Aucun des fabricants locaux de robinetterie n'a pu survivre au démantèlement douanier de 2001. Les carreleurs retiennent leur souffle en attendant la fin des mesures protectionnistes pour leur secteur, en novembre prochain Si des normes de qualité à l'importation ne sont pas établies, de nombreuses sociétés pourraient fermer leurs portes. Depuis le début du démantèlement des tarifs douaniers, dans le cadre du traité de libre-échange avec l'Union Européenne, en 2001, le paysage des industries de matériaux de construction a complètement changé. La fabrication de certains matériaux, comme la robinetterie, a carrément disparu, parce qu'incapable de concurrencer les produits importés à bas prix. D'autres segments sont gravement menacés, comme ceux des carreleurs et céramistes sanitaires. La Fédération des industries de matériaux de construction (FIMC) a beau crier au secours, le démantèlement total des tarifs douaniers, en 2012, risque de signer l'arrêt de mort de nombreuses sociétés, selon les professionnels. Un bien triste sort, car le Maroc dispose de tout ce dont il a besoin pour répondre aux besoins des nombreux chantiers de construction qui le parsèment. Ciment, brique, acier, béton, marbre, céramique, plâtre, sable et agrégats. «Le marché national peut pourtant répondre à 90% des besoins de l'acte de bâtir !», soutient David Toledano, président de la FIMC. De Sana Robinet, anciennement située à Benslimane, et de la Société nationale la robinetterie (SNR), ex-fabricant pour le compte de Jacob Delafon, il ne reste maintenant plus rien. La marchandise importée, chinoise notamment, a eu sur le marché l'effet d'un tsunami. A l'époque, un seul robinet «mélangeur» -, qui combine eau chaude et eau froide – de fabrication locale, pouvait se vendre entre 350 et 400 DH. Aujourd'hui, les importations bon marché proposent des ensembles de mélangeurs pour lavabo, bidet, bain et douche pour… 500 DH. «Cette industrie n'a plus aucune chance de se relever», tranche tristement M. Toledano. Les équipements importés sont fabriqués à base de zamac, un alliage de zinc, aluminium et magnésium, spécialement utilisé dans les produits de fonderie. L'industrie marocaine, elle, travaillait surtout avec le laiton (cuivre et zinc). Aucune mise à niveau du secteur n'avait été mise en place pour anticiper le coup et tenter d'adapter l'industrie. «Et aucune norme de qualité n'a été fixée au niveau des importations, comme c'est le cas en Europe», ajoute le président de la FIMC. Selon lui, l'Etat aurait pu protéger l'industrie nationale en exigeant, à titre d'exemple, que tous les robinets disposent d'un degré minimum d'étanchéité. Cela aurait permis d'éviter «la quasi-anarchie dans les importations», dit-il, et, peut-être aussi, sauvé quelques emplois. En fait, seul un irréductible a réussi à garder sa tête hors de l'eau. Installée à Tétouan, la robinetterie Marroqui Alfi continue à opérer, mais consacre une importante partie de son activité à l'assemblage de pièces importées. Les carreleurs sur la corde raide Les carreleurs, de leur côté, donnent l'impression d'attendre leur fin dans le couloir de la mort. La phase de «déprotection» de leurs produits, entamée depuis trois ans, prendra fin en novembre prochain. En effet, en 2005, Salah Eddine Mezouar, alors ministre de l'industrie et du commerce, avait décidé de recourir à la clause de sauvegarde, afin de donner un sursis à l'industrie du carrelage. Ainsi, les importations avaient été contingentées, et des surcoûts de droits de douane avaient été imposés à ceux qui dépassaient justement ce quota. C'est que le démantèlement a frappé fort, dès le départ : entre 2002 et 2003, les importations de carrelage sont passées de 1,5 million de m2 à… 13 millions! Aujourd'hui, grâce aux quotas, le chiffre s'est stabilisé à 10 millions, mais ce n'est que le calme qui précède la tempête. Les principaux pays exportateurs de carrelage vers le Maroc, soit l'Espagne et l'Italie, ont des capacités de production respectives de 600 et 570 millions de m2 par année. Or, ces pays ont récemment connu un ralentissement économique, et, devant un marché saturé, ont accumulé des stocks importants. «Aujourd'hui, l'Espagne, surtout, est prête à effectuer des opérations de liquidation vers le