Me Abdellah Lamari, avocat membre du barreau de Casablanca et ancien détenu islamiste, estime que l'idée d'ouvrir un débat avec les Chioukhs de la Salafiya n'est pas opportune. ALM : Les Chioukhs de la Salafiya condamnés dans le cadre des procès de l'après-16 mai ont annoncé leur intention d'observer une grève de la faim à partir d'aujourd'hui pour revendiquer une amélioration de leurs conditions carcérales. Qu'en pensez-vous ? Abdellah Lamari : D'abord, il faut rappeler que les droits des détenus doivent être préservés quels que soient les actes pour lesquels ils ont été condamnés. Le cas des personnes inculpées dans le cadre de la loi antiterroriste ne doit pas déroger à cette règle. Je pense que les autorités judiciaires compétentes ont manifesté leur volonté de respecter cette règle. Rappelons que le ministère de la Justice en a donné la preuve dans le cas de la prison civile d'Outita II lorsqu'il a ordonné au Procureur du Roi à Meknès d'ouvrir une enquête sur les abus dont faisaient l'objet certains détenus islamistes dans ce centre pénitencier. Une enquête qui a été suivie par des mesures disciplinaires à l'égard des fonctionnaires qui se sont permis de violer les droits des détenus. Je pense qu'il existe une volonté réelle de la part de ce département de faire en sorte qu'il n'y ait plus d'abus. Dans ce cadre, il faut saluer l'adoption de la loi criminalisant la torture, l'adhésion du Maroc à des conventions internationales en la matière et l'examen par la justice de certains cas suite à leur dénonciation par les familles ou par des organisations de défense des droits de l'Homme. Outre la dénonciation de leurs conditions carcérales, certains Chioukhs de la Salafiya Jihadiya demandent une révision de leur procès… La plupart des personnes condamnées dans le cadre des procès de l'après-16 mai ont rejeté devant la Cour leur appartenance à la "Salafiya Jihadiya". D'ailleurs, la plupart d'entre eux ont affirmé, lors des séances publiques de leurs procès, leur ferme condamnation de la violence, de l'extrémisme et du "takfirisme". Cela dit, il existe certains cas qui méritent une seconde lecture. Il est à signaler que SM le Roi avait évoqué, dans un entretien accordé à un journal espagnol, que des cas de dépassements ont été relevés et qu'il fallait y remédier. Sachant que, conformément à la Constitution, les paroles du Roi ont une force ordonnatrice, le ministère de la Justice est appelé à mettre en œuvre les dispositions du code de procédure pénale qui lui permettent de demander la révision d'un procès qui s'est avéré inéquitable. Que pensez-vous de l'idée selon laquelle il serait opportun d'ouvrir des débats avec les ténors de la Salafiya ? Je pense qu'il s'agit d'un faux débat. Car, ceux qui ont appelé à engager un débat avec les Chio-ukhs, notamment dans certains milieux du PJD, se sont inspirés de l'expérience égyptienne. Or, il existe une très grande différence entre les cas marocain et égyptien. D'abord, contrairement à ce qui s'est passé en Egypte, il n'a jamais été prouvé que les Chioukhs marocains ont appelé à la violence ou encouragé une idéologie takfiriste. D'ailleurs, ils ont tous condamné les actes terroristes du 16 mai. En plus, ils n'ont, à aucun moment, porté atteinte à l'Institution royale ou à Imarat al-Mouminine. Je ne vois donc pas l'opportunité d'engager des débats avec des gens qui n'ont jamais remis en question les principes fondamentaux, notamment en ce qui concerne la légitimité de l'autorité religieuse du Roi en tant qu'Amir al-Mouminine. Ce qui n'était pas le cas en Egypte où tous les détenus étaient des takfiristes et donc l'objectif du débat qui a été ouvert avec eux était de les inciter à renoncer à leur idéologie appelant à la violence et de reconnaître l'autorité des institutions de l'Etat comme conditions préalables à une possibilité de leur accorder la grâce. Or, dans le cas marocain, les Chioukhs n'ont jamais renié, au moins ouvertement, l'autorité religieuse du Roi. Ce qui signifie que l'ouverture d'un débat avec eux n'a aucune finalité concrète. D'ailleurs, à ma connaissance, plus d'un quart des personnes condamnées dans le cadre des procès de l'aprrès-16 mai ont déjà demandé la grâce royale.