Ne vous fiez pas aux images d'Epinal, distillées par l'office marocain du tourisme dans ses brochures pour touristes, en mal de dépaysement. La misère qui prévaut dans les villages de l'Atlas, n'a rien de bucolique. Elle est sans commune mesure avec ce que véhicule la littérature contemporaine, sauf à compulser les revues et visionner les reportages, relatant les malheurs de populations en proie aux guerres, aux catastrophes naturelles ou aux confiscations entreprises par les multinationales. La route qui relie Aït Hani à Rich, passe par Imider. Elle serpente au fond des gorges du Todgha, en calquant son cheminement sur celui de l'Oued du même nom, qui puise son hydrographie, dans les réservoirs inépuisables du Haut-Atlas. Partout où les hommes ont réussi à domestiquer l'eau, celle-ci le leur a rendu au centuple, faisant naître des tâches de verdure salvatrices, éblouissantes de beauté et d'harmonie, à l'ombre desquelles sont épanouis des chapelets de populations. Quelques ressources naturelles, exploitées à bon escient, auraient suffi à apporter un complément à ce bonheur, en permettant de financer la santé, l'éducation, la formation sportive, l'accès à la culture. En un mot, tout ce qui contribue à l'épanouissement et fait la fierté du citoyen, d'appartenir à une Nation. Imider avait un peu de tout cela : de l'eau, du soleil, une mine d'argent et une population courageuse, intelligente et besogneuse. Tout pour bien faire ! Sauf que, aux fourches caudines du colonialisme, ont succédé celles de l'ONA, par le pactole alléché. Ce géant spécialisé dans la confiscation, imite, à s'y méprendre, la technique du rapace, prélevant sa dîme, sur le cheptel, pour s'en aller la déchiqueter et la dévorer dans son nid. Encore que, contrairement à ces oiseaux magnifiques, qui contribuent, de façon souveraine, à l'équilibre du biotope dans lequel ils évoluent et ne tuent que pour leur subsistance, le groupe royal se révèle un prédateur impitoyable, boulimique, « collectionniste » et destructeur, appliquant à la région, des méthodes proprement mafieuses, consistant à ratisser, le plus largement possible, les richesses, pour les exfiltrer, ensuite, du pays, afin de les transformer en devises, stockées dans les banques occidentales, le coût des infrastructures, de la main-d'œuvre, des études, de la sécurité restant, comme de bien entendu, pour grande part, à la charge du contribuable marocain. Qui s'étonnera, dès lors, face à tant d'impunité, de voir le principal actionnaire de cette multinationale, caracoler en tête du hit-parade des fortunes mondiales ? Au village, qui semble avoir été oublié des hommes et des dieux, les femmes, surgies de leurs habitations vernaculaires décrépies, plantées au milieu de nulle part, racontent une histoire qui rappelle la saga hollywoodienne des années 70, créée par Larry Cohen, «Les envahisseurs», et où il est question d'eau raréfiée et polluée au mercure, d'hélicoptères virevoltant à basse altitude, de miliciens venus d'ailleurs, en voitures banalisées, enlever des citoyens, pour les conduire, manu militari, dans l'antre de la mine, pour les y battre, les torturer, menacer d'attenter à leur vie, à celle de leur famille ou à l'honneur de leurs filles, de leurs femmes ou celui de leurs sœurs. Une tragédie que contemplent des gendarmes débonnaires, mains dans les poches, cigarette au bec et arme au pied, quand ils n'y participent pas, en donnant, purement et simplement la chasse, jusque dans la montagne, aux hommes, venus protester, contre le détournement de l'eau du village, pour les besoin de la mine. Plusieurs femmes exhibent des hématomes insupportables, infligés par les matraques de nervis, venus appliquer, avec une sauvagerie inouïe, le châtiment décidé, dans le confort d'une exo-planète du côté de Rabat, à l'encontre de ces empêcheurs de rapiner en rond. «Nous ne nous arrêterons plus ! Qu'ils nous tuent ou qu'ils nous donnent nos droits !», crie l'une d'elles, paraphrasant, bien involontairement, ce que gronde le peuple, ailleurs, dans nos villes. D'autres évoquent le sort d'un des enfants d'Imider, Mustapha Ouchtoubane, ce héros de la résistance au pillage, tombé dans un traquenard judiciaire, aussi grossier que grotesque, pour avoir osé défier la holding royale. Autre tragédie, exprimée par d'autres mots, tout aussi pathétiques, tenus par les « Aït Hdiddous », enclavés dans leurs villages, à l'adresse des quelques militants de la société civile et du mouvement du 20 février, venus leur porter secours, dans le froid glacial, qui fendait la pierre, en janvier 2012: «Nous n'avons pas besoin d'argent, ni de couvertures. Nous avons besoin que l'on parle de notre cause !» Lors de son élection à la tête du Parti Socialiste Unifié, Nabila Mounib avait eu ces quelques mots: «J'ai une pensée toute particulière pour d'autres femmes qui ne me liront peut être jamais, car elles vivent en marge de la lecture et de la dignité. Des femmes qui sont exclues et pour lesquelles la survie reste un combat de tous les instants.» Sans doute pensait-elle à ces femmes d'Imider et d'ailleurs, qui livrent les poignants récits de leurs souffrances pour que jamais l'histoire ne les oublie, comme elle l'a fait, tant de fois, depuis l'arrivée de ces envahisseurs, venus d'une autre planète, avec pour destination le Maroc et ses richesses et pour but avoué, en faire leur univers !