La réalisation de la modernisation des institutions n'étant pas seulement l'affaire d'une révision des textes, mais la résultante d'une pratique politique. Depuis le tournant des années 70, le Maroc est en quête continue de la modernisation de ses institutions politiques. Le rendez-vous électoral du 7 octobre est l'occasion, pour les partis comme pour les citoyens, d'évaluer et d'apprécier le chemin parcouru et les dysfonctionnements qui ont entravé le saut qualitatif dans la démocratie. L'appréciation du changement politique renvoie nécessairement à une série de questions. Sommes-nous dans une phase de consolidation des acquis d'un processus de démocratisation des institutions ou sommes-nous en face d'un statu quo rénové qui tend à pérenniser le système ex-anté? Sommes-nous dans une période de régénération de comportements traditionnels et d'intérêts hostiles au changement ou sommes-nous en situation de volonté de modernisation des institutions et des mécanismes de décision politique ? La modernité institutionnelle, qu'elle s'exprime dans les intentions ou par des faits, constitue aujourd'hui un terrain d'interrogations à la mesure des ambiguïtés et des incertitudes qui se dissimulent derrière les pratiques des acteurs du système politique. Dans l'évaluation de ce changement, on ne peut s'attacher simplement aux discours des acteurs et à l'interprétation explicite ou implicite que font les protagonistes du système de leurs prérogatives constitutionnelles respectives. Un des aspects les plus marquants du processus de modernisation politique est le nombre impressionnant de chantiers des réformes institutionnelles : la Constitution, le nouveau cadre de réforme de l'administration territoriale, la justice, sans parler de l'énorme production de textes réglementant les libertés publiques, les champs politique et religieux. Certes, l'environnement de la gestion du pouvoir politique a beaucoup changé. Mais le paradoxe est que le changement des lois bute sur la résistance des acteurs à les intégrer dans leur conduite. La nouvelle architecture du système institutionnel définie par la Constitution annonçait un progrès vers plus d'équilibre dans l'exercice du pouvoir, l'esquisse d'une nouvelle pratique politique. Certes, le rôle des pouvoirs exécutif et législatif ont été reconfigurés, les règles de gouvernance ont été redéfinies. Toutefois, l'institution monarchique demeure l'acteur central du système, elle exerce son contrôle sur la production et la gestion des règles du jeu politique. Aussi, le gouvernement et les corps élus semblent faire partie d'une «machinerie institutionnelle», sans avoir d'emprise réelle sur les grandes décisions politiques. Au-delà de l'apparence d'un gouvernement qui décide et gère avec ses départements ministériels, son administration, les mécanismes du pouvoir réel n'ont pas connu de changement. La politique a fini par être perçue comme un instrument de promotion individuelle plus qu'une entreprise collective. La mobilisation n'était permise que dans la mesure où elle était descendante et contrôlée. La pratique du «containment» des libertés individuelles et publiques empêche les structures sociales de se défendre par rapport au contrôle de l'Etat. Certes, ces entraves à la modernisation institutionnelle reflètent les tensions que traverse notre société sous la pression des conflits d'intérêts déclarés ou larvés. Le processus de construction de l'Etat de droit subit indéniablement les effets de ces tensions, à la fois dans sa temporalité et dans son contenu. Il n'est pas non plus à l'abri d'un environnement régional imprégné par les questions de sécurité. Les entraves à la modernisation institutionnelle discréditent le gouvernement auprès des autres acteurs de la vie économique et sociale et portent atteinte à la conception même de la démocratie. Vers quelle modernité politique le Maroc peut-il aller si ses fondements institutionnels sont fragilisés, si les corps intermédiaires qui en constituent le tissu sont affaiblis ? Aujourd'hui, la dynamique de la modernisation institutionnelle est confrontée à des questions de fonds. Comment améliorer l'impact démocratique de la nouvelle Constitution ? Comment rendre la machine gouvernementale plus efficace dans un environnement de prise de décision caractérisé par d'importants chevauchements des centres de pouvoirs ? Comment renforcer la capacité de l'Administration à mettre en œuvre les réformes et à se départir de son commandement bureaucratique ? Comment faire en sorte que les réformes jouissent d'un appui politique soutenu de façon à surmonter les résistances au changement ? La clarification des rapports de l'Etat aux partis politiques est nécessaire pour que le lien entre autonomie et responsabilité dans les décisions publiques soit établi. La réalisation de la modernisation des institutions n'étant pas seulement l'affaire d'une révision des textes, mais la résultante d'une pratique politique.