arabie Saoudite en octobre 2015. Les uns avaient soutenu qu'il allait être utilisé pour payer les fonctionnaires, le ministre des finances de l'époque avait infirmé ces propos et précisé que ce prêt intervenait dans le cadre d'un accord avec l'Arabie Saoudite pour compenser un montant similaire réglé par le gouvernement pour honorer un emprunt contracté auprès du marché financier international en août 2017. Cette polémique avait montré la limite de toute notre politique économique. L'argument du ministre ne voulait-il pas simplement dire que nous contractons de nouvelles dettes pour payer les anciennes dettes ? Quelle est, dans ce cas, l'utilité de la politique de préservation des équilibres macroéconomiques, si après plusieurs années de cette politique de rigueur budgétaire, qui nous a causé une anémie de croissance, nous sommes réduits à emprunter pour payer nos dettes? L'objectif premier d'une politique de rigueur n'est-il pas de réduire le train de vie de l'Etat, au prix d'une panne de croissance, mais en vue de renforcer ses capacités à honorer, par ses propres moyens, ses engagements financiers ? Si nous ne sommes pas capables de générer suffisamment de croissance pour payer nos dettes, comment voulons-nous avoir les moyens de financer l'enseignement, la santé, l'emploi et les réductions des inégalités, tels qu'envisagés par la Loi de finances 2019 ? Aujourd'hui, nous sommes face au triste constat que notre économie est réellement en panne et que les beaux discours sur l'émergence ne résistent pas un instant à la dure réalité de nos performances. Non seulement notre croissance dépend de la générosité du ciel (pluie pour l'agriculture et soleil pour le tourisme), mais on est arrivés au point où elle n'est même plus capable d'assurer le minimum, à savoir financer, par ses propres recettes fiscales, le paiement de ses dettes. A l'échelle d'une entreprise quand ses flux d'exploitation n'arrivent plus à couvrir le service de ses dettes, elle est déclarée en faillite et tous les bailleurs de fonds finissent par la fuir. Cela fait plus de 34 ans, depuis le Programme d'ajustement structurel, que nous avons une fixation maladive sur la préservation des équilibres macroéconomiques, au prix d'un retard économique presque irrattrapable avec d'autres pays et d'une tension sociale insoutenable. Mais cette politique, en l'absence d'une véritable restructuration de notre tissu productif, est comme suivre un régime sans sport. C'est de la privation pure et simple. En 2017, M. Boussaid avait clairement démenti les informations selon lesquelles le prêt saoudien était destiné à payer les fonctionnaires, mais un prêt qui sert à payer un autre, n'est pas non plus une politique très rassurante ; et au train de nos performances économiques actuelles, les futurs prêts finiront bien par payer les fonctionnaires !