Les autorités et médias turcs ont déclenché depuis quelques semaines une campagne de lynchage médiatique contre Orhan Pamuk en raison de ses déclarations à un journal suisse relatives aux massacres des Arméniens et des Kurdes en Turquie. Une cabale qui vient s'ajouter à celle, menée sur son aîné Nazim Hikmet. C'est la maison d'édition "Carl Hanser Verlag" qui a ouvert les débats en annonçant que le romancier turc Orhan Pamuk a dû annuler ses visites en Allemagne dans le cadre de présentation de la traduction en allemand de son dernier livre Kar (Neige). Ses éditeurs allemands précisent que Pamuk a décidé de ne plus participer aux débats publics pour éviter l'aggravation de la tension autour de son nom. La presse ajoute qu'Orhan Pamuk aurait récemment reçu des menaces de mort à cause de sa prise de position contestataire sur le génocide arménien. Pour l'auteur de "Mon nom est rouge", c'est le début de la cabale, une mise en bière médiatique qui tente d'effacer son nom des annales comme c'est le cas pour un autre géant de la littérature universelle, turc de sang, Nazim Hikmet. Par ses temps d'intégration et de lutte pour forcer la porte de l'Europe, lyncher Pamuk, est très mal vu. Où es-tu grand Hodja ? Pour Nazim Hikmet, l'auteur des "Paysages humains", il y a pas d'issue face aux barricades de l'histoire. On l'a haï en Turquie pour ses idées, et comme rien n'a changé depuis que Nazim est mort, la haine n'a fait que grossir pour peser de son gras sur la mémoire d'un génie. Quand le grand Nasreddine Hodja, déjà au XIIIè siècle disait que "c'est l'âne qui est dans le mauvais sens" alors que c'était lui qui faisait son bonhomme de chemin assis à l'envers sur la croupe de sa monture. Tout comme Beckette, des siècles plus tard, qui répète que c'est là, l'homme tout entier, s'en prenant à sa chaussure alors que c'est son pied le coupable. Et ici ni Hikmet , ni Pamuk, ne pourront être des chausse-pied de la mémoire turque. Et les faits l'attestent : en mars 2002, le ministre de l'intérieur a demandé qu'Hikmet soit rayé à titre posthume des registres de l'état civil, pour parachever la décision administrative prise du vivant du poète, en 1959, de le priver de sa nationalité turque. Hikmet n'est plus Turc. Il est paria, il est indésirable, il est une épine à jamais plantée dans le pied de l'Anatolie. Comme son jeune frère, Pamuk, Hikmet avait touché là où le mal est purulent : "Les lampes de l'épicier Karabet sont allumées/Le citoyen arménien n'a jamais pardonné/Que l'on ait égorgé son père/Sur la montagne kurde/Mais il t'aime/Parce que toi non plus tu n'as pas pardonné/A ceux qui ont marqué de cette tache noire/Le front du peuple turc." Mon nom est toujours rouge… Pamuk livre aussi ses vérités sur le génocide des Arméniens et la répression des Kurdes. Il est le témoin de son temps, et le gouvernement turc n'aime pas que l'on vient de l'intérieur lui dire qu'il a eu tort. Le quotidien Hürriyet a traité l'écrivain de "misérable créature" alors que des dizaines de voix réclament sa tête. La roue tourne et le chemin de l'échafaud n'est pas loin pour le plus grand écrivain turc vivant après Hikmet et Yashar Kemal. Tout comme l'auteur des Memed, Faucon ou Mince, la colère turque s'abattra sur lui sans merci. Comme si la Turquie n'aimait pas ses écrivains, sa conscience plurielle, ses sauveurs puisque ce sont eux qui lui montrent la voie à suivre. Elle réclame la mort posthume de ses sages, efface la mémoire dans les annales et crée la mort autour de l'œuvre. Paysages humains font le lien avec “Mon nom est rouge” comme si Memed le faucon était leur héros commun. Et comme dans les balades d'Ashik Fayçal, le troubadour kurde, il y a un homme qui bat la compagne sur son âne, à l'endroit, à l'envers, vers nulle part. Il marche et cela lui suffit comme cette mémoire qui malgré l'occultation ne sera jamais une page tournée si elle n'est pas lue.