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La tragédie rohingyas, ces pogroms qui ne disent pas leur nom
Publié dans Lakome le 21 - 05 - 2013

Le président birman Thein Sein a effectué hier une visite historique à la Maison-Blanche. L'occasion pour les défenseurs des droits de l"homme de rappeler les exactions subies par les Rohingyas, ces musulmans de Birmanie haïs par la population.
L'Arakan est une province birmane formée d'une bande de terre côtière et d'un chapelet d'îles, le tout étalé sur cinq cent kilomètres de long et une centaine de large et qui semble avoir été enfanté par les entrailles du Chittagong, au Bangladesh pour grandir en terre birmane.
Récemment rebaptisée Etat de Rakhine, cette magnifique région tournée vers le golfe du Bengale a tout emprunté aux paradis touristiques. Des plages de sable blanc aux forêts primaires en passant par le ciel azur et les eaux turquoises. Pourtant, ce qui s'y déroule ressemble à l'enfer qui a déjà englouti plus de la moitié de ses deux millions de rohingyas, ces musulmans de Birmanie, entre morts, disparus, déplacés et réfugiés.
Des conquêtes de l'Islam au colonialisme britannique
L'histoire commence au onzième siècle, lorsque les premiers navigateurs arabes atteignent le sous-continent indien. Ils fondent un chapelet de comptoirs commerciaux qui furent les prémices des premiers populations musulmanes. Les conquêtes de l'Islam feront le reste.
C'est le colonialisme britannique qui propagera au début du vingtième siècle, les populations musulmanes en Birmanie. Dans sa conquête du sud-est asiatique, il fera appel aux bengalis, pour tailler sa route à travers la jungle et bâtir son réseau routier et ferroviaire et les infrastructures de son empire.
Deux événements vont fonder la tragédie rohingya. Tout d'abord, la seconde guerre mondiale qui va inaugurer une première césure entre bouddhistes et musulmans. Alors que les premiers, prennent fait et cause pour l'envahisseur nippon qui partage leurs convictions religieuses et qu'ils perçoivent comme leur libérateur, au point qu'un gouvernement pro-japonais va régner sur le pays d'août 1943 à mars 1945. Les seconds appuient, au grand dam de la majorité de leurs compatriotes, la lutte des alliés contre les forces de l'Axe Berlin-Rome-Tokyo.
Puis, lorsque sonne l'heure des indépendances, les «Moujahidines» arakanais s'en remettent, dans les années 1950, aux autorités du Pakistan oriental, pour les aider à lutter contre leur oppresseur, le pouvoir birman. Une seconde «erreur d'appréciation» qui va définitivement asseoir la haine des bouddhistes à l'égard des musulmans. C'est à cette époque que le terme « Rohang», désignant l'Arakan, donne son nom aux rohingyas.
Exactions et chape de plomb
La suite n'est qu'une longue liste d'exactions, de persécutions et de massacres qui ne disent pas leur nom, tant la chape de plomb qui s'est abattue sur la Birmanie, depuis le coup d'Etat militaire de 1962, est hermétique et les informations en provenance du pays parcellaires. Et comme si un malheur ne suffisait pas, la séparation du Pakistan, en 1971, va signer le rejet des rohingyas par le Bangladesh indépendant. Celui-ci les suspectant d'une trop grande proximité avec Islamabad.
1982 signe la déchéance des rohingyas de leur nationalité birmane et un degré supplémentaire dans l'horreur. Jusqu'à ce jour du 11 septembre 2001, où les attentats qui endeuillent la ville de New York, donnent le signal de la curée, et transforment la tragédie en pogrom. Un moine de 45 ans, Ashin Wirathu, fonde le mouvement raciste «969» et appelle à boycotter les commerces musulmans et à leur préférer les magasins estampillés 969, tenus par des bouddhistes. Le moine raciste tient des discours où le populisme le dispute à l'absurde. Il reproche tout et son contraire aux musulmans. Leur violence, leur nationalité étrangère, leur génie du commerce, leur contrôle de l'économie birmane, leurs trahisons passées et futures, leur tenue vestimentaire, leur refus de se « birmaniser », leur connivence avec Al Qaida ou encore les prétendus viols collectifs dont ils se rendraient coupables sur les femmes bouddhistes, avant de conclure, dans l'une de ses interviews : «Maintenant, ils prennent le contrôle de nos partis politiques. Si ça continue, nous finirons comme l'Afghanistan ou l'Indonésie.»
