Filles de la rue Elles ont moins de 17 ans. Elles vendent des mouchoirs, des chewing gum… Elles vivent au jour le jour, le futur, elles le connaissent, mais préfèrent ne pas y penser Elles font partie du paysage, avec leurs moues de bébé qui a grandi trop vite, leur "lah yerhem biha loualidine " et leur inséparable paquet de chewing gum. Vous les trouverez, sans même les chercher, collées aux vitres de votre véhicule devant un feu rouge qui tarde à passer au vert. Ne dépassant guère les 17 ans, elles traînent derrière elles un long passé, meublé de veillées nocturnes, de courses poursuites avec les agents de police et de nuits interminables dans les cachots humides des commissariats. Leur avenir est, quant à lui, tout tracé : la prostitution. Leurs coins de prédilection ? Les parkings d'hôtels de luxe ( Sheraton, Hyatt…) et l'incontournable boulevard de la côte (Aïn Diab). Jamais seules, elles circulent en groupe (deux à quatre filles), solidaires dans leur quête du pain quotidien. Pétillantes par leur énergie d'adolescentes, elles sont increvables, répétant les mêmes gestes, les mêmes phrases et les mêmes acrobaties aux fenêtres, tout au long de leur longue veillée nocturne. Cette dernière commence vers les coups de 19 H à la corniche. Vous ne les manquerez pas en passant par le rond-point Mc Do- Dawliz ou celui en face du Megarama. Elles vous approcheront avec leur "lah ykhelli lik mratek". Vous les ignorerez d'un geste hautain de la main, ou dans le meilleur des cas, vous leur lancerez une pièce, pas par pitié, mais plutôt pour avoir la paix (ce qui ne marche généralement pas vu qu'il suffit que vous donniez à une pour que les autres vous sautent à la fenêtre, flairant le pigeon que vous êtes). Au pire des cas, ce seront des insultes que vous récolterez, pour excès d'avarice, et que vous essuierez sans hocher de la tête, Savoir-être oblige ! (Disons que vous n'allez pas vous abaisser devant votre compagne). Vers les coups de 22 heures, elles se rabattent vers les parkings des grands hôtels. Habituées des lieux, elles rencontrent leurs potes les "chauffards de taxi". Ne soyez pas surpris, entre ces deux catégories "socioprofessionnelles ", les échanges de bons procédés sont d'usage. Preuve à l'appui, c'est ces généreux "chauffards de taxi" qui transportent, gracieusement, ces gentilles fifilles, vers leurs différents lieux de prédilection. Une relation qu'un taximan a essayé de nous expliquer, tant bien que mal, par la solidarité entre démunis " foukara". Ceci dit, passons à autre chose, et plus précisément à leurs méthodes pour cueillir les clients de ces fameux hôtels. Cible numéro 1 : " les moutons " comme elles aiment les appeler. Une cible facile et très sensible aux charmes des petites adolescentes, surtout après une cuite aiguë. Le processus est le suivant : sans aucun préavis, notre sympathique chauffard se transforme en maquereau. Il interpelle une des demoiselles bien tapies à l'abri des "wachmates" (estafettes de police), lui désigne du doigt la victime et la laisse se débrouiller toute seule, comme une grande. L'accroche quant à elle est des plus simples : " beddek Alka ?" (Veux-tu un chewing gum ?). Vous l'avez deviné, à aucun moment, notre enturbanné déguisé en civilisé ne regarde le chewing gum. C'est plutôt la fraîche créature qui l'appâte. Et c'est donc tout à fait normal qu'il lui fasse des avances. La demoiselle se laisse faire, demande à se faire payer d'avance et prend la poudre d'escampette avant même que le "mouton " n'en prenne conscience. Ne vous méprenez pas. Ce métier est plein de danger. Il est vrai que ces minettes comptent sur l'intervention de leurs transporteurs, pour assurer leur protection. Mais des fois ça foire… Le danger ne vient pas seulement des clients mais aussi des " chauffards ". Jouer au taximan est un métier frustrant et "un chauffard frustré est un chauffard dangereux". Plusieurs de ces jeunes demoiselles n'ont-elles pas payé en "nature " le prix de la protection ? D'ailleurs, la majorité de ces dernières, s'est convertie à la prostitution, un métier ingrat mais qui rapporte plus. Vers 5 heures du matin, et après une rude nuit de travail, les filles se font accompagner chez elles pour dormir d'un sommeil réparateur. Demain, une rude journée les attend.