La crise des maisons de production a atteint son apogée au Maroc, pourtant destination de choix en matière de tournages étrangers. Concurrence déloyale, prix bradés et semi-clandestinité rongent un secteur appelé fatalement à s'organiser. Proie depuis quelque temps à une crise aux multiples ramifications, le secteur des maisons de production commence, plutôt timidement, à envisager une éventuelle restructuration. En attendant, plus d'une maison de production, concurrence et poids de certains grands groupes obligent, risquent de fermer boutique. La seule règle désormais est celle du plus fort. Ce qui est, économiquement parlant, légitime. Surtout quand on cherche à saisir les véritables motifs ayant conduit à cette crise. Une crise paradoxalement liée à l'engouement dont le Maroc a fait l'objet de la part des cinéastes étrangers. De Marrakech à Essaouira ou Ouarzazate, le Maroc a longtemps été un eldorado pour ces derniers. Ce n'est donc pas l'intérêt de tourner des films au Maroc qui manque. Exonérations fiscales, tarifs aériens et hôteliers préférentiels, facilités de transit douanier. Le Maroc a compris dès la fin des années 80 que ses dunes et sa lumière ne suffiraient pas. Et puis, la concurrence est rude : Malte, Prague, la Roumanie et le Mexique sont devenus aussi des terres d'accueil du «world cinema». Parmi les mesures accordées pour accompagner cet engouement figurent également des facilités accordés aux maisons de production. Chose qui a poussé plus d'un à se lancer dans le secteur. Mais ce qui a été constaté, c'est que pas tous ceux qui se sont lancés étaient des professionnels. «Certains croyaient qu'il suffisait d'ouvrir un bureau et d'avoir une ligne téléphonique pour se dire producteurs. Cela a engendré une création en masse de maisons de production, dont plusieurs n'avaient que le nom, ce qui a non seulement affaibli la position des maisons sérieuses sur le marché, mais tout le secteur a perdu de sa crédibilité», déclare Latif Lahlou, patron de Cinetelema. D'autant que même les potentialités de développement de la production sont loin d'être aussi prometteuses qu'on a eu tendance à le croire. Sarim Fassi Fihri, directeur du Studio Cinedina, qui s'exprimait sur les colonnes de la revue «Le Point» précisait que les retombées des tournages étrangers étaient faibles. Pour exemple, seuls 5 % du budget d'« Alexander», qui s'élève à 150 millions de dollars, ont été investis au Maroc. Tous les techniciens et tout l'équipement sont venus des studios londoniens de Pinewood. « A partir de là, expliquait Fassi Fihri, il n'a plus été question d'une vraie production marocaine». Cet exemple s'applique bien entendu à la plus grande partie des tournages étrangers au Maroc. Quant à la production nationale, celle-ci demeure tout simplement trop faible pour générer une industrie connexe de cinéma. A titre d'exemple, seuls trois films ont bénéficié de l'aide du Centre cinématographique marocain l'année dernière. «Le grand problème demeure justement celui du financement de films. Renforcer la position des maisons de production à un préalable, à savoir celui des budgets de films», ajoute M. Lahlou. A ceci s'ajoute les effets de conjoncture, qui ont favorisé l'émergence d'une stratégie visant certes une multiplication des tournages, mais en l'absence de la fermeté et la rigueur qui s'imposent et dans un climat de laisser-aller, il devient clair que les résultats escomptés ne seraient pas au rendez-vous. «N'importe qui pouvait s'improviser producteur. Sans de véritables investissements, certains se sont mis à brader les prix, travaillant en semi-clandestinité et ne tirant aucun parti de leur travail avec les étrangers en termes de professionnalismes et modes de gestion. Cela ne nous a conduit nulle part », déclare un producteur ayant requis l'anonymat. Face à cet état de fait, la restructuration est devenue une nécessité, dictée non seulement par un effort d'auto-critique, mais par l'évolution intrinsèque du marché. Un marché qui ne pardonne pas et ne pardonnera désormais plus de gestion de l'amateurisme, ni les solutions de facilités. Seuls les plus forts, structurellement parlant, et ils existent, auront le droit de cité. Les efforts entrepris actuellement, nous dit-on, au sein du CCM vont dans ce même sens en tentant d'apporter davantage de transparence et de rigueur quant à l'attribution des marchés. Amen.