Liban Quelques heures après que les Etats-Unis aient accusé le nouveau président iranien, Mahmoud Ahmedinejad, d'être un des responsables de la prise d'otages de l'ambassade américaine à Téhéran en 1979, le Hezbollah a mené une opération militaire dans les fermes occupées de Chebaâ. Bilan : 1 soldat israélien tué et 5 autres blessés. L'Etat hébreu , comme à l'accoutumée, s'est contenté de menacer. Interrogations. Les nouveaux tuteurs du Liban, à savoir les Etats-Unis et la France, croyaient qu'avec les dernières élections législatives le pays du Cèdre allait connaître une profonde métamorphose politique aussi bien sur le plan interne qu'au niveau de son environnement. Ce qui, en principe, devra servir leurs intérêts et consolider leur retour en force. Alors qu'on s'apprêtait à mettre en place le nouveau gouvernement qui sera dirigé par Fouad Sanioura, un des hommes de l' ancien Premier ministre, Feu Rafic Hariri, l'opération surprise menée la semaine dernière par le Hezbollah vient de fausser les prévisions et calculs. Le mouvement de la résistance islamique libanais, qui a désormais une vingtaine de députés au Parlement et qui sera représenté - pour la première fois – dans le prochain Exécutif par deux ministres au moins a tenu, avant tout, à passer le message à qui de droit. En d'autres termes, faire comprendre à ceux qui veulent appliquer la résolution 1559 de l'Onu, précisément le volet portant sur le retrait des armes, qu'il ne pliera guère à leurs exigences avant la libération de ce qui reste des territoires libanais occupés par l'armée israélienne. Ceux qui connaissent bien les convictions et la mentalité des dirigeants du Hezbollah, savent parfaitement que la provocation ne fait jamais partie de leur stratégie. "Chaque opération menée contre l'ennemi sioniste a ses propres raisons et son propre timing", nous disait, Cheikh Hassan Nasrallah ce soir de mars 1999. Cela dit l'attaque de la semaine dernière, également le survol des territoires israéliens par un drone portant les couleurs jaunes du Hezbollah, il y a environ deux mois, font aussi partie de ces timings. En tout état de cause, force est de souligner que la tension qu'avaient connue récemment les frontières libano - israéliennes , encore une fois, confirme la liaison de la situation interne libanaise avec la crise régionale. Ce, malgré les efforts déployés à travers la résolution 1559 pour les séparer. En effet, si l'article visant à démilitariser le Hezbollah et les camps palestiniens n'a pour objectif que de créer la "rupture" entre le Liban et les différentes crises de la région, ce retour à la tension ne reflète que ce lien. Il incite à nouveau les Libanais à rechercher les meilleurs moyens pour aménager leur maison dans le cadre de la cohabitation avec les problèmes régionaux. Reste à savoir maintenant pourquoi le Hezbollah a - t- il décidé de frapper en ce moment ? Pourquoi Israël continue- t – il de s'abstenir à riposter sérieusement se contentant de larguer des communiqués sur les villages libanais avoisinants les frontières, appelant à s'opposer à ce mouvement qui entraîne la peur et les destructions ? Pourquoi Washington s'est – elle réveillée aujourd'hui pour revendiquer les têtes des "terroristes du Hezbollah", tels que Imad Maghnié, pour avoir détourné l'appareil de la compagnie américaine TWA dans les années 90 et tué quelques ressortissants ? Enfin, pourquoi Tel-Aviv n'a pas, pour la première fois, accusé la Syrie d'être à l'origine de l'opération menée par le Hezbollah ? Les tentatives de réponses à ces interrogations pourraient éclaircir, même partiellement, la situation qui prévaut. "A" comme anticipation En tout état de cause, l'opération militaire du Mouvement de résistance islamique libanais est un signal de l'éventualité de la réouverture du front du Sud Liban. Cela dit, c'est un message fort adressé à la fois aux Etats-Unis et à Israël selon lequel on fait savoir que l'ingérence dans les affaires libanaises sera probablement très coûteuse. Message moins fort à la France qui a apparemment compris en commençant à faire marche arrière. Ce, en évitant de cautionner les démarches prises récemment par Washington dont, entre autres, l'accusation du président iranien ou de participer au gel des comptes des responsables des services de renseignements syriens auprès de ses banques. Le timing, d'après les analystes, est très important. Les pressions américaines sur Damas et Téhéran sont grandissantes, allant jusqu'à la menace personnelle du président George Bush qui considère que la possession par l'Iran d'armes