L'immense tumulte soulevé par ce qui a été désigné comme le retrait du parti de l'Istiqlal du gouvernement s'est révélé être un simple pétard mouillé. Il est désormais clair, en effet, que ce retrait n'aura pas lieu, et ne peut avoir lieu, pour deux raisons essentielles. L'immense tumulte soulevé par ce qui a été désigné comme le retrait du parti de l'Istiqlal du gouvernement s'est révélé être un simple pétard mouillé. Il est désormais clair, en effet, que ce retrait n'aura pas lieu, et ne peut avoir lieu, pour deux raisons essentielles : 1/ Au Maroc, la participation, la démission individuelle ou le retrait collectif d'un gouvernement, unilatéralement, est chose impossible car ces actes ne sont pas des décisions souveraines que peuvent prendre les partis ou les ministres ; tout cela est encore entre les mains du roi qui continue encore de désigner, de révoquer, de donner sa bénédiction ou encore d'exprimer son courroux... Cependant, ce que cette « crise » aura réussi à montrer est l'aspect fort limité, voire tronqué, des réformes constitutionnelles qui ont coûté si cher et ont englouti tant d'argent du contribuable. Cette « crise » (les guillemets servent à montrer qu'elle est tout à fait artificielle) a établi le plus clairement du monde que le roi reste l'acteur principal et essentiel sur la scène politique nationale, et que son rôle dépasse celui de l'arbitre pour rester celui du décideur, placé à la tête de la pyramide de l'Etat, et jusques même au sein des partis. Ainsi, alors que Hamid Chabat , le Secrétaire général du parti de l'Istiqlal, critique Abdelilah Benkirane et va même plus loin que la critique en l'accusant d'être incapable d'assumer ses « attributions » de chef du gouvernement, en les abandonnant au roi, il agit exactement de même en s'abstenant d'employer ses « pouvoirs » de chef de l'Istiqlal pour laisser le roi agir dans son parti comme il l'entend ; cela est parfaitement patent suite à l'attitude de Chabat consistant à se dissimuler derrière un article de la constitution pour demander secours au palais en le laissant décider à sa place, en se substituant aux organes internes de l'Istiqlal, Conseil national, Comité exécutif et Secrétaire général compris, ce qui est assez curieux, en plus d'être étrange. Aussi, ce qui apparaît aujourd'hui est que la décision prise par le roi de laisser les ministres istiqlaliens en place est la seule effective, respectée et exécutée... de même que les autres décisions que pourrait prendre le monarque à son retour de son voyage privé seront les seules qui seront effectives, respectées et exécutées ; le parti convoquera alors, une fois encore, ses structures supposées décisionnelles, et tout le monde applaudira, entérinera et célébrera ces décisions. Cela signifie une chose, que l'attitude du parti et les orientations qu'il prend ne sont pas décidées au sein du parti et des organes de décision. 2/ Le parti de l'Istiqlal ne saurait exister en dehors du gouvernement, car c'est de sa présence au sein de l'Exécutif qu'il tire sa force et la mobilisation de ses « bases », qu'il assure sa « machine »électorale. La seule période de l'histoire récente du pays au cours de laquelle l'Istiqlal s'est trouvé en dehors du gouvernement et a dû subir les affres du désert de l'opposition (de la fin des années 80 jusqu'au gouvernement d'el Youssoufi en 1998), il a été affaibli, démoralisé et démobilisé, au point que cette dépression s'était parfaitement reflétée dans les résultats électoraux suivants ; et cette traversée du désert l'avait conduit à s'allier avec son rival qu'était (et qu'est encore et toujours) l'USFP, dans le cadre de ce qui a été appelé « koutla démocratique », afin de tenter de garder sa cohésion interne en attendant de sortir du désert et de retrouver des couleurs. Durant cette « crise », les discours qui ont été déroulés sont aussi loin qu'on peut l'être de la vérité, comme ceux qui parlent de la décision « démocratique » prise selon les procédures, démocratiques donc, appliquées au sein du parti. Ce qui est une grande forfaiture. En effet, la décision était déjà fin prête avant l'arrivée des membres du Conseil national, venus simplement l'applaudir, puis l'entériner. Ce que n'auront pas remarqué nombre d'observateurs est que cette décision, qui compte parmi les plus importantes prises dans l'histoire de l'Istiqlal, n'a nullement été votée mais est « passée » par acclamations, à l'unanimité bien évidemment, sachant que la veille de la réunion du Conseil national, plusieurs voix s'étaient pourtant élevées pour contester la décision de retrait du gouvernement, mais des voix dont le son a été masqué par la cacophonie de l'unanimité aussi acquise que soigneusement « travaillée », comme l'ont attesté ensuite plusieurs Istiqlaliens. Second discours servi : le parti, ses organes et leur mode de fonctionnement sont démocratiques. C'est là la plus grosse supercherie de ce parti qui s'est de tous temps présenté sous l'étiquette démocratique alors que, en fait et en réalité, l'histoire de l'Istiqlal a toujours été fondée sur les « allégeances »... allégeance au zaïm (leader) hier et « recherche des bonnes grâces » du Secrétaire général aujourd'hui. Quant aux organes du parti, et principalement son « parlement » ou Conseil national, il s'agit de l'instance au nom de laquelle on prend les grandes décisions, mais une instance qui est aussi éloignée que possible de toute nature démocratique. Ainsi, l'effectif de ce CN est inconnu, mais il avoisine les 1.000 personnes, c'est-à-dire plus que les membres du Comité Central du Parti communiste chinois, pourtant seul à gouverner ; de plus, ces membres ne sont pas vraiment élus mais plutôt cooptés par les inspecteurs du parti dans les régions, selon la technique du quota, laquelle technique est elle-même sujette à nombre de critères personnels, comme l'influence dont disposent les candidats, leurs fortunes, leurs relations avec l'autorité et leur loyauté à la direction du parti... Ce sont les membres de ce Conseil national qui ont la haute main sur les membres du Congrès, les congressistes, et qui les orientent vers là où ils doivent aller... Le Conseil national est donc le parti, sans prolongements populaires mais animé par des intérêts qui permettent d'acheter la loyauté à travers un réseau complexe de relations qui se ramifient jusque dans les coulisses de l'Etat et qui permettent d'utiliser les moyens, tous les moyens publics pour se renforcer et s'élargir. A partir de là, nous comprenons la nécessité vitale du parti à rester au sein du gouvernement, car c'est avec les ressources de l'Etat que le parti parvient à faire vivre et se perpétuer son réseau de relations, à les faire prospérer et à leur procurer toute l'aide morale et matérielle requise... Il reste cependant à répondre à la question de savoir pourquoi avoir provoqué cette « crise », car c'est de la réponse à cette question que l'on pourra comprendre ce qui se passe aujourd'hui sur la scène politique. Ainsi, si l'on comprend bien les déclarations et prises de positions de la direction du parti, et si l'on comprend bien aussi le sens profond de ses différentes notes adressées au chef du gouvernement, le parti de l'Istiqlal a « regimbé » pour les causes suivantes : Autoritarisme du chef de l'Exécutif, monopolisation à son niveau de toutes les grandes décisions, manque de pertinence de ces décisions et impopularité de – toujours – ces mêmes décisions. Or, ce qu'on ne dit pas et qui est la vérité vraie est que Chabat et ses amis et affidés ne veulent rien d'autre que redistribuer le « gâteau » gouvernemental afin de mieux en faire profiter les intérêts individuels et partisans. Mais Chabat n'est pas le précurseur dans ce type de comportements en cela que, déjà, son prédécesseur Abbas el Fassi avait été extrêmement acide dans ses critiques contre le gouvernement el Youssoufi auquel participait l'Istiqlal ; mais au premier remaniement, les cartes avaient été redistribuées, Abbas el Fassi s'était réservé une place au gouvernement (Emploi), puis s'était tu, définitivement, un silence qui dure aujourd'hui encore ! Or, j'ai toujours dit et je continue de dire que la désignation d'Abbas el Fassi à la tête du gouvernement en 2007 était en fait une punition collective infligée par le roi en réaction à la non-participation de 67% des inscrits sur les listes électorales (sans compter les non-inscrits) au scrutin législatif de 2007, qui aura été le plus ignoré de l'histoire des consultations au Maroc. Aussi, il suffit de jeter un œil sur l'histoire récente du parti de l'Istiqlal pour comprendre l'inanité des raisons avancées par sa direction pour justifier la pertinence de la dernière décision de retrait. L'Istiqlal est celui-là même qui a dirigé le gouvernement sortant, est