Entre juin 2014 et juin 2016, l'Etat a procédé à environ 48 000 expropriations. La contestation de l'indemnisation reste le principal motif. La phase administrative, qui précède la phase judiciaire, ouvre des brèches aux avocats des expropriés pour contester la forme de la procédure. Qui dit dynamisme économique, dit multiplication des chantiers d'infrastructures et, de facto, appropriation par l'Etat de parcelles de terrains appartenant aux privés. Cette marche forcée pour le développement ne rejaillit pas seulement sur la vie quotidienne de particuliers, mais aussi sur l'activité judiciaire. «L'Etat s'enlise dans les litiges d'expropriation devant les tribunaux administratifs en raison des prix faibles qu'il fixe pour indemniser les expropriés. Ils sont revus à la hausse de manière quasi systématique et quelquefois disproportionnée par la justice. Le résultat est que les litiges sont de plus en plus nombreux et grossissent devant les tribunaux au fur et à mesure que les investissements d'infrastructures sont importants», explique Ahmed Taouh, avocat à la Cour. Et les chiffres lui donnent raison. La quasi-totalité des expropriations ayant eu lieu entre juin 2014 et juin 2016 (environ 48 000) sont en effet contentieuses : près de 80%. De toutes les manières, le passage devant le juge, même sans litige, est obligatoire. Il est cependant précédé par une enquête qui dure deux mois, et qui permet d'élaborer un projet de décret de déclaration d'utilité publique mentionnant les parcelles à exproprier. Une commission administrative d'évaluation estime ensuite le prix du terrain en tenant compte de ceux pratiqués dans le voisinage. Il sert de base à l'accord amiable avec l'exproprié ou pour la demande de prise de possession et de transfert de propriété au moment de la phase judiciaire. Cette phase comprend concrètement deux requêtes. La première passe devant le juge des référés et elle porte sur la demande de prise de possession du terrain. Elle ne peut être accordée que lorsque l'Administration a procédé à la consignation ou au versement de l'indemnisation d'expropriation sur la base du prix fixé par la commission d'évaluation. La deuxième requête est celle faite auprès du juge d'expropriation pour le transfert de propriété et la fixation des indemnités définitives. C'est cette décision qui est susceptible d'appel. Globalement, la procédure devrait durer en moyenne entre 8 et 10 mois. Mais, dans la pratique, en raison souvent de l'insuffisance de réactivité, elle peut traîner sur des périodes pouvant atteindre 2 à 3 ans. 35% des expropriations contestées le sont pour vice de forme Mais la jurisprudence démontre que l'indemnisation n'est pas la seule cause de manœuvres dilatoires. «Quand le propriétaire ne souhaite pas céder son bien, les avocats ont plusieurs brèches pour repousser l'échéance, voire annuler la procédure», indique Mohamed Aït Malek, juge administratif. Les vices de forme concernent principalement l'enquête d'utilité publique. Un arrêté préfectoral doit préciser la durée de l'enquête, sa date, son objet ; la commission d'enquête ou l'enquêteur sont désignés par le président du tribunal administratif. Selon les magistrats, les fonctionnaires des autorités locales ne se montrent pas toujours aussi méticuleux sur le respect de ces règles de forme, et tombent entre les mains d'avocats qui annulent, sans trop d'effort, la procédure. Dans ce cas, l'autorité expropriante prend elle-même les devants et assiste les caïds dans l'aboutissement de la phase administrative. Les chiffres allant de juin 2014 à juin 2016 démontrent que les avocats sont de plus en plus alertes quant à cette faille administrative: alors que les contentieux concernant l'expropriation avaient pour principal motif l'indemnisation, le vice de forme est une cause de plus en plus récurrente d'annulation de la procédure (18% entre juin 2014 et juin 2015, 35% entre juin 2015 et juin 2016). [tabs][tab title ="La Cour de cassation admet le remboursement des frais techniques"]L'exproprié fait souvent appel à un conseil technique qui est plus à même que lui d'apprécier la pertinence du rapport d'évaluation de l'expert judiciaire. Revenant sur une jurisprudence antérieure par laquelle elle refusait systématiquement d'indemniser ce poste, la Cour de cassation a récemment admis, par un arrêt du 12 mai 2015, que les frais de conseil technique doivent être indemnisés pour autant qu'ils soient nécessaires à la procédure d'expropriation. Les magistrats de la Haute Cour arguent que «pour obtenir une juste indemnité, l'exproprié doit être à armes égales avec le pouvoir expropriant et bénéficier d'un procès équitable, ce qui exige l'assistance d'un conseil technique dont les frais constituent un dommage qui est la conséquence nécessaire de l'expropriation».[/tab][/tabs]