Des représentants de trois tendances politiques différentes se sont retrouvés autour d'une table pour débattre sur les questions politiques du moment. Une conférence vidéo Lakome animée par Fouad Abdelmoumni. Le vendredi 06 septembre, Lakome a organisé une conférence vidéo sur l'actualité politique marocaine et les perspectives d'avenir pour le pays, qui sera bientôt diffusée en intégralité sur LakomeTV. Cette rencontre a connu la participation de trois universitaires représentants des sensibilités politiques différentes. Il s'agit de Omar Iharchane, membre du secrétariat général du cercle politique de Justice et spiritualité (J&S), Mohammed Sassi, membre du bureau politique du Parti socialiste unifié (PSU) et Abdelali Hamiddine, membre du secrétariat général du PJD. La conférence était animée par l'universitaire et l'acteur associatif Fouad Abdelmoumni. Le débat s'est articulé autour de trois axes : la place de l'institution royale sur la scène politique, la formation d'une nouvelle majorité gouvernementale et les récentes déclarations du Colonel Abdellah Kadiri, l'un des symboles des partis politiques de l'administration, et enfin les perspectives de l'avenir politique du pays. Un retour de la domination de l'institution royale Le débat s'est enclenché avec Omar Iharchane, qui considère les deux derniers discours royaux comme révélateurs de l'échec des aspirations attendues au lendemain de l'adoption de la Constitution de 2011, en ce sens que le roi demeure le représentant suprême et l'acteur principal du processus de prise de décision. A côté, d'autres acteurs secondaires chargés d'exécuter les volontés du roi. Selon Iharchane, c'est cette volonté royale qui gouverne le pays en s'affranchissant du reste des acteurs, à savoir le gouvernement, le parlement et les partis politiques. Iharchane, pense également que la sphère de la critique de l'institution royale et de ses discours commence à s'élargir de plus en plus au sein des milieux populaires et dans les réseaux sociaux. De son côté, Mohammed Sassi considère que les discours royaux prononcés après la constitution de 2011 confirment le caractère exécutif de la monarchie et s'accorde avec Iharchane pour considérer que la monarchie n'a besoin ni du gouvernement ni des partis politiques mais uniquement d'une administration pour exécuter ses décisions. En revanche, Abdelali Hamiddine a émis des réserves sur ce diagnostic qu'il juge réducteur. Selon lui, les récents discours royaux confirment l'orientation démocratique choisie par la monarchie. Pour Hamiddine, la question à se poser est quel est le meilleur moyen d'élaborer une offre politique à laquelle tout le monde peut participer avec l'institution royale, en sa qualité d'acteur politique principal, porteur d'un projet de réformes. Le point de vue de Hammidine a suscité l'étonnement de l'animateur du débat, Fouad Abdelmoumni, qui lui a alors demandé : «Comment pouvez-vous parler du caractère démocratique de la monarchie alors que la démocratie suppose des élections libres et la reddition des comptes ? Dans notre contexte marocain, celui qui domine la prise de décision n'est ni élu, ni responsable de ses actes». Benkirane, les déclarations de Kadiri et l'avenir de Benkirane II Sur cet axe du débat, c'est Mohammed Sassi qui a pris la parole en soutenant que le secrétaire général du PJD, Abdelillah Benkirane, a traversé 5 étapes durant ses deux années d'exercice à la tête du gouvernement. La première étape a été qualifiée d' «impulsive» en ce sens que Benkirane a lancé des promesses de réforme et de développement dans tous les sens, avant de passer à la seconde étape que Sassi qualifie d' «ajustement» au moment de la formation de son équipe gouvernementale après les résultats des élections du 25 novembre 2011. Par la suite, Benkirane est entré dans une troisième phase pour développer sa théorie du « soutien», c'est-à-dire soutenir le roi pour gérer son propre agenda. Pour Sassi, le gouvernement Benkirane ressemble actuellement à un gouvernement de gestion des affaires courantes. Enfin, la cinquième étape qui se profile est celle de l'entrée prochaine de Mezouar au gouvernement, une phase où Benkirane et son parti ne seront plus que des participants au gouvernement au lieu d'être les leaders de la majorité, comme ils l'étaient auparavant. Selon Sassi, les nouveaux alliés se préoccuperont d'exécuter l'agenda royal et leurs deux projets supposés contradictoires ne feront plus qu'un. Pour réagir à ce constat, Hammidine affirme que son parti est obligé de conclure