son chef Abbas avait même affirmé haut et fort que son programme politique s'inspirait très profondément des « orientations royales » ! Nous n'avions alors entendu personne, ou presque, s'élever contre la très et trop faible personnalité du Premier ministre ; et avant le gouvernement Abbas el Fassi, celui-ci siégeait à l'Exécutif avec le strapontin quasi inutile qu'était un ministère d'Etat sans portefeuille, avec Driss Jettou comme Premier ministre désigné, et là encore, personne à l'Istiqlal n'avait contesté la chose dans cet Istiqlal qui pousse aujourd'hui des cris d'orfraie contre le chef d'un gouvernement supposé « élu », du moins par ceux qui ont été voter ce jour-là du 25 novembre 2011. Et n'oublions pas non plus que le parti qui se présente aujourd'hui comme un défenseur des chômeurs et un soutien du pouvoir d'achat des populations traîne derrière lui comme un boulet l'affaire Annajat dans laquelle 30.000 familles marocaines avaient été mises à rude épreuve, avec 6 suicides enregistrés, tout cela ayant été de la responsabilité de l'ancien Secrétaire général et de ses cadres travaillant au sein de l'ANAPEC (agence pour l'emploi et les compétences). Et puis autre chose encore... le parti de l'Istiqlal, qui accuse le chef du gouvernement de ne pas suffisamment lutter contre la corruption, voire d'en être incapable, est celui-là même qui compte dans ses rangs des personnes fortement suspectées d'activités douteuses (Yasmina Baddou, la ci-devant ministre de la Santé et son ancien Secrétaire général au ministère, tous les deux étant membres de l'actuel Comité exécutif istiqlalien), en plus de toutes les affaires et autres scandales brocardées par l'Instance de la défense de l'argent public, comme ce qui s'est produit sous l'ère Taoufiq Hjira (ancien ministre de l'Habitat) et son programme de Villes sans bidonvilles, Karim Ghellab (ancien ministre de l'Equipement) et ses marchés de radars. Ces deux anciens ministres sont restés en fonctions durant deux mandats successifs et ont laissé derrière une forte odeur de soufre dont personne ne parle aujourd'hui, et les voilà qui se dissimulent derrière leur chef de parti et qui se drapent de ses discours afin de mieux contrer tout malheur qui pourrait survenir et hanter leurs nuits. Il existe aussi d'autres personnes que le nouveau Secrétaire général a coopté au Comité exécutif au nom d'intérêts divers, comme leur influence et présence dans leurs régions, des influence et présence achetées contre bel argent aux origines douteuses (Hamdi Ould Rachid et Faouzi Benallal), des gens qui ont besoin en retour d'une protection politique ; ajoutons à tous ceux-là des gens sans véritable envergure qui voient l'actuel Secrétaire général comme leur bienfaiteur (Abdelkader el Kihel, Abdallah Bakkali, Adil Benhamza), en plus de gens qui ne servent ni ne desservent... et enfin, cette curieuse protection offerte par Chabat à Mohammed el Ferraâ, l'ancien patron de la Mutuelle générale des fonctionnaires publics, condamné en Instance et en Appel à la prison ferme mais qui est toujours libre comme l'air, au vu et au su de tout le monde, gouvernement compris. On peut expliquer en grande partie la crise actuelle que vit le pays, en plus de la paupérisation de la classe populaire et de l'immense extension de la corruption au sein de la société et de l'Etat, par l'accumulation des travers des anciens gouvernements, dont l'Istiqlal était une composante importante, voire dirigeante, quand il ne se contentait pas de les soutenir, sous la supervision directe du palais dont pas un seul istiqlalien n'a osé parler, un jour ou l'autre, quel que soit son rang, de sa corruption, de son autoritarisme et de son absolutisme. Avant-dernière question : quels sont les dessous de cette « crise »politique et sa relation avec la nouvelle direction de l'Istiqlal ? S'agit-il d'une initiative personnelle et individuelle du Secrétaire général de l'Istiqlal pour imposer sa personne et affirmer sa présence ? Ou bien, s'agit-il d'un acte du parti qui voudrait ainsi montrer sa totale disponibilité à servir de bras séculier contre le gouvernement, à conduire la bataille de l'intérieur même de ce gouvernement, par procuration à lui fournie par certaines personnes du pouvoir dont il voudrait s'assurer la bénédiction ? Ou bien encore, s'agit-il d'un prolongement du populisme que Chabat avait pris l'habitude d'employer, en