Les nombreux chantiers du Maroc demanderont encore plus d'acier, alors que la croissance chinoise continue d'exacerber la tension sur les marchés internationaux. En attendant, les ferrailleurs marocains se frottent les mains, la Sonasid aussi. Cependant, sommes-nous à l'abri ? "Le secteur de l'acier se porte bien et même très bien au Maroc". Ce constat d'un ferrailleur marocain en dit long sur la croissance que connaît ce secteur aujourd'hui. De septembre à décembre 2005, à peine 4 mois, les ferrailleurs ont vendu à la Sonasid plus de 70.000 tonnes à un prix variant entre 1700 et 2100 dirhams la tonne, soit plus de 120 millions de dirhams de chiffre d'affaires. Cette embellie est le résultat du boom enregistré dans le bâtiment et les travaux publics. Les nouveaux investissements émiratis au Maroc ne feront qu'accentuer cette tendance portant sur des projets de l'ordre de 18 milliards de dollars. La vision 2010 est certes en retard, l'aménagement et le développement des sites balnéaires du plan Azur devraient atteindre leur vitesse de croisière dans les deux années à venir. La politique d'habitat qui a produit 113.000 logements sociaux en 2005 devrait s'intensifier afin d'atteindre le chiffre mythique de 200.000 logements qui a fait tant rêver. Le programme autoroutier, pour sa part, prévoit 150 km par an. C'est dire qu'à tout point de vue, la demande marocaine devrait augmenter dans les dix prochaines années selon un rythme soutenu. Le problème c'est qu'au niveau international, la situation n'est pas pour arranger les choses. En effet, la Chine a créé une tension sur les marchés de l'acier. En 2005, sa consommation a augmenté du quart, atteignant quelque 350 millions de tonnes, soit 31% de la demande mondiale. Alors que l'Inde pointe son nez pour être l'un des principaux consommateurs. Quand ces deux géants auront fini de construire leur outil industriel, ils renforceront la classe moyenne mondiale de 1,5 milliard de personnes supplémentaires qu'il faudra équiper en appartements, en voitures et dans d'autres biens de consommation requérant de plus en plus d'acier. C'est pourquoi, partout dans le monde, les spécialistes estiment que les 50 prochaines années sont celles de l'acier et du métal. Mais il faut faire très attention à cette euphorie. Selon un spécialiste allemand du marché de l'acier, toutes les aciéries au niveau mondial sont en train d'augmenter leur capacité de production. Celle-ci est surtout le résultat de la croissance que connaissent les économies chinoise et indienne. Dans les prochaines années, au niveau mondial, l'offre pourrait excéder la demande ; ce qui va entraîner une chute des prix. Ce calcul est-il pris en compte au niveau de la Sonasid dont les investissements pour augmenter sa capacité de production iront crescendo dans les prochaines années ? La Sonasid a démarré le 18 août 2005 les activités d'une aciérie électrique à Jorf Lasfar qui a coûté un milliard de dirhams. "Nous sommes en train de monter en puissance. Nous nous attelons à maîtriser ce nouveau métier", souligne Abdelouahed Ben Sari, président-directeur général. L'intérêt de cette aciérie électrique fait partie d'une stratégie mise au point pour rester compétitif à l'horizon 2011, date de la fin du processus de démantèlement douanier. L'apport de cette aciérie électrique est, nous apprend-on, beaucoup plus important que ne l'est celui de l'activité de laminage. Il s'agit de donner à la filière nationale une assise industrielle beaucoup plus solide que jusqu'à présent. « L'objectif, c'est d'aller plus loin dans cette chaîne de valeur ajoutée », explique un spécialiste des questions liées à l'acier. Deux autres éléments essentiels sont ciblés par la Sonasid pour espérer continuer à maintenir sa suprématie sur le marché national. Il s'agit des restrictions sur les matières premières et l'énergie. Par rapport à l'énergie, la Sonasid compte profiter de l'opportunité de la libéralisation du secteur qui est décidée par l'Etat ; ce qui permettrait de voir les coûts baisser. Lesquels coûts sont déjà très importants dans les prix de revient de cette filiale de la SNI. Pour la matière première, la Sonasid a développé des idées pour avoir accès à de la ferraille qui n'existe pas au Maroc. Localement, elle s'approvisionne auprès des ferrailleurs marocains. Cela représente 40 % du marché local. "Durant les cinq derniers mois de l'année 2005, nous avons acheté plus de 70.000 tonnes de ferraille sur le marché local. Une cadence d'approvisionnement qui sera accélérée au courant de l'année 2006. Notre objectif aussi est d'entretenir des relations durables avec les principaux fournisseurs locaux", avance le président de la Sonasid. Il est aussi important de promouvoir les sources alternatives à la ferraille, c'est-à-dire la filière de minerais. La Sonasid est, en ce moment, en train de travailler sur la possibilité des mini-hauts fourneaux qui seront installés à Jorf Lasfar. Pour les alimenter, les minerais pourraient lui venir de la Mauritanie. Egalement, la filière des pré-réduits qui sont aussi des minerais mais qui ont subi une phase de réduction soit au charbon soit au gaz naturel constitue une excellente opportunité. “C'est un projet très capitalistique plus cher sur lequel nous travaillons aujourd'hui. À plus long terme, nous comptons nous intéresser aussi aux épaves de bateaux qui sont une source extraordinaire de ferraille d'excellente qualité”, avance un ingénieur de la Sonasid. La course à la productivité Le secteur de l'acier se porte tellement bien que la compétition se fait de plus en plus sur les idées novatrices. La boutade d'un intervenant sur ce marché est révélatrice dans la course aux parts de marché. "Nous pensons que la nouvelle donne mondiale fera émerger un projet de démantèlement de bateaux. Quand je vois le Clemenceau divaguer de mer en mer, je me dis que c'est 30.000 tonnes de ferraille qui peuvent être utiles dans une aciérie". Et bizarrement, si tous les industriels des différents secteurs d'activité ne cessent de tempêter sur les coûts élevés de production provoqués par le prix des produits pétroliers de plus en plus astronomiques, tel n'est pas le cas des sidérurgistes. L'explication avancée est que personne ne pouvait imaginer qu'avec un baril de pétrole à 70 dollars, que finalement, il n'y aurait pas de cataclysme. Aujourd'hui, non seulement on est à 70 dollars, mais on peut passer aussi à 100 dollars le baril. "L'équation pétrole dans la macroéconomie mondiale est totalement différente aujourd'hui de ce qui se passait dans les années 70". Cette analyse d'un expert des politiques industrielles n'est peut-être valable que dans le secteur de l'acier. C'est peut-être cette raison qui fait que la productivité et l'investissement continuent de plus belle.