des alliances avec les partis politiques existants en l'absence de lois électorales permettant l'obtention d'une majorité au parlement, en précisant toutefois qu'il aurait préféré s'allier à l'USFP ou le PSU si ce dernier avait choisi de participer aux dernières législatives. Iharchane estime de son côté qu'une alliance avec le RNI constituerait pour le PJD une «catastrophe» qui exprimera à quel point Benkirane ne pense qu'à réussir ce remaniement au détriment des réformes promises. Selon Iharchane, le gouvernement Benkirane est responsable de sa situation politique actuelle car elle s'est présentée comme une alternative aux forces du mouvement du 20 février (M20F) qui militaient pour l'instauration d'un nouveau rapport de force en faveur des acteurs du changement dans leur lutte contre le système politique. Les déclarations de Abdellah Kadiri Les invités ont également commenté les récentes déclarations de l'ancien colonel Abdellah Kadiri sur les colonnes du quotidien Al Massae et dans lesquels il annonce que Hassan II aurait fait exécuter d'innocents officiers dans les rangs des FAR pendant la période des coups d'Etat qu'a connu le Maroc durant les années 70. Une autre déclaration a retenu l'attention de ce débat concernant la confidence faite par Fouad Ali El Himma au colonel sur la volonté du roi Mohammed VI de voir le PND intégrer le PAM pour former un grand parti. Pour Hamiddine, il s'agit de données relatives à la période transitoire que nous vivons, caractérisée par un conflit entre deux volontés : une volonté de réforme et une volonté de domination et d'autoritarisme. Hamiddine considère ces déclarations comme un sursaut de conscience, surtout lorsqu'elle émane d'une personne comme Kadiri. Pour Iharchane, les déclarations de Kadiri nous confrontent à l'ampleur des scandales du régime Hassan II, précisant qu'il ne s'agit que de l'arbre qui cache la forêt. Iharchane met en garde contre le retour de l'Etat policier avec ce que subissent les opposants et les activistes en termes d'atteinte à leur intégrité corporelle et à celle de leurs familles, à travers des procès sommaires et de fausses accusations, citant comme exemple les procès dirigés contre les jeunes du M20F, les menaces proférées contre la députée PJD, Amina Malainine et la journaliste Fatima Ifriqui ainsi que la campagne de diffamation menée contre Nadia Yassine, pour leur critique des choix politiques de l'Etat. Pour Sassi, les déclarations de Kadiri nous amènent à nous interroger sur les zones sombres du règne de Hassan II et sur le rôle des partis de l'administration, créés de toutes pièces pour meubler la scène politique. A ce propos, Sassi demande la mise à l'écart du jeu politique des responsables de ces partis. Les perspectives de l'avenir politique du pays Pour Hammidine, le Maroc serait en pleine ascension démocratique considérant que le constitution de 2011 a permis au pays de sortir de l'Etat autoritariste à l'Etat démocratique, l'Etat de droit et des institutions, même s'il souligne que cette dynamique n'est qu'à ses débuts. Hamiddine pense que des transformations démocratiques ont eu lieu au sein des partis politiques en coupant avec les pratiques du passé dominées par le culte du leader unique ou de la famille. Hamiddine note également un changement au sein de l'administration marocaine mais également chez les hommes d'affaires qui s'acheminent de plus en plus vers une économie compétitive et transparente. Iharchane, quant à lui pense que le pays peut enregistrer de meilleures performances que celles enregistrées durant les 50 dernières années dans différents domaines, politique, économique et social dans un contexte de changement interne et externe influencé par le printemps des peuples et la dynamique de la contestation. Pour y parvenir, Iharchane propose des initiatives pour réconcilier les marocain(e)s avec la politique et soutenir les forces du changement en développant leur action au sein des masses populaires. De son côté, Sassi pense que devant la réalité actuelle, le Maroc a le choix entre trois scénarios. Un : le scénario de l'explosion sociale sachant que l'Etat a toujours su éviter ce type d'issue. Deux : l'entrée dans une phase de stagnation et d'inertie que Sassi qualifie de « faiblesse générale » dans laquelle chacun fera ce que bon lui semble. Enfin : un changement qui demeurera inscrit dans la trajectoire et la dynamique du M20F. A ce titre, Sassi appelle à la formation d'un front constitué de laïcs et d'islamistes qui aspirent à un véritable changement démocratique.