85 milliards de DH d'impayés sur les chèques. 570 000 personnes physiques interdites d'émettre des chèques. Le manque de confiance des opérateurs a engendré le retour en force de la monnaie fiduciaire et des virements. Une centrale des chèques irréguliers opérationnelle début 2019. Grand dérapage des chèques sans provision! En 2017 encore, les incidents de paiement concernant ce moyen de paiement ont bondi de 4,4%, pour dépasser 2,9 millions de cas. Cette hausse confirme la tendance haussière de 2016 et 2015, années pendant lesquelles les chèques impayés non régularisés ont augmenté respectivement de 6,3% et 5,4%. Il faut dire que depuis 2012, les chèques sans provision sont en nette recrudescence, perturbant sérieusement la bonne marche des affaires, notamment dans les échanges inter-entreprises et les achats auprès des commerçants. Un chiffre donne le tournis : l'encours des chèques impayés dépasse aujourd'hui 85 milliards de DH, dont 78% détenus sur les personnes physiques. Dans cette population, le nombre d'interdits d'émission de chèques, également en hausse de 3,3%, dépasse 570 000 personnes. Sources internes à Bank Al-Maghrib, banquiers, commerçants et comptables de PME s'accordent à dire que le phénomène n'est pas près de s'estomper. Ils rapportent que les données du terrain indiquent que les incidents continuent d'augmenter. Un cadre à la direction générale d'une grande banque de la place confie qu'en 2018, chaque mois, environ 2000 personnes sont interdites de chéquier! Il informe en substance que la moyenne des montants rejetés est également en nette hausse, dépassant 28 000 DH. «Même si l'impayé sur chèque est entouré d'un cadre légal relevant du pénal, il est devenu de plus en plus toléré d'être répertorié client à incidents… car la majorité de clients concernés promet de régulariser sa situation pour pouvoir recouvrer le droit d'émettre des chèques de nouveau», explique le banquier qui informe que la pénalité de 5% ne dissuade pas assez ! Plus d'un million de cas portés devant la justice en 2017 Dans la communauté des commerçants, la crédibilité du chèque s'est nettement érodée en raison de la montée en flèche des rejets, notamment sur les deux dernières années. L'on se fie plus qu'au cash et aux virements pré-commande, surtout quand il s'agit d'un nouveau client. Un autre indicateur donne une idée claire de l'ampleur que prend cette forme de délinquance financière : le nombre d'affaires de chèques sans provision portées devant les juridictions correctionnelles a dépassé en 2017 un million de cas, en hausse d'environ 11% par rapport à 2016, selon des sources au ministère de la justice et des libertés. Sur les cinq dernières années, il augmente chaque année de 12% en moyenne. Ces affaires représentant 21% de l'activité des juridictions correctionnelles du pays et plus de 32% à Casablanca! Ce qui rajoute au degré de scepticisme et de doute entourant l'usage de ce moyen de paiement. En moyenne, plus que 10 000 oppositions ont été déclarées mensuellement par les banques en 2017 dont 98% pour motif de chèques volés ou perdus. De plus, chaque mois, près de 42 000 comptes sont clôturés par les banques. Tout cela porte un sacré coup à la réputation de ce moyen de paiement déjà en mal de crédibilité. Résultat : pour la première fois, le chèque perd sa place de premier moyen de paiement en nombre d'opérations. Il a cédé sa pôle position au profit du virement. En effet, la part des virements dans le nombre global des opérations réalisées s'est élevée à 32% suivi des chèques (27%) et des cartes (22%). Les prélèvements et les effets de commerce représentent respectivement 15% et 4% des échanges. En valeur, le chèque reste bien entendu premier, sachant qu'il est utilisé pour le règlement des transactions de montants élevés, notamment par les clients corporate. Un chiffre d'affaires de 2,5 MDH pour couvrir un impayé de 100 000 DH Pourtant, les autorités monétaires n'ont pas ménagé leurs efforts pour rétablir la confiance dans ce moyen de paiement dont la force est d'assurer la traçabilité des opérations commerciales. En 2015, l'institut d'émission avait serré la vis en publiant une circulaire pour permettre aux entreprises de mieux prendre la mesure du risque lié à un chèque à travers un service de centralisation des chèques irréguliers. La circulaire fixe les données que les banques doivent lui communiquer sur toute personne titulaire d'un compte bancaire. Elle précise que le service de centralisation des chèques irréguliers, relevant de BAM, met à la disposition