Traduction de l'arabe : Ahmed Benseddik La liste des nouveaux ambassadeurs récemment nommés soulève beaucoup de questions sur les critères de leur sélection, qui décide de leur choix et qui définit leurs missions. La réponse à ces questions est de nature à expliquer certaines défaillances de la diplomatie officielle avec toutes les conséquences sur les enjeux stratégiques du Maroc, son image, ses intérêts dans le monde, ainsi que les intérêts de la communauté marocaine à l'étranger. Sur le plan protocolaire, ces nouvelles nominations ont respecté les exigences prévues par la Constitution car elles ont eu lieu pendant le Conseil des ministres présidé par le roi à Fès. Le communiqué de la Cour royale a indiqué que le ministre des Affaires étrangères a proposé ces nominations au Chef du gouvernement, qui les a approuvées avant de les soumettre à son tour au roi avant que le Conseil des ministres ne les entérine, conformément aux dispositions du chapitre 49 de la Constitution. Mais, faut-il croire que nous sommes vraiment devant une initiative propre du ministre des Affaires étrangères Saad Eddine Othmani approuvée par le Chef du gouvernement Abdelilah Benkirane ? Si oui, quelles sont les critères de sélection qui ont guidé ces choix ? En vue de répondre à ces deux questions, ils faut d'abord parcourir la liste de ces ambassadeurs. Tout d'abord, à la tête de cette liste se trouve Chakib Benmoussa, ancien ministre de l'Intérieur et président du Conseil économique et social et environnemental, qui a été nommé ambassadeur à Paris, capitale ô combien vitale pour le régime marocain. C'est lorsque Benmoussa était ministre de l'Intérieur qu'ont été organisées les élections législatives de 2007, qui ont connu la plus grande fraude contre le PJD. Est-il sérieux que le duo Otmani-Benkirane proposent un homme qui a falsifié les élections contre leur parti et qui a expédié en prison un de leur militants, Maa El Ainain Al Abadela, dans le cadre de l'affaire dite Belliraj qui s'est avérée par la suite un coup tordu monté de toutes pièces pour punir certains politiciens et envoyer par la même occasion des messages d'intimidation à d'autres ? N'oublions pas non plus que le même Benmoussa, avant d'atterrir à la tête du ministère de l'intérieur, a dirigé la société de production de bière Les Brasseries du Maroc, qui était à l'époque une filiale de la Holding royale. C'est donc une pure créature du makhzen. Ensuite, nous trouvons sur la liste le nom de Saad Alami, l'ancien ministre Istiqlalien dont le bilan au ministère ainsi qu'au sein de son parti est totalement insipide. Sa nomination n'est par conséquent qu'une récompense pour son parti dont le pouvoir sait qu'il peut toujours compter sur ses services, en particulier quand il s'agit de nuire à ses adversaires. Est-ce pertinent de désigner ce personnage comme premier ambassadeur du Maroc auprès de l'Egypte de la révolution, l'Egypte des Frères musulmans ... Plus que cela, le quotidien « Al Massae » a révélé que la liste attribuée à Othmani comprend des ambassadeurs déjà partis à la retraite ou ayant atteint l'âge de la retraite, tels que Mohammed Larbi Mokhariq, ancien ambassadeur en Inde qui a été nommé au Brésil, Mustafa Salaheddine qui a été nommé au Pakistan et Abdesalam Baraka, ancien ministre et ancien ambassadeur, qui a été nommé ambassadeur en Arabie Saoudite. Ce dernier, qui est réputé être proche du parti «l'Union constitutionnelle», avait déjà été en 2004 relevé par le roi de ses fonctions d'ambassadeur au Maroc à Madrid, après l'aggravation des problèmes migratoire entre le Maroc et l'Espagne. Son mandat a aussi été marqué par la crise de l'ilot Leila qui a éclaté en 2002, et qui a failli se transformer en guerre entre Madrid et Rabat! Parmi la liste des retraités, on trouve aussi le nom de Mohammed Faraj Doukkali, qui a été nommé en Tunisie. Il est proche du parti Istiqlal et a une relation familiale avec son ancien secrétaire général Abbas El Fassi. Il a déjà été respectivement ambassadeur au Sultanat d'Oman, en Syrie et Egypte, où il est remplacé par un autre istiqlalien, Saad Alami. On constate que la liste des nouveaux ambassadeurs proposés officiellement par Othmani et Benkirane ne comporte aucun personnage proche du PJD ou de la mouvance islamiste dont il fait parti. C'est curieux, surtout si l'on se rappelle que cette tendance politique est aujourd'hui au pouvoir dans certains pays du printemps arabe. Est-ce un choix délibéré ou une décision assumée