A 20 ans, elle réalise un film choc sur le thème de l'existence et du soi Un premier court-métrage et, déjà, une grande maîtrise de son texte, une vision du cinéma qui définit ses propres règles sans clichés et sans fioritures. Avec une place de choix pour le texte, qualité des cinéastes qui savent que le mot sous-tend l'image et lui donne sa profondeur de champ. C'est cela, le cinéma de Ghita Al Qassar, tel qu'il se laisse découvrir dans " le Cri ". "Le cri " sans emprunt aucun à Munch et à son célèbre tableau, mais nous sommes très proche de toute une littérature qui va de l'existentialisme à l'absurde condensant des visions aussi disparates et parfois concomitantes d'auteurs comme Camus, Sartre, Kafka, Nietzsche, Maître Eckhart, Strindberg… tous ceux dont les oeuvres ont posé des questions sur l'humain, l'existence, l'être et son corollaire le temps. C'est un peu tout cela les 7 minutes de ce court très profond qui ne laisse aucune place à l'essai littéraire ou cinématographique, mais s'inscrit comme une réflexion pointue sur soi. Le film de Ghita Al Qassar, jeune réalisatrice d'une vingtaine d'années s'ouvre sur une femme d'une quarantaine "d'année, brune, qui est assise face au miroir d'une coiffeuse. Elle est maquillée et coiffée d'un peignoir blanc. Elle parle et écoute à la fois" ce murmure qui s'intensifie, cette rumeur qui va grossir comme une rumeur bourgeoise ". La femme se prépare avant d'entrer en scène, mais ce qui se joue dans la loge est plus important que ce qui va suivre. Il le présage, il le dit sans les mots et cet écran qui est le double du film se met en abyme tout seul pour livrer sous les mots de la jeune réalisatrice une foule d'idées sur la vie, les gens, l'amour, les autres, la peur, le bonheur ajourné, l'angoisse et le rêve. Ce qui frappe dans l'écriture cinématographique de cette jeune réalisatrice c'est d'abord sa maîtrise de son texte. Une écriture qui va à l'essentiel, pose le doigt sur le mot qu'il faut pour désigner un sentiment, une interrogation, susciter à la fois la peur de ce qui peut suivre sur les lèvres de cette femme qui fait de ce face à face avec elle-même une arène pour faire éclater tant de non-dits. La femme parle, elle officie au déroulement des histoires, fait ses apparitions entre image fixe et mouvante, tantôt à gauche du cadre, tantôt à l'extrémité d'une image, vue de dos, avec une voix d'oracle qui égrène l'avenir. Ghita Al Qassar utilise de nombreux procédés filmiques qu'elle maîtrise à la perfection. On va de la surimpression des sentiments qui leur donne cet aspect intouchable, insaisissable, à cette fixation de plans lents qui creusent la perspective des caractères et les rend à la fois très proches de nous et très personnels. Le temps est lui aussi disloqué, éparpillé, mis en pièces comme la vie, la mémoire, le rêve, l'amour, le don, le désir. Un va-et-vient entre hier, demain, cet après-midi et la nuit d'avant pour présenter ce qui fait l'essence même d'un être humain, son moi le plus profond aux prises avec le doute, le perpétuel questionnement sur le monde. Intensité de la souffrance, ce film court est un poème d'amour qui se situe au-delà des contingences plates de l'appréciation. Il sait donner une dimension universelle à ce personnage qui en quelques mots pourrait être vous, moi, les autres, tous les autres... Ghita Al Qassar en créant un seul personnage, en fait vivre chez nous, son public, plusieurs autres, tous aussi indéfinis que possibles. Elle arrive à faire vivre ses caractères dans une ronde de va-et-vient entre souvenirs, cauchemars et désirs d'oubli, sans les retirer de leurs substances premières. Il faut aussi souligner chez ce nouveau talent, une percussion dans le dire quand elle entame son explication de ce qu'est l'image. Et là, nous sommes loin du charabia proposé par tant de faiseurs. Cette fille porte en elle une telle énergie, un besoin viscéral de mettre les mots en images et les images en mots que c'en est un ouragan de thèmes qui peuplent les 7 minutes de rêve que sont ce premier Cri. Et comme le dit Ghita Al Qassar dans son scénario, c'est parce que "chacun veut sa part de l'humanité et du monde" que le monde est monde et l'humain aussi épars que possible.