Production cinématographique internationale au Maroc Le Maroc a renforcé son ambition de devenir une plate-forme internationale de tournage de films. De nouveaux investisseurs arrivent dans le secteur pendant que la concurrence en provenance de Malte, de la République Tchèque, du Mexique et de Roumanie se fait menaçante. Paradoxalement, Ouarzazate, capitale du septième art, ne dispose plus de salle de cinéma : les deux salles de la cité, notamment “Sahara” et “Atlas”, plongées dans la décadence, ont tour à tour baissé leur rideau entre 2003 et 2004. Pourtant, dès l'entrée de la ville, Atlas Corporation Studios, créé en 1985, rappelle au visiteur qu'il est bien arrivé à “Hollywood” aux portes du désert. Bénéficiant d'une histoire ancienne, qui remonte au début des années 50, la production cinématographique internationale est en effet le véritable poumon économique de cette région désertique aux décors naturels montagneux épatants. “Ici, les coûts de tournage sont inférieurs de plus de 30 % à ceux des studios européens qui sont eux-mêmes bien inférieurs à ceux des studios américains”, indique Youssef qui s'active au milieu des décors de films mythiques. Nouveaux investissements À quelques mètres d'ici, S.M Mohammed VI venait d'inaugurer, le 12 janvier 2005, un nouvel ensemble de studios de cinéma. Ces nouveaux studios, réalisés sur 160 hectares pour un investissement de 70 millions de dirhams, sont le fruit d'un partenariat entre les studios italiens Cinecitta, le producteur italien Dino de Laurentiis et l'investisseur marocain Saïd Alj, patron de Sanam Holding (dont les principales filiales sont Unimer-VCR, Stokvis, Taslif et Kasbah Resorts). Il est présent dans le tour de table à la demande du producteur italo-américain qui tenait à ce que des intérêts locaux participent à l'aventure. En construction depuis un an et demi, ces studios baptisés “CLA” (initiales des trois associés privés qui ont financé le projet) ont été créés pour permettre avant tout la réalisation d'une superproduction américaine, selon ses promoteurs. C'est en effet le film de Baz Luhrman, “Alexandre”, produit par De Laurentiis, qui devait être tourné dès le début de cette année dans ces nouveaux locaux. Mais comme Oliver Stone a réussi à terminer un autre “Alexandre” en 2004, le projet a été reporté. Du coup, le premier utilisateur de cet “outil” cinématographique dernier cri devrait être John Boorman, pour un film sur un autre empereur de l'Antiquité, Hadrien. Le chantier des nouveaux studios devait être lancé à Marrakech. Djamel Debbouze fait partie du tour de table, constitué de la Cité du cinéma de Montréal et d'autres opérateurs nationaux et étrangers. Les atouts du Maroc Longtemps considéré comme un Eldorado pour les cinéastes, le Maroc a toujours ambitionné de devenir une plate-forme internationale de tournage. “Le soutien de l'Etat, le professionnalisme et la mise à contribution des soldats de l'armée proposés à très bas prix ont fait que l'ensemble des intervenants est devenu efficace”, souligne Farih Ismaïl, responsable de la communication de Sanam Holding. Pourtant, la concurrence est vive et menaçante. Malte, la République Tchèque, le Mexique et la Roumanie sont devenus aussi des terres d'accueil du world cinéma. Les studios implantés à Madrid et à Valence sont même rudement concurrencés par ces destinations surtout pour certaines spécialités comme le tournage maritime. “Mais, face à cet engouement, des pays comme Malte et le Mexique ont commencé à pratiquer la surenchère, ce qui profite au Maroc qui demeure intéressant aux yeux des producteurs”, précise Farih Ismaïl. Aujourd'hui, avec la tendance cinématographique pour les films historiques, il faut dire que le Maroc, particulièrement Ouarzazate, jouit d'un atout de poids. De nombreux réalisateurs ont choisi la province pour sa luminosité, la diversité des paysages (plaines, plateaux, désert, montagnes, gorges, casbahs, fleuves, lacs), des milliers de figurants, notamment des soldats de l'armée. De plus, les quatre sociétés de production marocaines (Dunes Films, Zak Production, Darif Production et