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Prison centrale de Kénitra - Mimoun, le chasseur
Publié dans La Gazette du Maroc le 14 - 11 - 2005

Il y a des hommes dont le visage dit tout, de premier abord. On peut lire sur les strates multiples de cette figure comme dans un livre ouvert et décodé pour la circonstance. Mimoun fait partie de cette catégorie humaine qui ne peut, quoi qu'elle fasse, dissimuler la nature première, celle qui préside aux relations humaines, à la découverte de l'autre, à l'envie d'être ou de paraître. Dès son arrivée et juste après le sourire de circonstance, Mimoun entame son travail de spéléologue dans les âmes des autres. Cela devait être une vieille habitude qu'il a peaufinée derrière les murs de sa cellule. Un réel travail de connaisseur qui s'est donné comme tâche de scruter dans les tripes des autres pour toucher leur essence. Il le fait avec cette aisance propre à ceux qui ont l'habitude de jauger les humains avant de frayer avec eux. Une attitude de chasseur, de pisteur, d'homme à gibiers.
Mimoun, l'Oujdi
Quand il parle, il déclare presque avec ostentation qu'il s'appelle Jawani Mimoun, qu'il purge une condamnation à mort dans la prison centrale de Kénitra dans le quartier B, celui de la mort. Puis il vous laisse découvrir qui il est ou qui il peut bien être à ses heures. Et la ronde cruelle d'un pistard affolé peut commencer. De son passé, on ne saura pas grand chose. D'ailleurs lui-même estime que « c'est là une perte de temps de parler de choses si lointaines. Il faut parler d'aujourd'hui et surtout de cet incident qui m'a mené ici avec mon cousin, sinon, qui je suis, d'où je viens et tout le reste, c'est sans importance pour moi.»
On sait qu'il est d'Oujda et qu'il a eu une enfance normale et sans fioritures. Une adolescence presque sans problèmes non plus avec une passion naissante pour la chasse. Oui, très jeune, il a découvert qu'il aimait le grand espace, les prairies du bon Dieu et la course derrière des volatiles. «c'est quelque chose que je ne peux expliquer, mais j'ai toujours aimé cela. La chasse est un bonheur que je vivais jusqu'au bout à chaque instant que je sortais pister le gibier. Dans ma tête, c'est toute une préparation, des détails à mettre en place, c'est comme une stratégie de guerre. Il ne faut rien laisser au hasard. Ceci me faisait beaucoup de bien.» Et quand il parle dans cette pièce attenante au couloir de la mort de la chasse, c'est un homme heureux qui est là, assis devant nous, à revivre de belles journées ensoleillées où il guettait ses proies avec tout le zèle d'un fin limier. Mimoun est heureux d'avoir vécu dans la nature, d'avoir aimé l'espace ouvert où il laissait déployer ses stratégies de capture à l'air libre.
Mimoun est aussi un homme à loisirs. Il aimait chasser la pintade et la perdrix. Un bon pisteur, dit-on encore dans la région, à Oujda où son nom est encore connu. Mais parallèlement à la chasse, Mimoun découvre d'autres passions surtout une attirance fatale pour les jeunes garçons. Il ne l'avouera jamais et s'en défendra. Il joue sa vie qu'il a perdue le jour où le juge l'a condamné à mort. Mais il n'en démord pas. Non, c'est faux, je n'ai pas cette tendance, c'était un accident. Pourtant, et la police et l'entourage à Oujda sont formels. Mimoun avait aussi l'habitude de se faire accompagner par des gamins. La chasse n'avait pas le même goût sans la présence d'un joli petit chérubin pour donner un cachet plus jovial à la fête. Mimoun aimait aussi les gosses. Certains disent facilement que c'est là «un pédophile invétéré». Lui refuse une telle appellation et peut même se fâcher parce que «Comment peut-on affirmer de telles choses sans preuves ? Oui, il y a eu un enfant mort. Mais rien ne dit que je l'ai tué pour le violer. C'était un accident et je le jure que je ne suis pas du tout ce qu'on a voulu faire croire de moi. C'était plus simple de dire que j'avais piégé un gamin pour en abuser, le tuer et le jeter dans un puits. Mais les choses sont autres».
