Les autorités publiques viennent de reconnaître la légalité du mouvement islamiste Al Badil Al Hadari, (Alternative civilisationnelle). Mardi dernier, tard dans l'après-midi, le dénouement de l'affaire "Al Badil" n'a pas eu l'effet escompté. Il l'aurait mérité, pourtant. Issu lui-même de la matrice génératrice de l'action d'Abderrahim Moutii, le mouvement a ceci d'exceptionnel qu'il a su garder un penchant presque laïc. Rarement, en effet, on l'a vu côtoyer les autres tendances de l'islamisme marocain. Bien qu'ils se revendiquent de la même communauté de valeurs, les uns et les autres n'empruntent pas la même voie. Pas souvent à tout le moins. Si les composants de la mouvance fondamentaliste, dans leur grande majorité, ont des points de divergence, il est presque acquis que la plus "iconoclaste" de toutes est sans doute aucun, l'Alternative civilisationnelle. Et pour cause ! Il y a d'abord, l'effet des origines qui, le cas échéant, n'a pas été similaire que chez les autres. Composé de jeunes activités, dont la majorité a fait ses premières armes au sein de la Chabiba Islamya, Al Badil a opté pour des choix qui sont autant de différents avec une autre composante : le Mouvement de l'unification et de la réforme (MUR). Contrairement à Abdelhak Benkirane, Mohamed Yatim et Abdallah Baha, entre autres, les jeunes de "la jeunesse islamique", devenus par la suite les leaders d' "Al Badil", ont choisi tout d'abord la clandestinité. Moins dynamiques ou plus méfiants, leur subtilité leur a imposé une retenue qui a duré longtemps. Si Benkirane et ses amis ont très tôt déclaré la rupture avec Abdelkrim Moutii, les autres ont laissé le temps au temps. A leurs dépens, en tout cas. En fait le courant "Al Islah W Attawhid" devenu, après la fusion avec Al Moustakbal Al Islamy d'Ahmed Raïssouni le MUR, a investi le terrain et donc gagné en popularité ce que Al Badil a perdu en termes de temps. En contrepartie, les membres actifs "d'Al Badil", plutôt enclins à la politique pure et simple malgré le référentiel religieux, se sont forgés la réputation de mouvement modéré aisément soluble dans le jeu démocratique. Une question, cependant : pourquoi donc cette affaire d'autorisation d'exercer légalement la politique a-t-elle traîné aussi longtemps ? A y voir de plus près, l'Etat ou du moins l'Intérieur avait sa propre vision, et surtout son propre mode d'emploi pour "l'intégration assurée". Ainsi en est-il du mouvement de Benkirane et Raïssouni, l'actuel PJD, qui a trouvé, en la personne d'Abdelkrim Khatib, le chaperon politique et le garant institutionnel. Son Mouvement populaire démocr-atique constitutionnel (MPDC) a été, faut-il le rappeler, “la boîte à pétrir” pour une culture"démocratique assistée". Méfiance oblige, l'Etat avait ses conditions qui, depuis lors, ne font plus recette. A croire l'actuelle démarche des pouvoirs publics, Al Badil est prêt pour la légalité. " C'est un pas très courageux de la part des autorités", déclare Mustapha Mouatassim, le secrétaire général d'"Al Badil ". " Qui plus est, s'ajoute à d'autres signaux très encourageants ultérieurement émis ", renchérit son adjoint Amine Reggala. Maintenant, que fera le nouveau parti de sa légalité ? Sera-t-il l'allié ou le concurrent du PJD ? Autant le dire dès maintenant : il faudra attendre longtemps pour voir Al Badil atteindre le degré de présence et de popularité actuellement atteint par le PJD. Ayant le vent en poupe, le parti de Saâdeddine Othmani ne craint pas, actuellement du moins, une quelconque émulation qui risque de le priver de son électorat et de ses clients de toujours. Plus aguerri, le PJD aura tout ces atouts. Al Badil n'en est que conscient. Paradoxalement, ce dernier peut se servir, justement, des acquis du premier et donc capitaliser son travail de déblayer le chemin au profit de tous les barbus. En clair : la normalisation, et donc la banalisation des acteurs islamistes au sein du champ politique est une longueur d'avance qui profite également à Al Badil. Du coup, il aura moins d'efforts à fournir pour se faire accepter. Contrairement au PJD qui a fait dès le départ de sa différence avec les hommes et les idées de gauche sa cible préférée, "Al Badil", lui, a opté pour la cohabitation. Un signe plus qu'éloquent : les amis de Mustapha Mouatassim ont toujours élu domicile aux locaux de la gauche unifiée, tantôt pour tenir leurs réunions, tantôt pour décliner leur plan d'action, grève de la faim y compris. Dans un cas comme dans l'autre, le PJD est resté, soigneusement, à l'expectative. Une manière de signifier aux autres qu'ils ne sont pas les bienvenus ? Quoi qu'il en soit, l'un des maîtres à penser de l'internationale "frères musulmans" au Maroc, et non moins pionniers de l'islamisme politique, Brahim Kamal, s'est rallié au mouvement de Mouatassim et non à celui d'Othmani. Une bénédiction, profane celle-là, pour souhaiter la bienvenue au nouveau parti.