Dawliz) permettent de travailler dans des conditions optimales. D'ailleurs, au fil des tournages, des compétences ont été formées localement même si cela a pris du temps. “Sur un tournage où l'on faisait venir de l'étranger 300 techniciens, il faut seulement maintenant une dizaine à la place”, signale un promoteur. Exonérations fiscales, tarifs aériens et hôteliers préférentiels, facilités de transit douanier : le Maroc a compris dès le début des années 1990 que ses dunes et sa lumière ne suffiraient pas. Depuis, Ouarzazate, où se déroulent la plupart des tournages étrangers dans le pays, ne cesse de confirmer sa vocation de capitale du septième art. Depuis 2004, la ville promeut les filières de formation dans les domaines du cinéma et de l'audiovisuel. Retombées financières Mais quelles sont les retombées financières pour le pays ? Elles sont considérables si l'on en croit le chargé de communication de Sanam Holding. “Déjà, quand une production arrive, il faut qu'elle soit logée. Le film de Ridley Scott, “Le royaume du paradis” , consacré au sultan Salaheddine a mobilisé pendant cinq mois près de 5.000 personnes. Budgétisé à 170 millions de dollars, plus de 10 % de cette somme ont été investis au Maroc”. Sur une autre production comme “Jérusalem” dont le budget avoisine les 170 millions de dollars, pas moins de 50 millions de dollars ont été dépensés dans le Royaume. Parallèlement, beaucoup de films de publicité, de documentaires, sont également tournés dans les studios marocains souvent avec de gros budgets. Ils sont souvent réalisés pour le compte de multinationales. C'est le cas du Cabinet Price Waterhouse Cooper qui avait dégagé un budget d'un million de dollars au moment de sa fusion pour un tournage à Ouarzazate. À côté de la cinquantaine de longs métrages, la capitale du septième art a accueilli les équipes de plus d'une centaine de reportages, 75 documentaires, et une quarantaine de spots publicitaires. Outre la création d'emplois, l'activité cinématographique booste énormément l'activité touristique, la restauration ainsi que la fabrication de décors. Ouarzazate ne vit d'ailleurs qu'au rythme des tournages de films. “Imagine, la ville qui reçoit simultanément trois grandes productions, nous n'aurons pas la possibilité d'assurer leur hébergement. La capacité hôtelière serait très insuffisante”, fait remarquer un hôtelier de Ouarzazate. Aujourd'hui, de plus en plus de tour opérateurs commercialisent la destination promettant de faire pénétrer le touriste dans les secrets des décors de films mythiques. Pour certains opérateurs, pourtant, le Maroc mérite mieux si l'infrastructure cinématographique suivait tout comme les ressources humaines. En effet, sur les trois types de studios cinématographiques, seule une catégorie existe encore sur le territoire national, notamment ceux qui louent des bureaux, ateliers et fournissent de l'électricité et le téléphone. Ces types de studios doivent en fait évoluer vers les deux autres : ceux qui disposent de tous les équipements sauf des caméras (studios de tournage équipés) et ceux qui ont l'infrastructure et l'équipement et qui produisent des films (studios de production). Pour les promoteurs, les perspectives restent prometteuses, comme en témoigne la construction des studios CLA qui renforcera davantage l'attrait de Ouarzazate et son image de marque en tant que site privilégié de tournage cinématographique à travers le monde. Seule inquiétude à leurs yeux : si jusque-là l'exonération fiscale reste un acquis, cela ne pourrait pas être le cas dans les prochains mois. Le CCM (Centre cinématographique marocain) travaillerait sur un chantier qui mettrait en place de nouveaux droits pour le secteur. Contactés, les responsables du centre ont balayé d'un revers de main cette affirmation. En tout cas une telle mesure venait à se concrétiser, ce serait un coup de frein à la nouvelle dynamique enclenchée par les investisseurs. L'activité de tournages cinématographiques au Maroc doit drainer de nouveaux investisseurs et ouvrir définitivement la voie à l'industrialisation du cinéma dans le Royaume.