nucléaires est interdit. Dans ce même ordre de menaces, les Etats-Unis avaient utilisé le Conseil de sécurité de l'Onu pour obliger les forces syriennes de se retirer du Liban. Washington tente, à l'heure actuelle, d'user des équipes internationales chargées de l'enquête sur l'attentat de l'ancien Premier ministre, Rafic Hariri, pour imposer des sanctions économiques sur Damas. Une punition qui aura probablement le même but que celle appliquée à l'Irak avant l'attaque et, de là, son occupation. En menant cette opération dans les fermes de Chebaâ, le Hezbollah aurait voulu affirmer aux Américains et aux Israéliens qu'il représente toujours une carte maitresse au Liban. Et que toute tentative de lui retirer ses armes aura des répercussions néfastes. Par ailleurs, force est de remarquer que ce n'est pas par hasard que la frappe du Hezbollah soit intervenue juste après l'arrivée de leur allié fidèle au sein de l'establishment iranien à la présidence de la Répulique. Ce farouche défenseur des résistances islamiques dans le monde arabe, en plus, n'est pas trop pressé de renouer avec les Etats-Unis. La carte géopolitique régionale assiste aujourd'hui à des changements accélérés que Washington connaît mieux que quiconque les retombées dans les prochains mois. De ce fait, il faut analyser la décision prise conjointement, en toute discrétion, par Damas et Téhéran, pour tenir tête aux Etats-Unis tout en continuant de faire profil bas. "Elles ont choisi de ne pas céder aux pressions américaines, notamment après l'enlisement total américain en Irak", disait à La Gazette du Maroc, l'Ayatollah Mohamed Hussein Fadlallah, vendredi dernier. La direction du Hezbollah est sûre que les généraux israéliens ne supporteront pas une humiliation en plus du retrait unilatéral de la bande de Gaza. Il se peut qu'ils préparent la riposte à travers des voitures piégées visant les leaders de ce mouvement ou par le biais d'un bombardement des infrastructures au Liban comme ils l'avaient déjà fait par le passé. Dans ce cadre, il ne faut pas non plus exclure des frappes d'objectifs vitaux en Syrie. La différence cette fois, c'est que les dirigeants syriens ont, apprend-on, adopté une nouvelle stratégie basée sur le fait de ne plus encaisser les coups sans riposter comme cela a été le cas ces dernières années. Cela veut dire que la donne commence à changer dans la région. Et que les Etats-Unis ne font plus peur comme cela a été après l'occupation de l'Irak. La preuve, le défi lancé par Ahmedinejad le lendemain de son élection. Le nouveau président iranien a déclaré sur insistance de son pays posséder un programme nucléaire pour des "objectifs pacifiques". Autre preuve, les tirs qu'avait essuyés une patrouille israélienne de l'autre côté des frontières sur le plateau occupé du Golan. Ces tirs intervenant trois jours après l'opération du Hezbollah confirment les nouvelles orientations syriennes. La Syrie, tout comme l'Iran, anticipent sur la nouvelle donne régionale. Ils sont conscients des difficultés grandissantes auxquelles sont confrontés les Etats-Unis. Au point qu'ils étaient contraints à négocier avec le parti Baa's de l'ancien président irakien Saddam Hussein. Damas ne peut plus tolérer les pressions d'une administration américaine qui est en train de perdre sur le terrain. Elle ne pourra plus accepter ses ingérences dans ses affaires internes à travers le financement des groupuscules opposants. C'est pour cette raison qu'elle s'est déterminée à se défendre, notamment après qu'elle ait été libérée de son point faible qu'était le Liban. En anticipant sur les évènements, sur la déstabilisation actuelle d'Ariel Sharon sur le plan interne et l'essoufflement de George Bush , la Syrie est aujourd'hui plus forte. Les Etats-Unis et son allié Israël sont assez intelligents pour ne pas commettre une erreur monumentale dans cette étape critique. Une attaque militaire contre Damas ou Téhéran ouvrira les portes de l'enfer. La frontière nord de l'Etat hébreu avec le Liban explosera, idem de celle avec la Syrie sur le plateau du Golan. Le tout sera relayé par l'intérieur palestinien. Sur le front irakien, l'Iran et la Syrie fermeront cette fois les "deux yeux" pour faciliter l'action de la résistance irakienne. De plus, Téhéran donnera son feu vert à la résistance chiite pour entrer en scène. Les forces britanniques, basées dans le sud de l'Irak, qui craignent déjà un tel scénario, ont mis en garde leurs alliés américains contre toute aventure hasardeuse. Surtout que les Chiites trouvent de plus en plus de mal à cautionner l'occupation.