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Au Maroc, une voie express vers le verdict «coupable»
Publié dans Lakome le 21 - 06 - 2013

On peut réformer les tribunaux de mille façons, mais les procès équitables ne sont possibles que si le pouvoir judiciaire fait valoir son rôle de surveillance des activités de la police et se montre moins empressé à accepter comme preuves des déclarations réfutées par leurs auteurs.
En 2010, la police marocaine a arrêté Taki Machdoufi à Laâyoune (Sahara occidental) et l'a interrogé pendant cinq jours sur les affrontements mortels qui venaient juste d'avoir lieu entre des manifestants sahraouis et des policiers. À chaque fois que ce militant sahraoui niait toute implication dans la violence, nous a-t-il déclaré, deux agents le frappaient au cou et à la tête. «Tu peux dire tout ce que tu veux», ont-ils ajouté d'après son récit. «De toute façon on va écrire ta déclaration comme bon nous semble.»
Une fois l'interrogatoire terminé, les policiers ont présenté à Machdoufi un procès-verbal de sa déclaration afin qu'il le signe. Il a demandé de pouvoir le lire. Mais au lieu de cela, un des agents s'est mis derrière lui, a attrapé sa main qui était menottée derrière son dos, et a appuyé son doigt sur un tampon encreur puis sur le procès-verbal, se souvient Machdoufi.
Tout comme ses co-accusés, Machdoufi n'a vu aucun avocat pendant sa garde à vue. Devant le tribunal, lui et les autres ont tous récusé leurs déclarations à la police; la plupart d'entre eux ont déclaré que les policiers les avaient torturés. Mais le tribunal n'a ordonné aucun examen médical pour vérifier ces allégations de violences, avant de condamner l'ensemble des 25 accusés pour attaques contre la police. Seule preuve contre eux : les aveux qu'ils contestaient. Après deux ans de prison, Machdoufi est désormais libre; mais ses co-accusés purgent des peines allant jusqu'à 30 ans de prison.
Pendant près de deux décennies, le Maroc a suivi une voie de réformes graduelles, faisant davantage de place à la critique et aux protestations. Certaines des plus graves violations des droits humains commises par les services de sécurité sous le règne de feu le roi Hassan II, telles que les disparitions forcées, ont disparu. L'Instance Equité et Réconciliation, nommée par le roi Mohammed VI, a permis au pays de reconnaître des crimes du passé et de dédommager des victimes, même si aucun responsable n'a été traduit en justice.
Pourtant la justice a été la mauvaise élève du processus de réforme. En effet un Etat qui n'est que partiellement réformé, tout en levant le pied sur la force brute comme outil de répression, aura tendance à compter davantage sur un pouvoir judiciaire soumis pour punir les opposants qui iraient trop loin.
Conscient du mécontentement public envers le système juridictionnel marocain, Mohammed VI a fait de la réforme de la justice le thème d'un discours à la nation de 2009. Quant à la constitution de 2011, elle présente de nombreux articles qui pourraient améliorer l'indépendance de la justice. Une haute instance du dialogue national sur la réforme de la justice, nommée par le roi, devrait bientôt révéler une « charte » pour la réforme du secteur conçue à la lumière de la nouvelle constitution.
On peut réformer les tribunaux de mille façons, mais les procès équitables ne sont possibles que si le pouvoir judiciaire fait valoir son rôle de surveillance des activités de la police et se montre moins empressé à accepter comme preuves des déclarations réfutées par leurs auteurs.
Human Rights Watch a observé plusieurs procès politiquement sensibles impliquant des activistes sahraouis, des manifestants et des gens accusés de complot terroriste. Nous nous sommes entretenus avec des dizaines d'avocats marocains sur la défense des clients impliqués dans les affaires politiquement sensibles. Le constat général était clair : une fois que les policiers ont obtenu un procès-verbal signé – quelles que soient la méthode employée, les formulations improbables qu'il contient ou la minceur du reste du dossier – l'accusé se trouve sur une voie express vers le verdict «coupable».
«Tout se passe comme si le procès s'était déjà tenu au poste de police», nous a déclaré un des avocats. «Il n'y a presque rien que vous puissiez faire au tribunal pour revenir sur votre déclaration.»
La loi marocaine offre aux accusés de solides protections en pénalisant la torture et en obligeant les juges à exclure toute preuve obtenue par «la violence ou la contrainte». Mais il y a d'autres lois qui doivent être réformées. Celle qui accorde aux accusés placés en garde à vue le droit de contacter un avocat devrait être améliorée pour garantir une rencontre plus rapide et face-à-face avec lui. Dans les affaires que nous avons étudiées, peu d'accusés ont vu un avocat avant que la police ait terminé leur interrogatoire et leur ait présenté un procès-verbal à signer.
Un autre problème vient du fait que le Code de procédure pénale veut que le tribunal considère les procès-verbaux préparés par la police comme faisant foi jusqu'à preuve du contraire. Les législateurs devraient amender cet article, qui s'applique seulement aux délits (passibles de moins de cinq ans de prison), et exiger du tribunal qu'il traite un procès-verbal de police comme n'importe quel autre élément de preuve, plutôt que de charger l'accusé lui-même de la tâche de le réfuter.
Réformer la justice implique non seulement de réviser les lois mais aussi de former et d'instruire les magistrats pour qu'ils réagissent immédiatement aux allégations de violences policières. Il est tout à fait envisageable que certains accusés disent la vérité quand ils clament avoir été torturés ou maltraités pour signer de fausses déclarations.
Un juge devrait interroger tout accusé qui émet ce type d'allégation sur ce qu'il a vécu en garde à vue, mais aussi, le cas échéant, ordonner un examen médical impartial et convoquer l'agent de police qui a pris la déclaration. L'importance d'une enquête se fait encore plus sentir lorsque toute l'affaire ne repose que sur des aveux contestés, sans aucun témoin à charge ni aucune preuve matérielle.
Il n'est pas toujours facile pour un juge de déterminer ce qu'il s'est réellement passé lorsqu'un accusé était seul avec la police. Mais les normes internationales sont une source de conseils sur la façon d'interroger les victimes supposées de torture afin d'établir leur crédibilité, même en l'absence de traces visibles. Les juges doivent accomplir leur devoir aux yeux de la loi et exclure toute preuve arrachée par «la violence ou la contrainte».
S'ils prenaient ce devoir au sérieux, les juges porteraient un grand coup non seulement en faveur de l'équité des procès mais aussi contre la torture et les mauvais traitements, et ils enverraient aux policiers un signal : ils doivent désormais soit recueillir leurs preuves par des moyens légaux, soit prendre le risque de voir le tribunal les rejeter.
Eric Goldstein est directeur adjoint de la division Moyen-Orient et Afrique du Nord à Human Rights Watch


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