Le PJD s'attaque au monopole de la famille Sefrioui sur l'exploitation du ghassoul. Une bataille politique pour un secteur qui ne rapporte plus grand chose. Après l'épisode de la liste des détenteurs d'agréments de carrière, le ministre PJD de l'Equipement et des Transports, Aziz Rebbah, s'attaque désormais au ghassoul. Cette argile utilisée depuis plusieurs siècles par les familles marocaines est extraite des gisements de Ksabi Moulouya, dans la province de Boulemane, à 200 kilomètres de Fès. Elle est exploitée exclusivement par la famille Sefrioui depuis 1960. En janvier dernier, certains médias ont affirmé qu'Aziz Rebbah avait « suspendu » l'autorisation d'exploitation accordée à la famille Sefrioui. S'exprimant devant la Chambre des représentants le 29 janvier pour faire le point sur la réforme des carrières initiée par son ministère, Aziz Rebbah avait ainsi cité l'exemple « des carrières de ghassoul qui font désormais l'objet d'appels d'offre ouverts ». Sauf que le ghassoul ne dépend pas de ses services : il est considéré comme un minerai. Le cahier des charges imposé à la "Société du Ghassoul et dérivés Sefrioui" est suivi par le ministère de l'Energie et des Mines, dirigé par l'istiqalien Fouad Douiri. La société fait d'ailleurs appel aux laboratoires de l'ONHYM (Office national des hydrocarbures et des mines) pour effectuer les analyses chimiques. Pourquoi ce « monopole » des Sefrioui ? La famille Sefrioui exploite le ghassoul depuis 1960 sur la base d'autorisations renouvelées tous les dix ans. La commission en charge de l'adjudication regroupe les ministères de l'Intérieur et des Mines et la Direction des Domaines. Pourquoi cette procédure spéciale ? Les 21 115 hectares concernés par l'adjudication sont situés sur le domaine de l'Etat, qui a lui-même récupéré ces terres pendant le protectorat. L'exploitation des gisements de ghassoul de la Moulouya était réservée depuis 1786 aux chorfas Ksabi (dahir du sultan Sidi Mohammed Ben Abdellah), en contrepartie du versement de la moitié des redevances au trésor de l'Etat. En 1947, l'administration des domaines et les chorfas en ont confié l'exploitation à une société française, qui a ensuite cédé la place à la famille Sefrioui. Un dahir de 1960 réglemente jusqu'à aujourd'hui l'exploitation des gisements : les redevances versées par la société Sefrioui sont partagées à parts égales entre la commune rurale de Ksabi Moulouya et la Direction des Domaines. Elles avoisinent aujourd'hui au total 2 millions DH par an (1,8 million DH de loyer et une taxe de 30 DH par tonne extraite), selon la direction des Domaines, contactée par Lakome. Lors de la dernière adjudication, en 2003, la société Sefrioui était la seule candidate. Son autorisation décennale est arrivée à échéance le 31 janvier dernier. C'est à ce moment-là qu'Aziz Rebbah est monté au créneau pour revendiquer la compétence de son ministère sur les gisements de ghassoul, qu'il considère comme des carrières et non des mines. La législation actuelle n'est pas claire sur ce point : le dahir de 1960 parle seulement de « gisements ». Le nouveau plan minier de Douiri (attendu depuis plusieurs années) devrait préciser la nature du ghassoul mais en attendant, son collègue PJD a exigé – et obtenu – de siéger lui aussi au sein de la commission chargée de l'adjudication. Le processus d'attribution a alors été stoppé et la commission réfléchit actuellement à une refonte totale du système. L'objectif affiché est de diviser les 21 000 hectares en plusieurs lots ouverts à la concurrence. En attendant qu'une décision soit prise, la société Sefrioui s'est vue accorder un permis provisoire de 6 mois. Combien rapporte le ghassoul ? Malgré sa situation de monopole, la société Sefrioui semble avoir du mal à vendre son ghassoul. Le chiffre d'affaires déclaré de l'entreprise baisse chaque année. Il est passé de 7,8 millions DH en 2006 à 5,4 millions DH en 2011. Le résultat net est lui proche du zéro en 2011 alors que la valeur des stocks atteint désormais 67 millions de DH, selon les états de synthèse de l'entreprise déposés au greffe. Le ghassoul brut n'a pas beaucoup de valeur : les prix au détail à Casablanca varient entre 10 et 20 DH le kilo de mottes. Quant aux débouchés industriels, ils restent marginaux et concernent essentiellement les sociétés de cosmétique bio. « Le produit à du mal à se vendre, les stocks s'accumulent dans nos entrepôts de Fès. On en a au moins pour deux générations », affirme Saâd Sefrioui, le dirigeant de la société familiale, interrogé par Lakome. Quelle sera la viabilité économique des différents projets si le permis se retrouve éclaté en plusieurs lots ? « La commission se penche sur la question. Il faut bien baliser le terrain mais de toute façon c'est la loi du marché qui devra jouer », explique à Lakome une source proche du dossier. Le PJD de son côté continue d'occuper l'espace : le parti de Benkirane a demandé l'envoi d'une mission parlementaire à Missour, lors de la prochaine session ordinaire qui s'ouvre en avril, afin d'examiner sur place les conditions d'exploitation du ghassoul.