Interview EXCLUSIVE de Mohamed Bouzoubaâ, ministre de la Justice En évaluant le chemin parcouru et en mesurant l'impact prévisible des réformes en chantier, et afin de mettre un terme à tous les atermoiements et incertitudes manifestés autour de la problématique de la séparation des pouvoirs et l'indépendance du système judiciaire, Mohamed Bouzoubaâ a tranché en coupant, dans le même temps, le sifflet à tous les détracteurs et sceptiques qui vouent aux gémonies les acquis de l'Etat de droit et de la démocratie au Maroc. Mieux encore, si la séparation des pouvoirs est un cap en passe d'être totalement franchi dans le Royaume, l'indépendance de la justice est une réalité qui ouvre la voie à la réalisation d'un palier plus avancé, l'indépendance totale des magistrats et des juges. Comble de l'ironie d'une histoire contemporaine dont les rebondissements sont étourdissants, ce sont les plus farouches opposants de l'ancien régime qui se sont vu confier les rênes du pouvoir exécutif. Le premier gouvernement d'alternance fut conduit par le Premier ministre socialiste Abderrahmane Youssoufi et le portefeuille de souveraineté de la Justice mis sous la coupe d'un autre socialiste, Mohamed Bouzoubaâ. Ce dernier jure d'une certitude: « La Justice marocaine n'est plus aux ordres » en dépit de la persistance des clichés usés ou de milieux embobinés par des pressions entristes ou instrumentalisés par les «poches de résistance» regrettant les anciens privilèges. Si ces affirmations et professions de foi du responsable de la politique pénale au Maroc continuent, nolens volens, à se heurter à un scepticisme dans certaines franges de la société marocaine, le ministre USFPéiste est, en revanche, catégorique sur le diagnostic des évolutions récentes : « Le Maroc est devenu un Etat de droit et l'indépendance du système judiciaire une réalité qui s'affirme de jour en jour. Le défi que nous sommes en train de relever est d'arriver à garantir la totale indépendance des juges». C'est clair comme de l'eau de roche et facile à décrypter : les magistrats ne sont pas encore à l'abri de l'attrait des interférences par le jeu des réseaux de relations d'influence et restent encore vulnérables face au pouvoir de l'argent. Seulement, et le ministre est formel, il y a lieu de nuancer dans ce registre très sensible : « Ce qui est sûr, c'est que la majorité des magistrats marocains sont honnêtes, intègres et compétents et font la fierté de notre pays dans ses relations de coopération internationale. En fait, c'est seulement une minorité dépravée qui reste à expurger du corps de ceux qui ont en charge de rendre la justice dans les juridictions du Royaume». Et là, les mesures ne manquent pas avec un CSM qui sanctionne les magistrats indélicats ou délinquants, le renforcement des inspections et des contrôles inopinés, le déclenchement d'enquêtes suite à des lettres anonymes suspectant ou accusant des magistrats de corruption, la conduite d'investigations provoquées par la publication d'articles de presse dénonçant des délits ou des crimes dans diverses affaires. A ce propos, Bouzoubaâ est ravi: « La presse est un précieux allié irremplaçable qui nous aide à faire triompher le droit ». Pas moins de 542 articles parus dans les publications en 2005 ont donné lieu à des enquêtes qui ont permis de redresser des torts envers les justiciables. La chasse aux corrompus Toujours dans ce chapitre, cette même presse a déclenché un tollé contre l'interférence du pouvoir politique dans la « Justice aux ordres » en multipliant les poursuites judiciaires contre des médias nationaux. Et là encore, l'argumentaire du ministre socialiste tient la route pour désamorcer les attaques ciblées péchant par une ignorance consommée du fonctionnement du système judiciaire et des procédures en vigueur. Les statistiques avancées montrent que sur les affaires de presse traduites en justice en 2005, 13 cas ont été en citations directes sur plainte des plaignants dont 5 cas ont été définitivement jugés. Cette même année, 7 plaintes ont été introduites par les plaignants après consultation du ministère public dont cinq ont été classées sans suite. Enfin, 6 procédures ont été déclenchées sur intervention directe du ministère public contre des journalistes au motif d'inculpation d'atteinte à la dignité de chefs d'Etat étrangers, de diffamation contre des magistrats et de provocation ou atteinte à la vie privée des plus hautes autorités du pays. Ces données n'offrent aucune comparaison possible avec les poursuites engagées contre des journalistes dans les pays démocratiques de référence. A titre d'illustration, 266 affaires de cet ordre ont été jugées en France en 2004 condamnant, pour la plupart, des organes de presse pour diffamation, désinformation, ou atteinte à la vie privée de personnalités publiques. Parmi les chantiers de réforme les plus avancés, Bouzoubaâ en a énuméré les principaux que représentent la formation et la formation continue du corps entier de la magistrature, la modernisation des structures administratives et judiciaires du Royaume, le renforcement des inspections et la multiplication des contrôles, les enquêtes déclenchées suite à la dénonciation par voie de presse ou des lettres anonymes suspectant ou accusant des juges de corruption. Les autres chantiers ouverts intéressent la nouvelle politique de communication mise en œuvre par le Département de la Justice en direction des médias, des parlementaires, de la société civile et autres CGEM. Enfin, les autres réformes entreprises concernent le développement de la coopération internationale marquée par le renouvellement ou l'établissement d'accords, notamment avec l'Espagne, la France, le Royaume-Uni (insolite parce que les Anglais boudaient jusqu'ici ce chapitre et ont trouvé, depuis, qu'il se passait des choses sérieuses au Maroc) et les Iles Canaries incluant des projets communs à Laâyoune (très important pour notre Sahara marocain). Les pays arabes aussi sont de la partie, le PNUD, la Banque mondiale, l'USAID, L'UE avec MEDA… Ces accords portent sur des programmes de formation des ressources humaines du corps de la magistrature, l'informatisation et l'organisation des tribunaux, la construction de nouvelles infrastructures juridictionnelles. Aussi, le savoir-faire de nos magistrats semble-t-il faire recette puisque des juges marocains sont dépêchés dans d'autres pays dont les Emirats Arabes Unis à la demande de cet Etat. Enfin, un gros chantier est dans sa dernière ligne droite pour être bouclé en avril 2006: la refonte du code pénal que Bouzoubaâ promet d'en relever le niveau au top des démocraties du globe. Ça bouge à la Justice, oui et c'est d'une évidence qui crève l'écran. Le programme de séminaires et de colloques pour 2006 est assez riche. Après le succès des Journées de communication avec les parlementaires et les médias organisées en janvier, février verra la tenue d'une conférence nationale d'évaluation de l'application du code de la famille au terme de sa deuxième année. Le mois de mars accueillera deux événements importants : un séminaire avec le SNPM sur le thème «Justice et Médias» et une rencontre nationale sur le Code du travail au bénéfice des collectivités locales, des centrales syndicales et de la CGEM. En avril, un forum est prévu sur la thématique de la politique pénale dans le monde arabe avant d'arriver, en mai, à une rencontre inédite sur la «Justice de proximité» où la suppression des juges communaux sera un des principaux points au menu des discussions.