Décryptage L'opinion publique s'interroge sur la nature de cette guerre politique déclarée qu'entretiennent l'USFP et les islamistes du PJD. Cette guerre qui a dépassé le cadre de la confrontation par organes de presse interposés, s'est étendue au parlement où la polémique était montée d'un cran au point de se transformer en insultes. Cet échange d'accusations pousse à chercher les véritables raisons qui ont amené les deux partis à aiguiser leurs couteaux de la sorte. Cette polémique, a-t-elle un lien avec les calculs électoralistes ? L'affaire dépasse-t-elle ce cadre ? En tout cas, pour essayer de comprendre, il faut revenir aux origines. Les origines Les origines de cette guerre partisane et politique remontent à la décision prise par le conseil exécutif du PJD en octobre 2000 de quitter la majorité et de se positionner dans l'opposition. La question qui s'était alors posée est la suivante : le PJD n'avait-il pas été poussé sciemment à retirer son soutien au gouvernement ? Personnellement, j'ai répondu à cette question par l'affirmative. J'ai même indiqué, qu'il y avait trois raisons qui ont conduit Abderrahmane Youssoufi à faire pression pour que le PJD aille à l'opposition. Ces raisons sont les suivantes : Recherche d'une restructuration minimale de la majorité/B Abderrahmane Youssoufi a essayé de mettre en place une plate-forme minimale pour la majorité dans la perspective de lui garantir plus de cohésion. D'autant plus que l'USFP a rejeté depuis le début l'option du soutien critique du PJD qui lui permettait de ne pas s'insérer totalement dans le jeu. Ce soutien critique a sérieusement ébranlé l'action gouvernementale, puisqu'en fait, le PJD adoptait une politique de très forte opposition notamment à travers deux étapes importantes. Il s'est prononcé, au début, contre le projet de loi sur les micro-crédits pour ensuite mener une vaste campagne contre le plan d'intégration de la femme dans le développement. Youssoufi ne pouvait plus tolérer ce double jeu. Les pressions des alliés objectifs Depuis la constitution du gouvernement le 14 mars 1998 et le ralliement du PJD à la majorité, Youssoufi n'a pas cessé d'essuyer des critiques de la part d'une partie influente de son propre parti et de la part d'un courant moderniste voire laïc situé en dehors du parti qui rejetait toute forme de concertation avec des " forces obscurantistes" qui n'ont, de par leur comportement, aucun rapport avec les valeurs de la démocratie et qui sont hostiles à la libération de la femme. D'ailleurs, la journée du 12 mars 2000, caractérisée par l'organisation de deux manifestations distinctes à Rabat et à Casablanca, a constitué une étape de rupture effective entre l'USFP et le PJD. Les calculs politiques Comment Youssoufi devait-il procéder pour renforcer l'homogénéité de la majorité et répondre aux attentes de ses alliés ? La réponse à cette question a été trouvée par Youssoufi dans les concepts mêmes du rôle politique tels que véhiculés par la culture politique du PJD. En effet, les documents de référence du PJD n'indiquent pas clairement les frontières entre le rôle politique et l'identité idéologique. Dans le document intitulé "principes et orientations" adopté le 2 juin 1996 on peut lire ce qui suit : " …le parti refuse d'être catalogué dans les configurations qui divisent les partis en deux catégories – gauche-droite ou majorité-opposition ". Cette confusion a été à la base de l'option du soutien critique qui est devenue une identité idéologique. En effet, certains membres dirigeants de ce parti considèrent qu'ils sont les véritables représentants du centre. C'est pour cela, que ce soutien critique veut dire que le PJD peut approuver le gouvernement s'il mène, à son sens, une politique qui lui convient et peut le critiquer s'il s'avère qu'il a porté atteinte à l'identité de la nation et aux intérêts du pays. Par conséquent, si ce soutien critique est formulé de cette manière, Youssoufi ne ressent aucune crainte que ce parti se positionne dans l'opposition. D'autant plus que l'option de l'opposition-conseil ne diffère en rien du soutien critique. Le docteur Abdelkrim Khatib a senti que son parti était poussé vers la sortie, c'est pourquoi il a adopté une autre position par rapport à l'USFP. Dans l'allocution qu'il a prononcée le 1er octobre 2000 lors de la réunion du conseil national du PJD, il a clairement dit qu'il considérait le PJD comme un parti islamiste et que le Coran indiquait clairement qu'il y a le peuple de droite et le peuple de gauche. Les causes Les causes de cette guerre politique ont un lien direct avec les positions des uns et des autres quant à l'appréciation de la lutte palestinienne. Elles se situent à deux niveaux. Le premier niveau se situe dans le renouvellement des instances de l'Association marocaine de soutien à la lutte du peuple palestinien (AMSLP). L'USFP a, depuis des mois, lancé des signaux indiquant qu'il était nécessaire d'éjecter Khalid Soufiani. A cet effet, la direction de la Koutla s'est réunie pour trancher sur la question du successeur du président. Il a été convenu consensuellement de désigner l'istiqlalien Mohamed Benjelloun Andaloussi à la tête de cette association. Mais il est nécessaire de souligner que cette structure n'a plus le même nombre de partis qui la composaient auparavant. Actuellement, seuls les partis de la majorité y sont représentés. Ce changement a déplu au PJD qui a considéré que l'association a été déviée de son orientation principale. Devant cette accusation, la réaction des nouveaux responsables de l'AMSLP s'est illustrée lors d'une conférence de presse organisée à Rabat, qui ont pour la première fois dévoilé que des milieux islamistes profitent de la question palestinienne pour recueillir des fonds dont la destination demeure inconnue. L'AMSLP a également indiqué que le journal "Attajdid" publie régulièrement un communiqué appelant à collecter des fonds au profit des Palestiniens et qu'en fait ces fonds sont détournés vers une autre destination puisque le compte était ouvert initialement pour soutenir la Bosnie-Herzégovine. Le journal "Al Ittihad Al Ichtiraki" a pris le relais pour revendiquer que la lumière soit faite sur ce compte et appelé le PJD à rendre compte au peuple marocain du sort réservé à ces fonds. Dans une série d'éditoriaux et d'articles "Al Ittihad Al Ichtiraki" a accusé le PJD de profiter de ces fonds pour financer ses campagnes électorales, ceci d'autant plus que l'ambassadeur de Palestine avait indiqué n'avoir reçu aucune aide provenant de ce compte. De même que le gouvernement a dénoncé le caractère illégal de ces collectes qui ne sont autorisées que sur ordre du secrétaire général du gouvernement. Le deuxième niveau se situe par rapport aux positions relatives à la tenue du congrès de l'Internationale socialiste à Casablanca et plus particulièrement au sujet de la participation d'une délégation israélienne. Le PJD considérait que la participation à ce congrès du parti du travail portait atteinte à la cause palestinienne. De son côté, l'USFP considère que la tenue du congrès à Casablanca sert énormément la cause palestinienne. Peut-on dès lors considérer que cette guéguerre entre le PJD et l'USFP est une campagne électorale précoce ? La réponse ne peut être que négative. Les causes de cette polémique se situent bien au-delà de ce qui est conjoncturel, puisque le PJD a, depuis un certain moment, commencé à jeter le doute sur l'allégeance de l'USFP à l'institution de la monarchie.