Années de plomb, Basri, droite, élections… "Il est dangereux de trop remuer le passé" affirme Abdallah Kadiri, secrétaire général du PND. L'essentiel selon lui est de tourner la page pour construire une démocratie solide où une droite libérale qui s'assume pleinement pourra jouer un rôle important. Cependant ce positionnement a encore besoin d'être davantage élaboré et précisé. Y a-t-il une droite au Maroc ? Le secrétaire général du Parti national démocrate (PND), Abdallah Kadiri s'affirme, en tout cas, "de droite, sans complexe". On devrait, selon lui, considérer désormais qu'une véritable démocratie nécessite la présence de forces politiques distinctes (une gauche, une droite, un centre) en compétition. Bien plus : ces courants doivent tous être assez forts pour que l'opposition ne soit pas une minorité sans poids, incapable d'avoir de l'influence au sein du parlement et sur la prise des décisions. Abdallah Kadiri tient ainsi à se démarquer de ceux qui sont des "droitiers honteux", au lieu de s'assumer clairement comme tels et qui préfèrent encore rester dans le flou, "un peu à gauche, un peu à droite" selon les circonstances et les intérêts du moment. Cependant ce désir louable de clarté aurait encore besoin d'une élaboration plus précise car le PND hésite encore entre un populisme ruraliste et un libéralisme "ouvert" mais sans contours distincts. Il reste surtout aux prises avec un passé peu élucidé et qui donne lieu encore à des attitudes ambiguës. L'IER et le passé C'est ainsi qu'à propos de l'Instance équité et réconciliation (IER), il avait participé aux critiques assez virulentes des audiences publiques qu'elle a organisées, ceci en chœur avec Abdelkrim Khatib et Mahjoubi Aherdane. Abdallah Kadiri tient cependant à nuancer cette position aujourd'hui en indiquant qu'il ne "met pas en question l'existence et le rôle de l'IER" et qu'il a du respect pour les membres de celle-ci "qui sont des nationalistes, cherchant le bien de leur pays et des personnes de valeur". Il rappelle à ce propos : "J'ai reçu ici au siège du parti (à Rabat), M. Benzekri et les autres membres de l'IER, je leur ai souhaité pleine réussite car si on peut réaliser la réconciliation, ce sera tant mieux. Mais je leur ai dit de faire bien attention à ne pas trop remuer le passé car cela peut être dangereux et se retourner contre tout le monde". D'après lui, il ne faut pas considérer le seul point de vue des victimes "car il y a aussi le point de vue de ceux qui n'ont fait que défendre le régime, le tout est de savoir qui a violé la loi” Il cite alors les exemples de pays comme l'Espagne et le Portugal "où on a préféré tourner la page au lieu de remuer sans fin le passé". Il souhaiterait que l'on s'en tienne "à une attitude moyenne, équilibrée entre les uns et les autres". On imagine que beaucoup ne sauraient admettre que l'on renvoie ainsi dos-à-dos les victimes et les auteurs, souvent trop zélés, des violations graves des droits humains. La mission confiée par le Souverain à l'IER est déjà une reconnaissance des abus commis au nom de l'Etat et de la défense du régime. Il est difficile de justifier les abus car ceux-ci ont enfreint les lois écrites de ce même Etat. La réconciliation implique, dans la nouvelle optique, de reconnaître d'abord les violations et de réhabiliter les droits des victimes. L'attitude des adversaires de l'IER semble, cependant, laisser Abdallah Kadiri assez mal à l'aise. Tenu par la fidélité à ses origines et amis politiques, il voudrait bien que l'on s'en tienne à une remise en cause minimale du passé car l'essentiel, désormais, est de construire "une démocratie sur des bases solides". Quand on lui demande la raison du rapprochement du PND et du MDS du très controversé Mahmoud Archane, il souligne que cela a eu lieu bien avant les audiences publiques de l'IER. L'objectif en fut la constitution de l'Alliance nationale censée regrouper l'opposition de droite après la disparition du Wifaq qui lui servait de pôle: "Nous avons pensé que le MDS était un parti ayant des élus à l'échelle nationale et locale et qu'il pouvait venir renforcer l'Alliance". Quant à Mahmoud Archane, "il est d'une bonne famille, il fut un haut cadre de l'Etat et c'est un ami, tant qu'il n'y a pas de preuves palpables des accusations qui le visent et selon lesquelles il était un tortionnaire, il reste pour nous irréprochable". Et A. Kadiri d'ajouter : "d'ailleurs, on en a surtout fait un bouc émissaire pour attaquer à travers lui Driss Basri, on a tout voulu lui mettre sur le dos !". Le MDS qui a 5 députés et un groupe à la Chambre des conseillers a ainsi été récupéré au sein de l'Alliance