des entreprises toutes les informations nécessaires pour leur permettre de vérifier si le chèque a été émis sur un compte clôturé, frappé d'indisponibilité ou sur un compte d'une personne interdite d'émettre des chèques. Les entreprises peuvent également vérifier si l'émetteur du chèque a fait l'objet d'une opposition de perte, vol ou utilisation frauduleuse ou falsification. Cette circulaire et autres actions des autorités et de BAM visent aussi à aider les entreprises, surtout les TPME, qui subissent de plein fouet les dégâts causés par la vague déferlante des chèques en bois. Les chèques impayés affectent en effet la trésorerie de l'entreprise, et ses fournisseurs par ricochet. Parfois, un gros chèque retourné impayé peut pousser le bénéficiaire à la faillite. Selon le simulateur de Coface, pour qu'une TPME compense un impayé de 100 000 DH, il faut qu'elle réalise un chiffre d'affaires additionnel de 2,5 MDH, sur la base d'un taux de marge de 4%. Un montant significatif, surtout dans ce contexte de morosité économique ! Des sources à la Confédération de la TPME confient que leur corporation a saisi à maintes reprises BAM et l'Exécutif pour trouver une solution aux pénalités des chèques impayés qui pèsent sur les entreprises souffrant de manque de liquidités. Une centrale d'information pour vérifier les chèques irréguliers début 2019 En attendant, on assiste à un retour forcé du cash. Selon les données de Bank Al-Maghrib, la monnaie en circulation dépasse 216 milliards de DH, en hausse de 7% par rapport à 2016. Par habitant, la circulation fiduciaire représente, en volume, 43 billets et 73 pièces. En valeur, elle s'élève à près de 6 300 DH. «Ce sont surtout les opérateurs de l'informel qui exigent le cash .Les entreprises structurées respectent la loi. D'ailleurs, la problématique des chèques impayés ne se pose pas à leur niveau», nuance un banquier. Sachant que, comme le rappellent les juristes, les commerçants n'ont absolument pas le droit de refuser le paiement par chèque en vertu de la législation en vigueur qui les contraint d'informer leurs clients de façon claire et apparente, et, au préalable, de la non-acceptation de ce mode de paiement. A défaut, ils s'exposent à un abus de droit qui, une fois établi, peut donner lieu à des dommages et intérêts. En dernier ressort, si le client ne dispose pas d'autres moyens de paiement, le commerçant doit malgré tout accepter le paiement par chèque. Quand il s'agit de transactions entre les commerçants, ces derniers sont obligés, selon l'article 306 du Code de commerce, de passer toutes les transactions dont le montant est supérieur à 10 000 DH par chèque barré ou par virement. Le non-respect de cette disposition expose les auteurs à une amende de 6% de la valeur payée, le créancier et le débiteur sont solidairement responsables du paiement de cette amende. Cela semble peu dissuasif et le dérapage continue de plus belle. [tabs][tab title ="Enième tentative pour restaurer la crédibilité du chèque"]Pour restaurer la crédibilité du chèque, la Banque centrale est en train de finaliser un chantier très attendu par le monde des affaires: un service de centralisation des chèques irréguliers (SCCI) qui sera accessible aux acteurs non financiers début 2019. Il s'agit d'une sorte de centrale d'information pour vérifier les chèques irréguliers dans les grandes villes avant sa généralisation à tout le territoire. Pour prévenir les incidents de paiement, l'institution a prévu un outil d'aide à la décision permettant aux entreprises et aux commerçants de minimiser le risque d'impayés suite à l'acceptation d'un chèque (les particuliers n'ont pas accès à cette base de données). Les entreprises auront accès aux informations telles que les comptes clôturés, les oppositions sur chèques, les faux chèques, les coordonnées bancaires des interdits multi-comptes, etc. Ces informations sont consultables à travers l'application web ou mobile. Les entreprises peuvent aussi vérifier les informations sur un chèque ou un compte par téléphone ou automatiquement à travers les TPE incluant des lecteurs de chèque. Concrètement, une entreprise se connecte au service et saisit le numéro du chèque ou du RIB pour vérifier les informations contenues dans la base de données. L'information sur le profil risque de la contrepartie lui est communiquée à travers un code couleur (vert, rouge, orange, ou blanc). Les tarifs de ce service ne dépasseront pas 10 DH par consultation. Les tarifs seront dégressifs en fonction du nombre des consultations.[/tab][/tabs]