plus de sa politique musclée qu'il avait maintes fois appliquée en qualité de chef du syndicat de l'Istiqlal, un comportement syndicaliste donc qu'il voudrait appliquer à la politique, maintenant qu'il est devenu, en plus d'être encore Secrétaire général de l'UGTM, Secrétaire général du parti de l'Istiqlal ? Ou, enfin, s'agit-il d'un mélange de tout cela, un mélange qui plonge l'homme dans la nasse où il se trouve aujourd'hui, et qui se résume dans la situation peu enviable de ne pas être tout à fait au gouvernement sans en être totalement sorti, un pied dans la majorité, un autre dans l'opposition, « le séant entre deux chaises »? Mais il reste la dernière – et la plus importante – question : Pourquoi l'Istiqlal a-t-il donc provoqué cette « crise », ou s'est-il vu contraint de le faire, et qui en est le principal bénéficiaire ? La réponse à la première partie de cette question doit être cherchée dans les déclarations de Chabat lui-même qui, quand sa langue devance sa pensée et le trahit, se met à accuser le PJD de faire la « tunisisation » ou « l'égyptisation » du Maroc, une nomenclature qui n'est pas de la création de l'Istiqlal mais émane directement d'un vocabulaire officiel bien antérieur au printemps arabe à Tunis et au Caire, et qui voyait dans tout ce qui était islamiste des « menaces » contre la « stabilité du pays » et des relents de « terrorisme ». On peut donc retenir de ces propos de Chabat que l'homme a compris, à moins qu'on lui ait fait comprendre, qu'en parlant ainsi, il servait le discours officiel ; et ce qui place le Secrétaire général dans cette position de faiblesse sont ses problèmes personnels (avec les rapports de la Cour des Comptes sur les anomalies financières de la gestion de la bonne ville de Fès dont il est le maire) ou ceux de ses enfants (deux de ses fils sont impliqués dans des affaires pénales de drogue et de falsification de documents officiels). Ce ne serait pas là la première fois que Chabat affiche sa totale disponibilité à travailler pour les gens qui le protègent... en effet, déjà, en 1991, lors des émeutes de la ville de Fès, Chabat avait été embastillé, en compagnie de ses pairs syndicalistes, puis relâché quelques jours plus tard, seul ; il avait dès lors été « récupéré » par l'autorité – en ce temps-là, elle portait le nom de Driss Basri – qui l'avait remis debout, avait redoré son blason puis renforcé son influence dans sa ville, dans son syndicat, dans son parti, afin de faire de lui ce qu'il est devenu aujourd'hui. La réponse à la seconde partie de la question est que, dans les faits, cette « crise » aura affaibli les deux premiers partis de la coalition gouvernementale : l'Istiqlal a montré l'étendue de sa capacité de manœuvres et de manipulation à travers les décisions qu'il prend, et le PJD montre à son tour qu'il accepte de continuer d'avancer avec une majorité brinquebalante et entravée de tous côtés, avec un gros caillou dans le soulier, répondant au nom de Chabat, avec lequel il doit marcher, souffrir mais marcher, épuisant ses forces et sa résistance jusqu'à écroulement... Quant au véritable et principal bénéficiaire, il s'agit du palais dont la « crise » aura montré l'influence et le « pressant besoin » de l'Etat de le voir maintenir cette influence pour assurer la « continuité » et la « stabilité », sans n'avoir aucune espèce de besoin des « partis » et de leurs querelles enfantines, dénuées du seuil minimum de la pensée et encore moins de la réflexion ! C'est cela aussi, le seul et vrai discours produit par le régime et repris à leur compte par la classe politique, de larges catégories des élites de la société et des intellectuels... un discours qui soutient que la monarchie doit rester telle qu'elle est au Maroc, exécutive, autoritaire et, si besoin est, répressive. Le grand perdant de cette mauvaise « comédie » est la politique dans son sens le plus noble. En effet, ce qui s'est produit et ce qui arrivera dans les prochains jours, ainsi que les conséquences et les réactions qui ne mangeront pas ne feront que creuser encore davantage le fossé existant entre la politique et la population, et contribuera à aggraver le manque de confiance dans ce qui reste de bien et de bon dans la politique. Et à côté du grand perdant, il y a bien évidemment le perdant suprême qui est ce pays qui se voit affligé de tels partis et de tels dirigeants de partis.