La décision du président de la Chambre des représentants, Rachid Talbi Alami, de saisir la Commission d'éthique du Parlement contre la députée Rim Chabat, ravive les tensions sur les limites de la liberté d'expression au sein de l'hémicycle. C'est une scène inhabituelle qui s'est jouée lundi au Parlement marocain. Lors de la séance plénière mensuelle dédiée au secteur du tourisme, la députée Rim Chabat, issue du Parti des forces démocratiques, s'est retrouvée au centre d'une tempête politique après avoir violemment critiqué la gestion gouvernementale des infrastructures touristiques dans la région de Fès-Meknès. Ses propos, jugés offensants à l'égard du chef du gouvernement Aziz Akhannouch et de la ministre du Tourisme, Fatim-Zahra Ammor, ont provoqué une réplique immédiate du président de la Chambre des représentants, Rachid Talbi Alami, qui l'a dénoncée devant la Commission d'éthique pour « violation des dispositions de la Constitution ». Derrière cette décision, une querelle juridique et politique. Rim Chabat a notamment mis en exergue la dégradation du transport urbain par bus à Fès, dénonçant une situation peu compatible avec les ambitions touristiques du Maroc. Son intervention a cependant été perçue comme une sortie de son champ de compétence, les questions liées aux transports relevant des collectivités locales et non du gouvernement central. Rachid Talbi Alami a ainsi invoqué les articles 135 et 141 de la Constitution pour justifier son rappel à l'ordre, avant de saisir officiellement la Commission d'éthique. Le renvoi de Rim Chabat devant la Commission d'éthique a immédiatement suscité des réactions contrastées au sein de l'hémicycle et au-delà. Certains élus dénoncent une tentative de museler l'opposition, estimant que la députée n'a fait qu'exercer son rôle de contrôle de l'action publique. D'autres y voient une instrumentalisation du droit constitutionnel pour rappeler les parlementaires à un strict respect des prérogatives institutionnelles. « Ce qui se passe est inquiétant. Nous sommes en train d'assister à une judiciarisation du débat parlementaire », commente un député sous couvert d'anonymat. « À ce rythme, poser des questions gênantes au gouvernement pourrait devenir une faute éthique », ajoute-t-il. D'autres voix, notamment dans les rangs de la majorité, considèrent cependant que la position du président de la Chambre est fondée. « Il y a des règles dans le fonctionnement institutionnel. Les députés ne peuvent pas s'affranchir des compétences établies par la Constitution », soutient un parlementaire proche du gouvernement. Cette controverse intervient alors que la question des transports publics, et en particulier des bus urbains, est devenue un sujet brûlant dans plusieurs grandes villes du pays. Le lendemain de l'épisode parlementaire, le ministre de l'Intérieur, Abdelouafi Laftit, a d'ailleurs abordé ce dossier devant la Chambre haute, confirmant les difficultés structurelles qui touchent le secteur. Selon lui, le gouvernement a pris conscience de l'urgence d'agir et a lancé un programme ambitieux de renouvellement du transport urbain, étalé sur la période 2025-2029. Avec un budget de 11 milliards de dirhams, ce plan vise à moderniser les réseaux de bus dans 37 collectivités locales, en mettant notamment l'accent sur l'achat de 3.746 nouveaux véhicules et sur l'introduction d'un modèle de gestion plus efficace. L'Etat prendra en charge l'acquisition et la maintenance des bus, tandis que le secteur privé assurera leur exploitation. Un volet numérique viendra compléter cette réforme : un système de suivi et de gestion des contrats sera mis en place pour garantir une meilleure qualité de service et une plus grande transparence dans la gestion des ressources publiques. L'accélération de cette réforme se traduit par des initiatives concrètes. Des appels d'offres ont d'ores et déjà été ouverts pour les villes de Fès, Marrakech, Tanger, Tétouan, Agadir et Benslimane, portant sur l'acquisition de 1.317 bus. Le calendrier est serré : les entreprises intéressées ont jusqu'au 15 mars pour soumettre leurs propositions, et la plupart des nouveaux véhicules devraient être opérationnels avant la fin de l'année. Pour les habitants des grandes agglomérations, ces annonces sont attendues avec impatience. À Fès, où Rim Chabat a précisément dénoncé la vétusté du réseau, les usagers déplorent un service défaillant, marqué par des retards fréquents, des véhicules surchargés et un manque de fiabilité général. « On ne peut pas parler de développement du tourisme si les transports en commun sont dans cet état », s'indigne un commerçant du centre-ville. « Les touristes qui viennent à Fès sont souvent choqués par l'état des bus. C'est une honte pour une ville au patrimoine aussi riche », ajoute-t-il. Une affaire symptomatique des tensions politiques Au-delà de la question des transports, l'affaire Rim Chabat illustre les tensions sous-jacentes qui agitent la vie politique marocaine. Dans un contexte où le gouvernement doit faire face à de nombreux défis économiques et sociaux, les voix dissidentes peinent parfois à se faire entendre sans susciter des réactions immédiates de l'exécutif. La Commission d'éthique tranchera dans les prochains jours sur le cas de la députée. Si elle est reconnue coupable d'une « violation de la Constitution », elle pourrait écoper d'un blâme officiel, voire d'une sanction plus sévère. Mais quelle que soit l'issue de cette affaire, elle aura révélé une fois de plus les tensions entre pouvoir et opposition, ainsi que les limites parfois floues entre critique légitime et transgression institutionnelle. A Fès, les habitants, eux, attendent des résultats concrets. Car au-delà des débats parlementaires, c'est bien la modernisation effective des infrastructures qui déterminera, à terme, l'avenir du tourisme et de la mobilité urbaine dans le pays.