Pour sa première sortie médiatique depuis sa démission fracassante du Parti authenticité et modernité (PAM), cette membre fondatrice du parti de Fouad Ali El Himma se confie à Lakome.com. Quelles sont les raisons qui vous ont poussé à démissionner du PAM ? En premier lieu, je constate qu'on s'éloigne de plus en plus du projet initial du PAM, il y a vraiment un virage. S'il continue de fonctionner en l'absence totale de débat interne, le parti risque ne plus avoir de projet ni de vision. Le seul souci de certains dirigeants se limite aux élections, ce qui est très dangereux. Absence de tout contrôle sur les élus du parti Un acharnement, de certains conservateurs, sans précédent à l'égard des modernistes du parti. Pourquoi votre tentative de contrôler les élus à travers la commission d'éthique n'a pas abouti ? La commission d'éthique du parti que je préside a réussi au départ à recommander l'exclusion de 34 élus sur lesquels pesaient de fortes présomptions d'implication dans des affaires illicites. Cette décision s'est faite grâce au soutien de Fouad [Ali El Himma]. Après les élections de 2009, la commission a produit des rapports sur les pratiques de quelques élus du PAM, dont certains sont même membres du bureau national, et nous les avons remis au secrétaire général du parti. J'aurai souhaité qu'il prenne position et que ces recommandations soient prises en considération. Nos mémorandums et nos relances sont restés vains. Peut-on savoir qui sont les élus mis en cause par la commission d'éthique ? Je suis tenue par la confidentialité. Par contre, ces personnes mènent une campagne contre moi de l'intérieur du parti, avant et après ma démission. Est-ce que la relation entre le PAM et K. Rouissi c'est du passé ? Jusqu'à maintenant c'est le cas. Après ma démission, j'ai eu une réunion avec M. Biadillah, le SG du parti. Je lui ai précisé qu'il faut voir au-delà d'un départ d'une militante et discuter des points soulevés dans ma lettre de démission. Ces questions sont soulevés par Khadija Rouissi mais aussi par d'autres membres et croyez-moi nous sommes nombreux à attendre des réponses. S'agit-il des personnes issues de la «gauche» ? Pas seulement, il y a aussi des élus qui sont arrivés au parti d'autres horizons et qui ont les mêmes préoccupations que nous. Nous sommes nombreux à refuser de rabaisser le niveau du débat politique et laisser faire des pratiques indignes d'un parti. Ces pratiques existent-elles au PAM ? Oui, il y a ces agissements. Je cite le cas de Tahar Chakir membre du bureau national, très contesté par la population à El Jadida en raison des choix de candidats PAM dans cette ville lors des élections de 2009. Il s'est opposé à la discussion d'un rapport au bureau national, émis par une commission pourtant nommée par le secrétaire général. Le rapport recommandait l'exclusion du parti de certains membres qui menaient une campagne de dénigrement contre moi et d'autres militants du parti. Je trouve cela gravissime. On peut se demander, à juste titre si ce Monsieur agit de son propre chef. Cela me rappelle aussi les attaques dont nous étions l'objet lors des travaux de l'instance Equité et réconciliation (IER). Chaque fois que le pays est sur le point de trancher son choix vers la modernité, une levée de boucliers est immédiate de la part de ceux, nostalgiques d'une époque que nous voulons oublier. Cela nuit au pays et à ses institutions. Les conclusions de la commission interne mise en place pour enquêter sur les attaques dont vous étiez la cible sont-ils satisfaisantes ? Salah El Ouadie, Aziz Benazzouz, Mohamed Maâzouz et plusieurs autres ont été victimes d'attaques également. Les commanditaires de ces actes sont organisés et mènent une guerre sur Facebook contre nous. On a poussé le vice jusqu'à envoyer une personne pour adhérer à Bayt Al Hikma, et pouvoir ainsi nous saborder de l'intérieur (Nous détenons sa demande et son cv). La commission interne a appelé à l'exclusion de ces personnes. Si ces personnes ne sont pas exclues du PAM, cela voudra dire qu'ils contrôlent le parti et qu'il n'y a donc rien à y faire. Le parti se doit de tenir une conférence nationale pour exposer ses valeurs, élaborer son programme, le parti doit avoir une vision et orientations claires et doit se distinguer des autres partis qui persistent à rester dans le flou et qui croient qu'ils peuvent continuer à exister en se servant du populisme. Si ceci ne se fait pas aussi, les autres auront gagné. Ce jour-là, les modernistes devraient aller revoir leurs cartes, réfléchir et reconstruire je n'espère pas comme Sisyphe. A quel moment le PAM a dévié de son projet initial ? Les recommandations de la commission d'éthique, suite aux élections de 2009, avaient pris en considération que le parti est jeune et il est normal qu'il existe