Le Maroc entame une audacieuse réforme constitutionnelle. Elle incarne une volonté de changement en vue d'ancrer le royaume dans la modernité. Qu'elle émane d'aspirations citoyennes avérées ou de bouleversements caractérisant notre environnement tant régional qu'international, cette volonté de réforme augure d'une nouvelle ère. Elle ambitionne le renforcement de la pratique démocratique, afin d'en faire un des vecteurs importants du développement du pays. La réforme constitutionnelle annoncée rappelle les fondements et les vastes chantiers à entreprendre, à l'instar de la consolidation de l'Etat de droit, l'instauration d'une justice indépendante et la rationalisation des institutions... Certes, il est question d'un programme audacieux et historique, toutefois demeure une problématique de fond tributaire de la mise en œuvre et de l'efficience de ce projet à caractère multidimensionnel. La prise en compte de sa logique d'ensemble et de ses «incontournables» est cruciale. Et ce, dans le cadre d'une vision de société, à contours lisibles et à déclinaison exhaustive dans toutes ses composantes. En effet, le véritable défi est de parvenir à un modèle rassembleur qui puisse unir et fédérer les forces vives de la nation. Particulièrement, celles amenées à jouer le jeu de l'entière démocratie en se détournant de toute pratique atteignant la dignité, la justice et la paix sociale. Indubitablement, le succès d'une refonte institutionnelle ne dépend pas que de la bonne volonté du haut sommet de l'Etat ou de textes décrétés mais aussi de leur exécution, de l'implication des acteurs économiques, politiques et de ceux de la formation et de l'intégration sociale des citoyens. Généralement, dans les processus de démocratisation, la priorité est donnée aux libertés civiles et politiques alors que les problèmes d'égalité et de justice sociale sont relégués au second plan. Parvenir à mettre fin aux atteintes à certaines libertés, sans pouvoir garantir les droits fondamentaux d'une population exclue de toute participation sociale et du développement économique demeure, inévitablement, un véritable handicap. La réforme démocratique est irréversible. Souvent dans les premières phases des processus de démocratisation, les Etats tendent à privilégier la restauration des droits civils et politiques. Nouvellement acquis, ces droits sont une source de légitimité. Cependant, si les droits économiques et sociaux n'accompagnent pas cette restauration, l'enthousiasme initial s'efface, pour muer en foyers de tensions et d'instabilité sociale. Ainsi, il est important que l'esprit de la réforme tienne compte de la réduction des inégalités et de la pauvreté, de la nécessité d'amélioration de l'éducation, de la santé tout en permettant un accès généralisé à des conditions de vie digne. Les réformes ne peuvent aboutir sans cette «harmonie d'ensemble» garante de l'animation de la vie démocratique et de sa solvabilité. Elle se cristallise par des institutions crédibles et agissantes, par le non accaparement du pouvoir par des groupes restreints et «privilégiés». En effet, la «désincorporation» du pouvoir, qui est l'essence de la démocratie, exige que la conquête de celui-ci ne passe que par le recours à des élections transparentes, par un jeu d'alternance et de valorisation des principes de l'éthique et de la méritocratie. Par ailleurs, la définition des rôles de fonctionnement, le respect de la souveraineté des institutions, notamment celles du système judiciaire, du rôle et de la place de la justice dans la société sont incontournables. De même pour l'exécutif qui ne peut se concevoir sans élaboration et exécution de politiques publiques ; pour le Parlement composé d'élus de la nation, votant les lois et contrôlant l'exécution de ces mêmes politiques publiques... Comment aussi concevoir une démocratie entière et responsable sans rappeler cette notion du niveau de formation et d'intégration des citoyens dans le jeu démocratique ; sans relever cette question lancinante de l'existence de partis politiques autres que des instruments de conquête du pouvoir... du rôle d'une presse participant à la diffusion de la culture démocratique ; de l'émergence d'une élite contribuant à l'avancée de tous les secteurs de la vie sociale ? Effectivement, la réforme démocratique ne se conçoit pas, en termes d'aboutissement, sans préalables et sans conditions. Toutefois, elle demeure irréversible pour notre sérénité et pour notre évolution sociale. Elle s'installe quand «les ressources du pouvoir sont si largement réparties qu'aucun groupe n'a la capacité de supprimer ses adversaires ni de maintenir illégalement son hégémonie». Mounir Ferram Directeur de recherches et professeur universitaire.