La Salafiya expliquée à la DST Très intégristes ou différemment intégristes ? La réponse à cette question, sur fond juridique est ce qui anime un "mémorandum" signé par quatre des plus célèbres Chioukhs de la Salafiya. L'événement est presque passé inaperçu, pourtant il méritait une attention particulière. Se considérant les premiers intéressés par un rapport présenté, lors du dernier congrès international antiterroriste tenu à Riyad, par les services marocains (DST), les Chioukhs de la Salafiya Jihadia en ont profité pour se faire défendre, ou à tout le moins, faire entendre leur voix. Le document, signé par Mohamed Fizazi, Hassan Kettani, Omar Haddouchi et Abdelouahed Rafiki Alias Abou Hafs, n'en acquiert pas moins une importance. À plusieurs égards, d'ailleurs. Contexte Plus rompus au verbe et à la polémique, qu'à l'argumentaire, les Chioukhs de la Salafiya ont choisi dans un premier temps le bras de fer. De la grève de la faim au boycott de l'administration pénitentiaire, les Chioukhs et disciples de la nébuleuse salafiste jihadiste ont défrayé la chronique, avec un objectif en tête : révéler à l'opinion publique les conditions de leur détention. Or là-dessus, les détenus ne connaissent pas la même fortune ou infortune : les ténors et des prisonniers de Kénitra par exemple jouissent de tous leurs droits : d'une part, ils ne sont pas totalement coupés du monde et bénéficient même, d'une intimité “légale” avec leurs conjointes d'autre part. Le cas des détenus d'Outita II, devenu célèbre par la triste mésaventure des prisonniers soumis à des sévices inhumains, ne peut à lui seul s'ériger en contre-exemple : la machine de la justice de l'Etat a vite réagi et sectionné les matons très zélés. Après l'enquête menée par une commission relevant du Conseil consultatif des droits de l'homme (CCDH), les gardiens responsables des mauvais traitements devront répondre de leurs actes. Si leurs conditions de détention ne sont pas aussi horribles que ne laissent entendre leurs communiqué et déclaration, que veulent donc les Chioukhs ? Révision Au fond, trois ans après leurs condamnations dans le cadre des attentats terroristes du 16 mai, Fizazi et consorts cherchent la révision de leur procès. Les raisons d'une telle doléance ne manquent pas d'ailleurs. D'abord, il y a eu le communiqué du conseil national du PJD, lequel a clairement et nettement jugé iniques les sentences prononcées à leur encontre. Un acte politique de soutien qui, on le devine, tient compte d'une certaine propulsion au sein des sphères du pouvoir. Entre-temps, des voix se sont élevées, à brefs intervalles, prônant le dialogue avec les détenus radicaux. A. Benyessef, le secrétaire général du Conseil supérieur des ulémas et A. Taoufik, ministre des Habous, entre autres, n'écartent pas cette éventualité. À telle enseigne, qu'il est légitime de se poser la question: serait-on sensible à un dialogue, et donc à une reconnaissance de la Salafiya, version Abou Hafs ? En tout état de cause : un concours d'évènements semble plaider pour cette option. Un tournant de taille : S.M le Roi Mohamed VI avait déjà déclaré à El Pais que des exactions ont été commises lors des procès inhérents au 16 mai. Il va sans dire donc qu'un tel signe ne saurait être ignoré par les Chioukhs et leurs défenseurs. C'est dans ce contexte que s'inscrit la démarche actuelle des quatre guides attitrés de la Salafiya. Tentation Une expérience à l'égyptienne serait-elle possible ? La question s'impose, tant il est vrai que les "repentis" islamistes du Nil étaient, eux aussi, des pionniers de la guerre sainte et de l'ex-communion. Activistes depuis les années soixante, ils sont les premiers à avoir "excommunié" la société moderne. Qu'ils soient Qotbistes, Jihadistes ou Chawkistes, les adeptes armés de l'Islam ont semé terreur et désolation dans leur pays avant s'en prendre, dans une escalade meurtrière aux touristes. Après des