Vient de paraître aux Editions du Sirocco, l'oeuvre poétique d'Abdellatif Laâbi. Réunis en deux livres épais, préfacés par l'auteur et universitaire Khalid Lyamlahy, les textes du poète retracent un parcours créatif, parsemé de luttes, de prises de positions et d'engagement infaillible pour la liberté et les grandes valeurs humaines. «Abdellatif Laâbi, oeuvre poétique». C'est sous cet intitulé sobre que s'offre le double volume réunissant l'intégralité des textes du poète. Comme si l'on pouvait ou l'on devait en dire plus sur la couverture de l'œuvre de toute une vie. S'il avait été un autre, on se serait peut-être résolu à se pâmer de la musicalité ou des subtilités stylistiques de son phrasé. On aurait dédié plus de temps et de palabres qu'il n'en faut à s'extasier sur la forme, la versification ou la dimension lyrique des textes. Mais le fait est que la poésie d'Abdellatif Laâbi représente plus que des vers. Il s'agit du conte, à la fois particulier et universel, d'un engagement pour les grandes valeurs humaines. Il s'agit également d'un pan de l'histoire d'un Maroc qu'on n'a pas connu et de celui que nous vivons actuellement. Il s'agit finalement d'une empreinte indélébile qui dira l'homme d'aujourd'hui, ses forces et ses faiblesses, ses doutes et ses certitudes, ses misères et ses noblesses, à ceux de la postérité. Le premier volume réunit les textes parus entre le milieu des années 1960 et 1990. Le second des années 1990 à aujourd'hui. De poème en poème, on traverse la grande histoire comme celle d'un poète célébrant les idées révolutionnaires comme les miracles de la vie ordinaire. C'est cette fibre plus que jamais vivace que l'on a retrouvée lors des présentations de l'œuvre à la Bibliothèque nationale du Royaume à Rabat, le 11 octobre, et à la librairie Livremoi à Casablanca, le mercredi 17. Une vie de poésie Né en 1942, le petit Abdellatif a probablement contracté l'âme poète en dévalant les dédales tortueux de l'ancienne médina de Fès. Ces années d'insouciance n'ont pas échappé à la réalité oppressante d'un pouvoir de plus en plus accablant. Quand il participe à la création du théâtre universitaire marocain, à Rabat, il a déjà le verbe acéré. Il sait lancer une pique là où d'autres mitraillent, poignardent, déchiquettent. Juste et précis, il sait dire et faire mal au moyen de mots à la fois doux et émouvants, que crucifiant plus que quiconque. Quand avec un groupe de poètes et de peintres, il crée la revue Souffles, il réalise qu'il est sur le point de mettre en place une plateforme de débats autour des problèmes de la culture marocaine, mais aussi un modèle de rayonnement maghrébin reconnu par-delà les frontières des genres et des territoires. En effet, le trait émancipateur et l'engagement politique qui va de pair avec le contenu de la revue acquiert très vite un caractère universel dans lequel se reconnaissent des artistes et des intellectuels du monde. Lorsque adviennent les années de plomb, leurs honteuses arrestations et viles tortures, Abdellatif Laâbi continue à opposer son verbe à la cruauté du bourreau. Jamais affaibli, même dans l'isolement et l'absence de lumière, il continue à écrire et à réinventer le lexique de la liberté, durant ces huit années et demie qu'il a passées loin des siens, notamment de la compagne de sa lutte Jocelyne Laâbi. La verve et la ferveur de Laâbi ne se sont pas amoindries à sa libération. Bien au contraire, sa parole s'est démultipliée et ses poèmes se sont fortifiés de textes de tout genre, offrant à sa poésie un plus grand espace de diffusion. Si l'exil s'est moult fois proposé de sauver le poète du spleen, la nostalgie de ses engagements l'a toujours ramené à la terre de ses espoirs. Encore aujourd'hui, ses prises de paroles balancent entre accès d'optimisme et pics d'amertume, trahissant un cœur jeune, jamais flétri, jamais brisé, malgré les blessures et les désillusions.