Discours primaire qui emprunte au nazisme le même corpus idéologique nauséabond qui valut aux juifs et aux autres minorités les souffrances que l'on sait. Emprisonné en 2003, le moine profitant de l'amnistie de 2012, consécutive à la libéralisation du régime, peaufine ses discours incitant à la violence contre les musulmans pour mieux distiller l'épouvante parmi ses victimes.
De la tragédie aux pogroms
Fin mars 2013, au centre de la Birmanie, des émeutiers bouddhistes ont pendant trois jours, mis à feu et à sang, la ville de Meiktila, au futile prétexte d'un différend commercial. Un bilan établi par les autorités et dont on peut raisonnablement penser qu'il est largement minoré, fait état d'une quarantaine de morts et de neuf mille déplacés, un euphémisme pour désigner ceux des musulmans qui ont du prendre la fuite, pour échapper à la folie meurtrière de leurs compatriotes.
Quelques jours plus tard, le 22 avril 2013, dans un rapport accablant de cent cinquante trois (153) pages, intitulé, «Tout ce que vous pouvez faire, c'est prier: Crimes contre l'humanité et nettoyage ethnique visant les musulmans rohingyas dans l'Etat birman d'Arakan », Human Right Watch (HRW) décrit, documents, photos, et images satellitaires à l'appui, des scènes insoutenables, au cours desquelles des villages entiers ont été rasés et leurs populations musulmanes massacrées en juin, puis en octobre 2012, par les arakanais bouddhistes, tandis que les forces de sécurité assistaient, sans intervenir, quand elles ne prêtaient pas main forte aux assaillants.
L'organisation dit posséder des preuves de l'existence de quatre fosses communes, dans l'Etat d'Arakan, trois datant des violences de juin 2012 et une datant du massacre d'octobre de la même année. « Les forces de sécurité auraient délibérément creusé ces fosses, afin d'entraver la recherche de responsabilités et la quête de justice en creusant des fosses communes, pour détruire des preuves de crimes. » déclare son responsable.
Ce n'est pas la première fois que l'organisation dénonce les crimes contre les rohingyas. En août 2012, dans un précédent rapport de cinquante-six (56) pages, intitulé « Le gouvernement aurait pu arrêter cela » elle accusait clairement les forces de sécurité birmanes d'avoir perpétré meurtres, viols et arrestations de masse à l'encontre des rohingyas.
Mais si la Birmanie est à mettre directement en cause dans ces pogroms, le Bangladesh voisin n'est pas en reste. Le pays rejette systématiquement à la mer tous les rohingyas, quand il ne pourchasse pas impitoyablement ceux d'entre eux qui ont réussi à débarquer clandestinement sur ses plages, la frontière terrestre étant, quant à elle, bouclée hermétiquement par les garde-frontières des deux pays qui n'hésitent pas à tirer à vue sur les fuyards.
Les plus chanceux parmi ces « Boat people » parviennent à trouver refuge en Thaïlande, en Indonésie ou en Australie où ils croupissent sans fin dans des camps de fortune.
Un Prix Nobel pour rien
Souci de ménager la fragile entreprise de libéralisation du régime ou crainte de s'aliéner ses coreligionnaires bouddhistes, Aung San Suu Kyi, la figure emblématique de la lutte contre la dictature birmane se tait. Un silence impardonnable au vu du massacre qui se poursuit.
En visite à New York en octobre 2012, la célèbre opposante et Prix Nobel de la paix, a stupéfait les observateurs, en expliquant qu'elle ne voulait «pas mettre d'huile sur le feu», avant d'ajouter : «Parfois vous avez le pouvoir, mais parfois vous ne l'avez pas. Quand vous pensez avoir le pouvoir de dominer les autres, c'est une solution qui n'est pas pérenne.»