années de descente aux enfers, plusieurs chefs historiques se sont publiquement repentis et renié leurs convictions passées. En serait-il de même pour Abou Hafs et les trois autres ? En trois ans, les Chioukhs sont-ils passés de moines soldats et de prosélytes fervents au statut de repentis ? Vu la courte durée, il serait encore tôt de juger les profonds changements qui se seraient produits, dans leur manière de vivre et de penser. Bien que les appels –le dernier en date est celui de Mohamed Yatim l'idéologue du PJD- se multiplient, la réserve reste toujours de mise. De part et d'autre. Les Chioukhs, eux, ont attendu que les pouvoirs publics fassent le premier pas afin d'établir un contact : rien, cependant n'a été officiellement entrepris. Pour l'Etat, aucun signe encourageant n'a été émis de la prison de Kénitra : "Il faut laisser le temps au temps", semble être la devise du moment. Cependant, des changements, aussi imperceptibles fussent-ils, ne peuvent laisser indifférents les pouvoirs publics. Au départ, le nombre des Chioukhs étaient de six : les quatre sus-mentionnés avec Miloudi Zakaria et Abdelkrim Chadli, en plus. Se débarrasser des plus ultras de la mouvance serait-il un signe pour rassurer l'autre partie ? Quoi qu'il en soit, “Le droit de réponse”, publié par les quatre autres n'est pas dénué de sens, autre que la polémique. Confrontés à un rapport accablant, les idéologues de la Salafiya tentent tout en reniant le label qui a fait leur renommée, de se présenter différemment. En un mot, à lire leur "mémorandum", on voit que les chioukhs n'ont eu de cesse de répéter qu'ils ne sont pas "très intégristes" mais "différemment" intégristes. Ceci est-il de nature à manifester leur goût pour la réconciliation ? Loin s'en faut. Leur verbe n'a rien perdu de son vitriol. Mais, contrairement à certains de leurs discours, les revirements sont notables : sur le plan théologique, ils récusent leur appartenance au courant excommunicateurs. Ou même au Wahhabisme. Ils jettent, dans la foulée quelques pierres à l'Arabie Saoudite. "Le pays Wahhabite qui a abrité le congrès où la DST a débité sa propre vision". Le référentiel du Machrek, qu'on reproche souvent au mouvement est également rejeté. Là où le "mémorandum" donne à réfléchir, c'est quand il aborde la forme du gouvernement. Si les Chioukhs admettent " que le Califat est la forme la plus achevée pour choisir le chef des musulmans", ils exposent pour la première fois, clairement et dans les détails, leur vision de la monarchie. "Les ulémas, expliquent-ils, ont admis la monarchie héréditaire".Car "L'Islam n'a pas tranché sur la forme du gouvernement”. Ce qui semble, ici, un tournant inédit, est assorti de “diktats” qui en disent long sur l'état d'esprit actuel des vétérans de la nébuleuse salafiste. La première des conditions, au demeurant prévisible, est “l'application de la Chariâa et sa sauvegarde”. Ensuite, la "monarchie doit garantir l'unité de la Oumma", sans pour autant préciser s'il s'agit de l'Etat-nation, ou de la "communauté musulmane". Une ambiguïté de taille ; étant donné que c'est dans ce "détail" que réside la perception "Califale" de la mouvance salafiste. L'adéquation des "lois positives" avec la Chariaâ est, enfin, la troisième des conditions. Il y a lieu, donc, de se demander : les autres courants islamistes, le MUR en tête, prônent-ils le contraire ? Et donc, sommes-nous à la veille d'une révision fondamentale au sein de la Salafiya? Répondre à un rapport, à caractère sécuritaire par une "thèse" théologico-politique, en gardant la vulgate idéologiquement islamisée, a du mal à convaincre à ce sujet-là. La tactique, semble-t-il, vise plus à entamer un dialogue "par ricochet". À cet égard : désavouer le travail des services pour prendre langue avec d'autres parties. Lesquelles ? C'est là tout le jeu et l'enjeu. En attendant, les Chioukhs ne sont certainement pas les seuls sur ce plan.