La partie de chasse
L'histoire de «l'accident» dont parle Mimoun n'est pas si simple que cela et les dires de Mimoun a posteriori ne peuvent pas changer le cours de sa vie, ni le destin de ce gosse tué et jeté dans un puits à 14 ans. Il aura beau dire, il y a des faits. À lui de se défendre, mais comment croire? Là est la question après tant d'années de silence. «Je sais que le temps a réglé cette affaire, mais je suis le seul à savoir». Eh oui, personne en dehors de sa personne ne pourra nous dire ce qui s'était réellement passé ce jour-là dans la jungle de la vie tourmentée de Mimoun le chasseur. Quoi qu'il en soit, les faits, nous les connaissons. À lui de démentir ou de confirmer.
L'histoire veut que Mimoun ait déniché un gosse de 14 ans qu'il emmenait avec lui en dehors de la ville, dans la forêt pour pister les oiseaux. La compagnie de ce gamin lui était indispensable. Pourquoi désirer autant la présence d'un enfant de cet âge ? Mimoun dira qu'il voulait juste lui apprendre le métier et que c'était son plaisir de faire cela avec quelqu'un d'autre. Mais pourquoi pas quelqu'un de son âge ? «ceci n'a pas d'importance. Le plus important est que je voulais vraiment partager cela avec cet enfant. L'intention était bonne».
Un enfant dans
le puits
Pour son cousin, qui séjourne dans le même couloir, il est évident que Mimoun avait d'autres plans en tête, «Un jour il avait offert une perdrix à la famille du gamin pour qu'elle le laisse aller chasser avec Mimoun. Moi, je ne suis jamais allé avec lui. Je l'attendais, et on faisait des plats avec le gibier». Les deux cousins sont très proches. L'un est fou des volatiles l'autre veut se faire de l'argent. L'un tue le temps en coursant les proies, l'autre rumine des plans pour gagner sa vie. Les jours passent sous la fournaise de la région où, quand il fait chaud, on ne sait pas quel oiseau pourra s'aventurer à se dégourdir les ailes. Mais Mimoun sort chasser. Quoi ? Il est le seul à le savoir et comme il se dit fin connaisseur, il avait ses moyens de dénicher son butin de la journée. Et le cousin de confirmer qu'il revenait rarement bredouille.
Un jour, Mimoun est venu dire à son cousin que le lendemain il était de sortie pour chasser dans la forêt. Rien de bien inhabituel. Ils se sont donné rendez-vous comme d'habitude à la sortie de la ville au moment du retour du grand chasseur. Le cousin qui purge la même peine à la même prison, dans le même couloir, attendait : «Je ne savais pas où il était parti chasser, mais je savais comme d'habitude que j'allais le rencontrer à son retour en dehors de la ville. On avait coutume de marcher ensemble avant d'aller préparer le dîner». Mimoun se souvient très bien de cette journée : «nous sommes allés tous les deux, moi et l'enfant. Je savais que c'était une journée où je pourrais ramener beaucoup de gibier. J'avais le sentiment que tout baignait. La vérité, cette journée devait être parfaite pourtant tout a mal tourné. Et je ne sais pas pourquoi. À cet instant où je vous parle, je ne sais pas ce qui s'est passé».
La famille qui avait reçu la perdrix est confiante. Elle laisse l'enfant accompagner le maître chasseur. Le cousin, lui, raconte qu'il a passé cette journée en ville à attendre la fin de l'après-midi pour aller rencontrer le grand chasseur. Quand ce dernier est arrivé, il était affolé : «Je ne savais pas ce qui s'était passé. Mimoun avait peur et m'avait dit que le gamin était mort et qu'il fallait aller le dire à sa famille». La partie de chasse avait mal tourné. Un accident. Oui aussi incroyable que cela puisse paraître, c'était un accident. Le gamin est tombé, et il est mort. Je n'y pouvais rien. C'était le destin. Evidemment, j'ai paniqué. Mon Dieu, le môme est mort et sa famille ne pourra jamais croire à la thèse de l'accident. Comment résoudre un tel problème ? Mettez-vous à ma place ? C'était l'enfer sur terre, et je le traversais seul ».
Maintenant, il y a un gros problème à résoudre. Le cousin se souvient : «Je lui ai dit de se calmer et que j'allais arranger tout cela. Je lui ai demandé de me donner le numéro de téléphone de la famille pour parler aux parents avant d'appeler la police pour régler cette sombre affaire. Mimoun m'a donné le numéro et il est rentré en ville ». La suite de cette histoire est abracadabrante. Elle relève de la folie des hommes face à l'inéluctable. Le cousin qui devait arranger l'affaire pour son cousin de chasseur pense à un scénario machiavélique. Au lieu de se précipiter pour régler cette affaire d'enfant mort dans des circonstances qu'il ignorait, il prend son temps pour échafauder un plan infernal qu'il avoue avec toute la simplicité du monde : «Je me suis dit que c'était là une occasion pour se faire de l'argent. J'ai appelé la famille en lui disant que j'étais un grand bandit, un voleur dangereux et que j'avais kidnappé son fils. Je lui ai dit que si elle voulait le récupérer, il fallait me payer une rançon de 16 millions de centimes. Mais je devais encore la rappeler pour être sûr».