Au siège de son organisation, la Ligue nationale pour la démocratie, on conteste les termes de massacres et de nettoyage ethnique. Certains de ses membres ne se cachent pas pour suggérer la déportation des rohingyas, qualifiés d'étrangers ou de Bengalis vers un autre pays d'accueil. Ils opposent aux arguments des organisations des droits de l'homme, l'Etat de droit et la commission mise sur pied par la Birmanie, pour tirer au clair les circonstances à l'origine des événements. Une commission sitôt formée, sitôt dénoncée par Nurul Islam, Président de l'Arakan National Organisation (ARNO), pour sa partialité et sa propension à abriter des personnalités impliquées dans les massacres. «L'intention du gouvernement est claire: il veut exterminer notre communauté», dénonce le responsable depuis son exil londonien.
Aung San Suu Kyi garde sans doute à l'esprit le cas de ce moine bouddhiste, U Gambira, mis au ban de sa propre communauté, pour avoir pris la défense des musulmans. Un contestataire bien isolé, lorsqu'il accuse les autorités birmanes de se tenir derrière les massacres, pour diviser les communautés et faire oublier les réformes qu'elles doivent poursuivre.
Des "Pétromonarchies" bien silencieuses
En visite en Birmanie, le 19 novembre 2012, Barack Obama avait bien tenté de plaider la cause des rohingyas, dans un discours prononcé à l'Université de Yangon. Une visite qui n'a tenu aucune de ses promesses, d'autant que l'administration américaine alléchée par les affaires, s'est empressée, d'emboîter le pas, en juillet 2011, à l'Union européenne qui avait levé, dès avril de la même année, les sanctions contre la Birmanie, en récompense de sa dissolution de la junte, et des réformes entreprises, un mois auparavant. Un très mauvais signal qui conforte Rangoon dans le statut quo insupportable, dont semble se satisfaire le gouvernement birman.
L'Organisation de la Coopération islamique (OCI) réunie à Djibouti, le samedi précédant la visite du président américain, avait exhorté le Conseil de sécurité à sauver les rohingyas désignés par l'ONU, comme l'une des minorités les plus persécutées du monde. Mahmoud Ali Youssouf, ministre djiboutien des Affaires étrangères et président en exercice de l'OCI avait alors souhaité voir Barack Obama délivrer un message fort aux autorités birmanes. Il en aura, d'autant plus, été pour ses frais, que pris isolément, aucun des membres de l'Organisation islamique n'a jamais manifesté le moindre empressement à apporter un quelconque soutien à cette communauté, devenue à force d'indifférence, une sorte de peuple des mers navigant sur des embarcations de fortune, à la recherche d'une patrie, pendant que certains pays du Golfe injectent des centaines de millions de pétrodollars dans les économies occidentales, ou pour propager le wahhabisme et fomenter des troubles jihadistes, hors de la péninsule arabique. Interrogé par Lakome, sur la tragédie, la mission du Qatar auprès des nations Unies à Genève, n'a pas cru bon répondre.
Vous prendrez bien des Romingyas pour le dessert ?
Lundi 20 mai, le président birman, Thein Sein, rendait visite à Barack Obama. Un déplacement que les organisations de défense des droits de l'homme suivront avec beaucoup d'intérêt et qui s'annonce, d'ores et déjà placé sous le signe de la reprise des affaires. La Birmanie attendant des Etats-Unis qu'ils lèvent la deuxième batterie de sanctions qui lui avaient été imposées du temps de la junte militaire. L'administration américaine entend, quant à elle, se tailler une part du lion dans le colossal business qu'elle a laissé en friche pendant plusieurs décennies.
Il faut espérer qu'il restera tout de même, une petite place, à tout ce petit monde, pour évoquer, entre le dessert et le café, ces pogroms anti-musulmans qui refusent toujours de dire leur nom.


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