Une porte de prison s'est ouverte, ce vendredi 29 mars 2013, à zéro heure et dix minutes, sur deux hommes. L'un est un chanteur de rap contestataire, Mouad Belghouat, l'autre, un poète surdoué, Younes Belkhdim. Ils ont exécuté la totalité de leur peine. Un an pour le premier, huit mois pour le second. Jour pour jour, heure pour heure. Pour un pays qui se targue de grandir les âmes, rien n'est plus paradoxal et hideux que d'y voir régner cette insoutenable injustice qui ne fait grâce de rien à ceux qui apportent la contradiction au régime. Ni d'une journée de prison, ni d'un casier judiciaire, qu'on aura pris soin de charger jusqu'à la gueule, d'infamie, histoire de salir et de nier l'existence de prisonniers politiques, pendant que les délinquants et les criminels, se pavanent dans les palaces et roulent carrosse. Hier encore, on accordait à Khalid Alioua, auteur présumé de détournements de fonds et dilapidation des deniers publics, la liberté provisoire que l'on avait systématiquement refusée aux deux artistes. Hier encore, Yasmina Baddou et son époux Ali Fassi-Fihri, dont un faisceau concordant d'indices laisse supposer qu'ils auraient fait l'acquisition de deux appartements luxueux à paris, en totale infraction à la législation des changes, avec, de surcroît des fonds aux origines pour le moins douteuses, sinon délictueuses, se sont vus proposer un arrangement à minima, par l'Office des changes, au lieu de venir s'expliquer devant un juge. Mais au-delà de ce constat d'injustice criarde, quelle magnifique allégorie et quelle belle revanche que deux poètes, autodidactes, incarnent ainsi, un militantisme déterminé, contre un régime qui a prémédité la destruction de l'éducation nationale, pour mieux ourdir un analphabétisme de masse. Toutes les dictatures ont cédé à cet irrépressible besoin génétique, de s'en prendre aux artistes, ces penseurs qui, depuis des temps immémoriaux les ont tournés en dérision, et dénoncé leurs travers et leurs vicissitudes. Il en va de la tyrannie du Makhzen comme de toutes les autres tyrannies. Elles vivent, prospèrent et meurent de leurs ignominies avant d'être balayées par l'histoire, tandis que ceux qu'elles ont agonis de leurs crimes, continuent, longtemps après leur disparition, à façonner la pensée de leurs semblables et en inspirer la lutte. Et tant pis pour la dictature marocaine, si son acharnement proverbial fit un jour, rentrer dans l'Histoire deux poètes de la trempe de Mouad et Younès. L'histoire retiendra de cette journée de vendredi, que le Makhzen n'aura pas dérogé à la règle d'or qu'il s'est fixé de ne jamais officier que dans l'ombre. C'est même à cela qu'on reconnaît sa « patte », cette empreinte ignoble ! On connaissait sa préférence pour les procès fabriqués, les verdicts subreptices, les enlèvements nocturnes, la torture dans de sombres culs de basse-fosse et les meurtres souterrains. Le tout, administré par des gangsters encagoulés, afin que jamais leurs victimes ne puissent un jour, les désigner à la vindicte de la justice, des fois que celle-ci renouerait avec son impartialité et son honneur perdu. Voilà qu'à présent, « ils » se mettent à libérer nuitamment les militants. En catimini, en loucedé ! Après ça, il s'en trouvera toujours un, parmi les représentants du ministère public, du gouvernement ou des Droits de l'homme, pour venir nous expliquer, toute honte bue, qu'une journée s'achevant à minuit, les deux artistes ont vu leur peine s'éteindre à cette heure-là, d'où cette libération aux premières heures du jour. L'histoire retiendra également que le premier fait d'arme notable de Benkirane et sans doute le plus marquant de son misérable mandat aura été de se faire la main sur les militants du Vingt février et les indigné de « Tanger à Lagouira », selon l'expression consacrée, alors même qu'il déclarait, en pleine campagne électorale, comprendre que l'on puisse exprimer son indignation face à l'injustice. Si les démocrates se réjouissent de la libération des deux militants, il n'en demeure pas moins, que, comme l'a si bien souligné Mouad, dans sa conférence de presse, subir une année de prison n'est pas anodin. Alors, vous, les frères que j'aurais tant voulu avoir, si vous décidiez de vous taire, pour un moment, fût-il long, je le comprendrais, parce que tant des nôtres se sont tus, lorsqu'on vous traînait menottés, dans la saleté répugnante, d'un cachot à l'autre, sous la menace, les insultes et les coups. Et si vous choisissiez de ne plus jamais nous entendre, je respecterais également cette volonté, parce que tant des nôtres ont fait semblant de ne rien entendre des cris de vos souffrances, dans les geôles de Pharaon. Enfin, même si vos harangues sur la place publique ou sur la toile nous manqueront, longtemps, après que vous vous soyez tus, vos poèmes et vos chansons continueront de courir encore dans les rues et hanter les tyrans.