par Benkirane et son ministre des Affaires étrangères? Aussi bien à l'époque du gouvernement d'Abderrahmane Youssoufi que celle d'Abbas El Fassi, on a vu plusieurs nominations d'ambassadeurs proches de leurs partis respectifs. Ces nominations sont souvent motivées par la volonté du pouvoir de consoler, de récompenser voire de neutraliser tel ou tel camp ou personnalité au sein du parti. Ce mode de choix, qui ne fait pas grand cas de la compétence intrinsèque, se répercute sur la performance de la diplomatie marocaine. Ainsi, nous ne devons pas être surpris si on découvre que parmi les ambassadeurs, certains réussiront le tour de force d'être "pire" que l'actuel ministre de l'éducation nationale, qui a déjà servi comme ambassadeur du Maroc au Brésil et en Inde, et dont l'opinion publique a découvert les prestations calamiteuses. Le niveau médiocre, très médiocre de ses déclarations continue de provoquer la moquerie et la critique sur les sites des réseaux sociaux. Avant ces nouvelles nominations, la presse a évoqué l'expulsion par la Tunisie de l'ambassadeur du Maroc, Najib Zerouali qui appartient au parti RNI. Jusqu'à présent, le ministère des Affaires étrangères n'a pas communiqué à ce propos, alors que le magazine "Jeune Afrique" a écrit qu'il s'était immiscé dans les affaires intérieures de la Tunisie. Il y a aussi le scandale du vol du coffre fort de l'ambassadeur du Maroc à Moscou, qui s'est transformé en une affaire criminelle impliquant une dame proche de l'épouse de l'ambassadeur. Si des bijoux ont pu être dérobés de la chambre à coucher de l'ambassadeur de sa majesté, les documents diplomatiques sont-ils à l'abri ? Faut-il aussi citer le scandale du financement par la diplomatie marocaine de la construction d'un complexe touristique sur l'ile Dominique aux Caraïbes, pour un montant de 30 millions de dollars ? Est-ce cela la vocation du ministère des Affaires étrangères, alors que le pays cherche à attirer l'investissement étranger ? Avant les élections du 25 novembre 2011, le PJD a fait part de sa très grande colère quand la sensibilité islamiste a été systématiquement écartée lors des nominations au sein du CNDH (Conseil National des Droits de l'Homme), de la HACA (Haute Autorité pour la Communication Audiovisuelle), de la commission royale chargée de la révision constitutionnelle et enfin de l'IRCAM (Institut Royal de la Culture Amazighe). A l'époque, Mustapha Ramid avait parlé de scandale dans une interview publiée par le quotidien Al Massae. Il est aujourd'hui ministre de la justice et des libertés. Le PJD, qui dirige pourtant le gouvernement actuel, se résigne ainsi à accepter des nominations d'ambassadeurs qui continuent d'écarter la sensibilité islamiste. En résumé, ces nominations confirment que les critères de loyauté et de soumission au pouvoir du makhzen continuent de sévir lors des choix des hauts responsables. Le népotisme, le clientélisme, la logique de récompense et la corruption des élites ont la peau dure. Ces nominations prouvent aussi que le makhzen est incapable de renouveler ses élites, vu le nombre élevé de ses vieux serviteurs dociles y compris ceux qui sont déjà à la retraite. D'un autre coté, l'exclusion systématique du PJD malgré sa présence à la tête du gouvernement, confirme encore une fois que l'autorité, le vrai pouvoir du makhzen profond, ne fait toujours pas confiance à tout porteur de la sensibilité islamiste, même très modérée comme celle des membres du PJD. Elle confirme aussi que ce parti a deux capacités surprenantes : celle de retourner sa veste, et celle d'avaler les humiliations en rafale. Rappelons que 28 ambassadeurs avaient été nommés par le roi le 6 décembre 2011 sans que Benkirane, alors chef de gouvernement désigné, ne soit mis au courant. Une remarque finale en guise de conclusion : Quand le chambellan royal citait les noms des ambassadeurs pendant la cérémonie, il prenait soin de dire: «ambassadeurs de Sa Majesté». Or, ce sont les ambassadeurs qui vont représenter le Maroc et les Marocains dans des capitales mondiales, et leurs salaires seront payés par l'argent du contribuable marocain. Nous sommes toujours en face de la même approche des choses : la Constitution est une Constitution octroyée, le gouvernement est le gouvernement de Sa Majesté, les ambassadeurs sont des ambassadeurs de Sa Majesté, les walis et gouverneurs sont les walis et gouverneurs de Sa Majesté et le peuple entier est la somme des sujets de Sa Majesté ! Qu'est-ce qui a changé ?