dont le noyau est le PND. Ceci contraste étrangement avec l'attitude de la Mouvance populaire qui n'a pas jugé utile de recueillir ce même MDS qui était pourtant issu d'elle à l'origine. Basri et Dlimi Qu'en est-il alors de Driss Basri qui était considéré comme le façonneur des "partis de l'administration" ? Abdallah Kadiri veut rester cohérent en l'évoquant : " aujourd'hui tout le monde est contre lui car comme dit le proverbe : lorsque la vache tombe, les couteaux se multiplient. C'était un ami, on s'est séparés seulement durant les années 1990. Depuis qu'il n'est plus au gouvernement, il aurait dû prendre une retraite tranquille et se taire. Il a fait son temps, c'est terminé, il devrait la fermer…". Cependant, à propos de l'entretien accordé par Driss Basri à "Jeune Afrique – L'intelligent" (du 6 mars 2005), Abdallah Kadiri relève qu'il y a livré "des témoignages assez intéressants pour l'histoire". Lequel, par exemple ? Celui sur le général Dlimi dont l'ex-ministre de l'intérieur a dit que "il ne fut pas un traître, absolument pas, c'était un patriote jusqu'au bout". Abdallah Kadiri reprend à son compte cette affirmation : "Dlimi n'était pas un comploteur, c'était un grand général et un grand nationaliste ; on le connaissait bien et on savait l'estime qu'il avait pour la monarchie". Le sort de Dlimi reste une énigme pour lui : "on ne sait rien de ce qui a pu se passer". Mais le chef du PND ne veut pas qu'on s'attarde trop sur le passé et au passage il insinue que "parmi les opposants de l'époque, il y en avait qui vivaient dans la maison d'Oufkir et dans la maison de Basri…” Comment donc effectuer la transition actuelle vers une démocratisation apaisée? Au-delà de l'ambiguïté de la relation au passé, laquelle nécessiterait de s'exercer à l'autocritique, il y a une recherche encore tâtonnante du positionnement au présent. A. Kadiri entrevoit ce dernier en estimant que la gauche, venue au pouvoir a adopté certaines idées de droite et que la droite "n'est plus celle d'antan". De ce fait, "il n'y a plus de monopole des idées". Mais où est, tout de même, la marque propre de la droite ? Kadiri définit le PND comme "parti de centre-droit, libéral, ouvert, inspiré par les réalités du pays". Le libéralisme invoqué n'exclut pas "de prendre la main des faibles" et de promouvoir des solutions aux problèmes sociaux des couches défavorisées, notamment dans le monde rural. On sait que le PND, depuis sa création en 1982, s'est voulu être l'expression du monde rural au point d'être qualifié de "parti des Aroubya". Cette coloration, il n'a pas cherché à s'en défaire, même s'il revendique une implantation dans toutes les régions, du Nord au Sud, et dans les grandes villes. Le leader du PND considère que sa défense constante du monde rural a eu de l'influence quand on voit l'évolution de la politique en direction des campagnes longtemps délaissées. Quel libéralisme ? Les accents populistes ruralistes continuent de marquer un credo “libéral” assez particulier. Il en est de même de la référence à un traditionalisme assez conservateur qui a fait que le PND s'était aligné sur les adversaires du plan d'insertion de la femme dans le développement à l'époque du gouvernement d'alternance, faisant ainsi chœur avec les mouvements islamistes. Il est vrai qu'il préconise aussi des mesures au profit des femmes, "notamment du monde rural" et qu'une organisation des femmes a été créée au sein du parti. A. Kadiri fait l'éloge de Milouda Hazib qui joue un rôle de premier plan dans cette organisation et fait partie des instances dirigeantes du parti. Très en vue en raison de ses interventions, elle semble incarner un peu de renouveau dans ce parti, quoique, rappelle le secrétaire général, "elle est au parti depuis le début et elle y a été bien formée". Le positionnement "libéral" s'exprimme aussi dans la critique des sitiations de monopole, notamment dans le secteur financier. La "plate-forme politique" du PND s'attaque même à ce sujet qui, selon elle, "est resté jusque-là tabou", puisqu'elle souligne que “il est possible que ceux qui détiennent le monopole puissent rendre l'Etat prisonnier de leurs désirs et volontés”. L'allusion ici est assez claire et vise les milieux dominants dans les banques et les assurances. Le "libéralisme" est ici une revendication d'une plus grande ouverture de tous les secteurs à la mobilité économique et sociale, sans entraves ethniques ou régionales. Encore à la recherche d'elle même, entre libéralisme, conservatisme, populisme et difficile apprentissage de l'autonomie, la droite, plutôt incertaine, envisage l'avenir et les échéances électorales