quelques dysfonctionnements mais auxquels il fallait faire face. Les petits dysfonctionnements ont pris de l'ampleur et rien n'a été fait. Les instances du parti n'ont pas pu fonctionner d'une façon normale, ce qui a laissé prospérer les « professionnels » des élections. Ces derniers ne peuvent être que du côté du conservatisme et c'est ainsi que des conservateurs au sein du parti ont pris petit à petit le dessus et essaient de prendre les commandes du PAM. Cette alliance entre ce que vous appelez les «extrêmes» du 20 février et les «conservateurs» du PAM semble être contre nature ? Le mouvement du 20 février a été manipulé par certains pour attaquer le PAM. Et en l'attaquant, ils ont affaibli le groupe des «modernistes» de ce parti. A ce moment, les « conservateurs » ont fait figure de rempart contre l'extrémisme. J'attire souvent l'attention des démocrates du mouvement du 20 février sur la dangerosité d'actions extrémistes se référant aux projets de société de Nahj ou d'Al Adl wa Ihassane . Cela nous a valu, une réapparition des conservateurs qui s'érigent en défenseur de la stabilité, les sorties médiatiques d'un Ziane, mobilisant ses troupes, insultant publiquement Abraham Serfaty, ou annonçant les sommes perçues par les partis pour faire campagne pour ou contre le référendum. Ce sont des pratiques d'un autre temps. Comme femme réformiste, je crois, comme Spinoza, au changement par l'usage de la raison et à un projet démocratique et moderniste. Le 20 février est-il à l'origine de la crise du PAM ou bien cette situation existait bien avant ? Au 20 février, je dis : vous avez été manipulé. Les « conservateurs » tous partis confondus ont utilisé ce mouvement. Les pancartes de «Fouad dégage» et «PAM dégage» ont été commandées chez des imprimeurs bien payés. C'était une guerre contre les modernistes du PAM. Ceci est d'autant plus incompréhensible que ce parti n'a jamais gouverné… Sauf que pour le 20 février et une partie de la classe politique, le PAM représente le parti hégémonique proche de l'Etat à l'instar du l'ex-RCD tunisien ou de l'ex-PND égyptien… C'est faux et injuste de dire cela, car le Maroc n'est ni l'Egypte, ni la Tunisie. Faut-il rappeler tout le travail de l'IER, le rapport du cinquantenaire et les avancées en démocratie qui ont suivi ? La plupart des fondateurs du PAM ont œuvré pour la réconciliation au Maroc. J'ai travaillé sur les violations des droits de l'homme entre 1956 et 1960 et je suis contre le parti unique. C'est l'Istiqlal qui a défendu ce modèle pendant longtemps. Notre parti s'est créé pour lutter contre ces partis qui fonctionnent comme une zaouiya (confrérie) qui ont pour finalité de trouver des postes pour ses membres et leurs familles. Le courant conservateur n'a pas donné au 20 février les photos des dirigeants de ce parti mais plutôt ceux du PAM. J'ai un différend avec le PAM mais je reste objective, cette campagne est orchestrée. En même temps que les attaques extérieures au parti, certains veulent le miner de l'intérieur. Le retrait continu d'El Himma de la vie du parti contribue-t-il à affaiblir le PAM ? Fouad était un appui et il y a des personnes qui voulaient l'affaiblir pour qu'il ne soit plus ce soutien important. Il a toujours souffert de ces pratiques depuis l'IER. Cet homme charismatique a beaucoup de valeur. J'ai participé à la naissance du Mouvement de Tous les Démocrates (MTD) et celui du PAM et toutes les décisions se prenaient de manière collégiale. Il n'y avait pas de rôle central d'une personne mais la centralité était au projet qui nous réunissait. Et chacun de nous avait des appréciations différentes de la situation politique. Votre passage au PAM est-il une erreur de parcours ? Non, c'est un choix sans regret et j'assume mes responsabilités. Mon propre sort n'est pas important devant les enjeux que doit affronter notre pays, Je continue, avec tous les démocrates, de mener un combat contre le conservatisme au sens large du terme. Maintenant des gens cherchent à me tuer politiquement, comme c'est le cas du PJD qui publie cette semaine sur son site web de l'intox concernant des soi disant financements provenant d'Israël. La nouvelle constitution est-elle une défaite pour les modernistes ? Je ne crois pas que nous ayons totalement perdu. A Bayt Al Hikma nous avons présenté un mémorandum dont l'inscription de la liberté de croyance dans la nouvelle constitution. Sauf que des pseudos-modernistes, dont certains partis, n'ont pas osé mener le combat pensant -à tort- qu'une telle attitude leur ferait perdre les élections. Les pressions du PJD , du Mouvement unicité et réforme, appuyé par le silence et la complicité des autres composantes politiques, a donné la version finale de la constitution. Nous avons émis, en son temps, un communiqué clarifiant notre position.