Maroc. Evidemment, cela aura pour effet de casser les prix, dès que le contingentement prendra fin», explique M. Toledano. Pourtant, les besoins annuels du Maroc sont estimés à environ 60 millions de m2, et pourraient être couverts à 75% par la production marocaine. Mais le prix de revient à la douane des produits italiens et espagnols tourne autour de 1 euro (11,20 DH), tandis que celui des carreaux marocains varie entre 3,50 euros (39,20 DH) et 4 euros (44,80 DH). Il n'est donc pas très difficile de prédire l'avenir. «Nous essayons de négocier une année de quota supplémentaire», soutient le président de la FIMC. Ce nouveau délai pourrait, entre autres, permettre à l'administration d'établir des normes précises quant à la qualité des importations. Les marbriers, céramistes, sanitaires et briquetiers ont besoin d'aide Autre produit menacé, même s'il est mondialement apprécié pour sa qualité, le carreau de marbre marocain. Non pas à cause d'une production insuffisante, mais simplement à cause du prix. Le m2 de marbre local se vend actuellement entre 300 et 450 DH. Mais le marché est inondé de produits importés, polis, découpés et prêts à poser, qui ne dépassent pas les 200 DH le m2 et, déjà, le pays importe 1 million de m2. Bien sûr, les producteurs locaux réclament, là aussi, l'imposition de normes claires. «Le marbre, ce n'est pas de la pierre taillée !», peste David Toledano. La fédération travaille justement sur un amendement de la loi 04-08, à ce sujet, mais le projet de loi est toujours au Secrétariat général du gouvernement, depuis 2003. L'industrie a aussi besoin de faire émerger de gros opérateurs, véritablement spécialisés dans l'extraction, qui pourraient tirer leur secteur vers le haut. Car le problème est que les opérateurs actuels engagent d'importants frais, mais écrèment les carrières sans procéder à une exploitation en profondeur. Les importations de céramiques sanitaires constituent aussi une énorme menace pour les fabricants marocains. Leur capacité de production annuelle est très importante: 2,5 millions de pièces, pour un marché qui en absorbe entre 1,2, et 1,5 million. Déjà en situation de surproduction, les opérateurs marocains ne doivent leur survie qu'à leur capacité d'exporter les surplus. «Je peux affirmer que sur les cinq fabricants nationaux, deux sont gravement menacés», avance le président de la FIMC, en répétant que seules des normes qualitatives pourront inverser la situation. Chez les briquetiers, on est évidemment à l'abri des marchés extérieurs, puisque personne n'importe de la brique. C'est plutôt l'informel, on le sait, qui ronge le secteur. «La proportion d'entrepreneurs structurés devrait être de 70%, et celle de l'informel de 30%. Or, c'est l'inverse qui s'applique à la situation actuelle», déplore M. Toledano. Bref, l'industrie des matériaux de construction (voir aussi encadré), qui brasse 30 milliards de DH de chiffre d'affaires annuel, et contribue au PIB à hauteur de 10%, a devant elle des jours incertains. La FIMC continue de travailler à l'élaboration d'un contrat-programme. Il faudra d'abord négocier une solide politique de l'énergie auprès de l'Etat, pour permettre aux fabricants de respirer un peu. A ce titre, il faut reprendre l'exemple des céramistes, dont les prix de vente ont stagné depuis les cinq dernières années, alors que le prix du propane est passé de 2 500 à… 9000 DH la tonne! Ensuite, le fer de lance de l'accord sera la normalisation qualitative des matériaux, notamment à travers le remaniement de la loi 04-08. Mais la fédération aimerait encore aller plus loin, par exemple en militant pour une législation spécialement dédiée aux importateurs. «En Tunisie, ces opérateurs sont soumis à des règles strictes. Ils doivent se munir d'une patente, disposer de locaux de stockage et de moyens de transport adéquats, etc. Ces critères contribuent à assurer la qualité des produits, et protègent par le fait même le marché local», raconte M. Toledano, en soulignant qu'il n'est pas tout à fait logique d'épargner cette rigueur aux importateurs, alors qu'on l'exige aux entrepreneurs. Il reste qu'à qualité égale, bien des produits locaux ne sont pas compétitifs face à la concurrence étrangère et, là, c'est l'intérêt du consommateur final qui doit primer.