prochaines avec encore peu d'assurance. Abdallah Kadiri estime qu'il faut reconsidérer le mode de scrutin de liste à la proportionnelle et au plus grand reste. Ce mode a, en 2002, "abouti à un émiettement des partis politiques avec un nombre limité de députés pour chacun". Aussi préconise-t-il d'adopter lors des prochaines élections le mode uninominal à deux tours avec un tiers des députés élus sur une liste nationale. Ce tiers permettra aux partis "de disposer d'éléments de valeur, capables d'effectuer un bon travail au Parlement et d'être les animateurs assidus des groupes". Le second problème sur lequel veut insister A. Kadiri est celui de l'argent sale dans les élections par lequel on achète les voix et les élus. "Il faut, affirme-t-il, que l'Etat se montre sévère à l'encontre des utilisateurs de l'argent par des sanctions dissuasives comme on n'en a pas vu jusqu'ici. L'argent est dangereux pour la démocratie car des lobbies peuvent ainsi acheter des élus et influencer les lois, ils peuvent même acheter une ville lors des élections locales". Quand on lui fait remarquer que bien avant, lorsque les partis administratifs étaient gratifiés de la majorité, l'argent était largement utilisé, A. Kadiri précise : "non, à l'époque, c'était l'Intérieur qui était le plus décisif, car même des candidats riches ayant distribué de l'argent échouaient si on ne voulait pas qu'ils passent". Le chef du PND applaudit à la clause ajouée dans la dernière version du projet de loi sur les partis et qui interdit les migrations des élus entre les groupes parlementaires. L'Alliance après le Wifak Le nouveau cadre légal et l'appel du roi en faveur de la constitution de pôles politiques déterminent les mouvements visant à rassembler la droite. Le Wifak qui regroupait l'UC, le Mouvement populaire et le PND a cessé d'exister depuis l'entrée du Mouvement populaire au gouvernement. L'Alliance qui autour du PND rassemble le MDS de Mahmoud Archane, le PRD d'Abderrahmane El Kouhen, l'ICD de Mohamed Benhamou et le PDI d'Abdelouahed Maach attend que l'UC la rejoigne après son congrès. L'attitude de ce dernier parti semble plutôt hésitante et on l'a même vu adopter à propos de l'Instance équité et réconciliation une position nettement bienveillante et se démarquant des autres composantes de la droite. L'UC rejoindra-t-elle l'Alliance comme le souhaite A. Kadiri : la chose ne semble pas encore entendue. En tout cas, le PND voudrait qu'aux prochaines élections, la droite resserre ses rangs et propose des candidatures communes. Kadiri affirme, à ce propos, que "nous discutons avec nos amis de la Mouvance populaire et même avec une partie du PJD… " Le PND envisage de tenir son prochain congrès en juin prochain. Au programme, il y a la mise à jour de la plate-forme politique et des statuts pour les mettre en conformité avec la loi sur les partis. Il y a aussi l'introduction du système de désignation des candidats aux élections avec les recours internes en cas de contestation. Quant aux frictions qui ont, au cours des années précédentes, secoué le parti et nui davantage à son image, "elles sont dépassées et ceux qui nous ont quittés se sont marginalisés et ont quitté la politique". La presse du parti (un hebdomadaire "Annidal Addimocrati", de faible audience) sera aussi revue. La préférence de Kadiri va plutôt à l'animation d'une cellule de communication en direction des médias et de l'opinion. En tout cas, il veut veiller au grain pour garder, soudés autour de lui, les éléments de son parti par ces temps incertains. Cependant, confie-t-il, il n'avait pas au départ vraiment une vocation politique. Militaire de formation et de carrière jusqu'en 1973, il avait "demandé à Hassan II de l'autoriser à quitter l'armée car celle-ci avait été trop mêlée aux choses politiques" avec les tentatives de putsh. Après avoir “réussi dans les affaires dans le privé”, il a été “encouragé” par le roi défunt à faire de la politique “et depuis je suis dans ce giron". Après les péripéties allant jusqu'à la création du PND qui, ensuite, “a été pénalisé car son langage sur le monde rural ne plaisait pas”, cette carrière politique a été marquée par le colmatage des dissensions internes et l'opposition aux ambitions trop impatientes des prétendants à la direction du parti. Cette volonté de tenir la barre est évidente, avec le souhait de trouver un second souffle pour une droite qui n'est pas sortie indemne du passé. Même si Abdallah Kadiri a la coquetterie de dire : " j'espère que je ne durerai pas trop, quoique j'aurai droit encore à être reconduit une fois comme secrétaire général si les congressistes le voudront bien…”