Trafic de drogue dans le Détroit de Gibraltar Le double jeu de l'Espagne dans le dossier de la lutte antidrogue. Entre appui des trafiquants et infiltrations qui ont converti la péninsule ibérique en un lieu de passage qui dessert l'Europe tout entière. Comment comprendre aujourd'hui que la Guardia civile et l'armée soient impliquées dans l'un des réseaux les plus forts du trafic de haschich du moment? Comment admettre les lois européennes qui pointent les voisins de la communauté du doigt alors qu'elles devraient d'abord trouver les failles dans leurs propres systèmes de contrôle ? L'affaire qui vient de secouer l'Espagne n'est pas un cas isolé dans la gestion des dossiers liés à la drogue chez le voisin du Nord. Cela remonte à plus de dix ans et les documents recensés par la justice espagnole s'empilent sans fin. À Madrid, ce ne sont pas les commentaires qui font défaut : un haut responsable du syndicat de la police laisse éclater sa colère: “il fallait s'y attendre, surtout à Sebta et Melilla. Nous avons avisé des possibles dérapages car nous savions depuis longtemps que des alliances se font dans ces milieux de trafic entre policiers et criminels. Aujourd'hui, il n'y a plus rien à cacher ?“. Quand l'affaire éclata, il n'y avait plus rien à dissimuler vu que l'onde de choc va plus loin que les Espagnols eux-mêmes n'osaient soupçonner. On réalisa très vite qu'un corps de la sécurité qui se laisse pénétrer par l'argent de la drogue pourrait avoir des répercussions sur les autres et laisser un réseau sale tisser des complicités avec les trafiquants venant du Maroc et ceux qui livrent l'Europe dans sa totalité de Lisbonne à Dublin et de Reykjavik à Istanbul. Le détroit et ses enjeux Il serait malaisé de croire que l'Espagne ne profite pas au maximum du Détroit de Gibraltar, non seulement pour le commerce mondial et toutes les activités légales qui y sont attachées, mais aussi pour les facilités que cela crée pour la criminalité de tous genres. Ce que pensent certaines voix socialistes surtout dans la jeunesse de gauche en Espagne lève un peu le voile sur cette manne qu'est la région pour l'illicite. “le haschich, les clandestins, les terroristes, c'est tout un ensemble. Nous avons tiré la sonnette d'alarme depuis longtemps, mais rien n'a été fait sérieusement pour que les choses changent. Aujourd'hui, ce n'est que le début des scandales.“ Pour ce jeune politicien de Sebta, les deux villes occupées ont toujours été aussi des zones tampons pour le crime organisé. On ne peut parler de réseaux qui s'installent, de filières qui prospèrent sans évoquer la possibilité d'un appui des forces de sécurité. Ce qui arrive aujourd'hui avec ces différentes affaires qui impliquent l'armée et la Guardia civil, permet de voir la question sous d'autres angles. Il y a d'un côté les connexions entre Marocains et trafiquants espagnols. La police creuse aujourd'hui dans ces circuits peu connus d'elle pour voir quelle pourrait être la portée de ce choc. Ensuite, il y a les networkings qui couvrent l'Europe avec l'Espagne comme porte de passage et de répartition des marchandises. Ce que savent les responsables de sécurité à Madrid, c'est que “les réseaux sont multiples et il n'y a pas que des Marocains.” Alors devant une question aussi simple que celle de savoir ce que l'Europe des 25 décide de faire en termes de resserrement des filets dans le Détroit, les réponses recueillies demeurent très faibles. On nous parle d'un déficit de politique européenne commune pour la lutte contre le trafic de drogue, on nous sort le chapelet sur les nouvelles lois antiterroristes qui doivent du fait couvrir aussi les réseaux des passeurs d'hommes et du haschich. Mais ce qu'il faut savoir, c'est que sur le terrain, les failles sont béantes et permettent des alliances incestueuses entre différents groupes criminels avec, comme c'est le cas aujourd'hui, l'appui et l'aide de l'armée espagnole. L'affaire en cours, apprend-on au moment où nous mettons sous presse, risque de faire éclater un orage sans précédent en Espagne qui non seulement doit faire face à l'implication de la Guardia civile dans les attaques de Madrid mais aussi dans les réseaux de trafic de drogue. Affaire à suivre Acte d'accusation des 15 officiers Le dossier 386/04 transmis par l'Association unifiée de la garde civile (AUGC), au début du mois de décembre 2004, aux bureaux de l'Audience nationale espagnole, implique un total de quinze membres de l'Unité organique de la Police judiciaire de la Commanderie de Melilla. Parmi eux figurent plusieurs hauts gradés dont un commandant, un lieutenant, un caporal et d'autres galonnés ainsi qu'une dizaine d'agents chargés de la sécurité des frontières. Selon l'instruction ouverte par le juge Ismaël Moreno, la plainte de l'AUGC affirme que toutes ces personnes sont impliquées dans un «trafic de drogue» dans le cadre d'un «réseau de corruption» dont le fonctionnement est caractérisé par une «parfaite hiérarchisation» de ses membres et activités. L'AUGC affirme dans la plainte de l'instruction qu' «il s'agit de trafic de drogue moyennant l'utilisation des prérogatives et conditions de travail des membres de la garde civile, et de tous les moyens techniques et des relations que, comme conséquence d'être la seule unité spécialisée dans la répression du narcotrafic, ces membres avaient mis à leur disposition». Ce qui signifie que les accusés de la Commanderie melillaise, qui sont aussi dits connectés «aux mafias de l'autre côté de la frontière», c'est-à-dire le Maroc, jouaient leur rôle dans la chaîne d'exportation du haschich en balisant la route du Détroit de Gibraltar jusqu'en Espagne. Le responsable maximal du réseau de la Commanderie de Melilla est «un officier qui manipule le personnel placé sous son commandement et dans son entourage». Ce responsable dirigerait les corrompus d'une main de fer et jouirait de grandes prérogatives à Melilla. Il est décrit par l'AUGC comme une autorité complaisante, qui «offre une protection à plusieurs personnages appartenant aux mouvances criminelles de la ville espagnole». D'autres mis en cause avaient «des contacts avec des cercles mafieux de Melilla et du Maroc. Ces relations ne s'inscrivaient aucunement dans ce que l'on pourrait qualifier d'activités liées au service».