L'arrière-histoire
Le cousin avoue avec tout le naturel du monde son forfait. Il pensait que c'était là le coup de sa vie et qu'il pouvait se faire des sous facilement. Mimoun avait, dit-il, fait confiance au cousin : «Moi, j'avais perdu la tête et mon cousin devait me sortir de ce trou noir. Je ne savais pas ce qui se tramait derrière tout cela. Entre nous, j'ai eu tort de faire confiance à mon cousin. Il fallait aller affronter les parents et la police et leur dire la vérité, mais c'est toujours après coup que l'on se dit cela. Au moment où la peur frappe, on perd les pédales».
Les parents perdent espoir et avertissent la police qu'il y avait une bande de criminels qui avait kidnappé leur enfant et demandait une rançon. Et comme Mimoun avait demandé l'autorisation des parents de l'enfant avant leur sortie pour la chasse, il était facile pour la police de remonter à la source La police débarque et Mimoun lâche le morceau. Il dégoupille tout ce qu'il a dans le ventre. Le grand déballage devant l'éternel. Le cousin se fait prendre aussi et il déballe tout à son tour. Il dit tout, raconte comment il avait grossi la voix pour que la famille ne le reconnaisse pas, comment il avait pensé à ce scénario… Bref, toute une histoire que la police ne pouvait gober. Et c'est là que le spectre d'une bande de criminels fous a plané sur toutes les têtes.
Les deux cousins sont alors accusés de meurtre, de kidnapping, de demande de rançon et de constitution d'une bande criminelle. C'était en juillet 1999 à Hay Si Lakhdar où l'on se rappelle encore des détails de l'affaire de ce garçon, tué et jeté dans un puits, de cette bande qui voulait rançonner les gens et tant d'autres histoires sur l'éventuel viol du gamin par le chasseur qui, voulant masquer son crime, a fini par le tuer et le jeter dans un puits… Mimoun sera jeté dans la prison civile d'Oujda où il passera huit mois avant d'être condamné en 2000 à la peine de mort. Il sera très vite transféré à Kénitra avec son cousin. Et les deux vivent aujourd'hui comme si de rien n'était. Il y a le silence sur le passé et il y a les non-dits entre les deux cousins. Pourtant, la vérité se veut autre. Selon la police Mimoun a violé l'enfant. Il n'y a aucun doute et ce n'était pas là un fait unique dans son long parcours de chasseur. Il aurait abusé du gamin et pour ne pas courir le risque de se faire dénoncer par les parents, il a assommé le gosse. «Je vous dis que j'ai paniqué. Le gosse est mort. Je ne savais pas quoi faire».
Pourtant la police trouvera le corps dans un puits. Qui l'a jeté ? Pour la police judiciaire, il ne fait aucun doute sur ce scénario, somme toute classique, d'un type qui aime les gosses, qui abuse d'un enfant de 14 ans et quand les choses tournent mal, il le tue et se débarrasse de son corps. «Oui, le corps a été trouvé dans le puits». C'est la vérité qui sort par la bouche de Mimoun, mais il ne dira pas que c'est lui qui l'a jeté dans les profondeurs de l'oubli. Et quand le cousin entame sa ronde de grand scénariste devant l'éternel pour se faire son bifteck, là l'idée du gang se précise. Mimoun s'en défend : «non je n'ai jamais été dans une bande. Mon cousin a pensé à cela, je ne sais pas pourquoi, d'ailleurs lui-même a avoué que je ne lui ai pas demandé de leur demander de l'argent mais de leur dire ce qui s'était passé». Et le cousin confirme. Mais meurtre, il y a eu, et un corps était plongé dans un puits.
Qu'en dit Mimoun ? Il se terre dans le silence. Et avant de prendre congé parce que toute cette histoire lui rappelle de très mauvais souvenirs, il jette un regard dans les parages et nous dit : «vous savez que vous pouvez imaginer ce que vous voulez. Mais moi, je sais. Et mon cousin sait et la vérité, c'est moi qui la détiens».


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