Abdellatif Jouahri, gouverneur de Bank Al Maghrib Sans détour, le gouverneur de la Banque centrale aborde plusieurs thèmes d'actualité et revient sur le plan de modernisation de cette institution monétaire. Les performances réalisées par le Maroc doivent être consolidées pour permettre de relever les défis liés à une plus large ouverture de l'économie. La Gazette du Moroc : le système bancaire souffre depuis quelques années des créances en souffrance. Alors que la nécessité de faciliter aux PME l'accès au financement bancaire est de plus en plus pressant avec l'ouverture des frontières et la mise à niveau qui en découle. Quelles sont les mesures adéquates à prendre aussi bien au niveau du système bancaire qu'à celui de la justice pour parer au plus pressé ? Abdellatif Jouahri : en dépit du cadre incitatif mis en place par les pouvoirs publics dans le cadre de la politique de mise à niveau des entreprises et bien que le marché du crédit demeure globalement offreur, les PME continuent de rencontrer des difficultés pour se refinancer auprès des banques. Les justifications avancées pour expliquer cette situation mettent en avant l'insuffisance du niveau des fonds propres de ces entreprises, le manque de transparence de leur information financière et une évolution alarmante du taux de sinistralité sur les crédits. De ce fait, les banques hésitent à s'engager alors qu'elles ne sont pas toujours en mesure de procéder à une évaluation précise du risque encouru. Pour dépasser cette situation, la mobilisation de l'ensemble des acteurs concernés (banques, PME et pouvoirs publics) s'avère nécessaire. Dans cette perspective, l'évaluation et la juste rémunération du risque devraient être placées au cœur des mécanismes de décision en matière d'octroi des crédits des banques. A cet effet, la Banque centrale a demandé aux banques de développer des outils d'aide à la décision et en particulier le rating, et de les élargir aux PME. Dans ce cadre, les centrales de données financières sont primordiales pour mettre à la disposition des banques une information fiable et en temps opportun. Toutefois, ces mesures restent tributaires de l'engagement des PME pour une meilleure transparence financière, en faisant certifier leurs comptes par des experts comptables. Les pouvoirs publics sont également interpellés dans ce cadre en vue de promouvoir les efforts entrepris notamment au niveau de la justice. En effet, le dénouement rapide des litiges ayant trait au recouvrement des créances des banques demeure une des revendications fondamentales de la profession dans ce domaine. Il convient de préciser que les premiers jalons dans ce sens ont déjà été mis en place dans le cadre des concertations qu'entretiennent le ministère de la Justice, Bank Al Maghrib et le GPBM. Ce qui a donné lieu à la tenue d'un colloque en mai 2004, où ont été formulées des recommandations importantes dont la mise en œuvre contribuera à un assainissement de la situation. Bank Al Maghrib a, par ailleurs, élaboré avec la SFI une série de conférences et de séminaires axés principalement sur le financement de la PME. Malgré les mesures prises pour inciter les banques à employer leurs surliquidités, ces dernières ne semblent pas suivre. Le problème demeure entier et le fait que le système financier ne soit pas en banque ne permet pas d'aligner les taux sur ceux de la Banque centrale. Est-ce que vous pensez adopter d'autres mesures ? Cette question me donne l'occasion d'apporter certaines précisions au sujet des excédents de liquidité de notre système bancaire, car le manque de rigueur et de profondeur dans ce qui a été dit et écrit à ce propos risque fort d'introduire beaucoup de confusion dans les esprits. Il faut savoir tout d'abord que cette surliquidité a été générée par le renforcement substantiel de nos réserves de change suite notamment au développement des investissements extérieurs attirés par les opérations de privatisation. Cet excédent de liquidité n'est donc pas le fait d'une source de création monétaire interne. Par ailleurs, l'impact de ce flux de capitaux étrangers a été sensiblement limité à l'origine puisqu'une partie importante de ces ressources a été versée au compte du “Fonds Hassan II pour le développement économique et social” ouvert sur les livres de la Banque Centrale. Du point de vue de la régulation monétaire, cette mesure peut s'apparenter à une ponction de liquidité car les fonds logés dans ce compte représentent une liquidité potentielle qui n'est pas en circulation. Par ailleurs, l'idée selon laquelle un accroissement plus important des crédits bancaires aux entreprises et aux particuliers constituerait une solution pour éponger les liquidités excédentaires est partiellement erronée sur le plan technique. Qu'est-ce à dire exactement? En effet, l'augmentation des crédits n'impacte la situation de liquidité du système bancaire dans son ensemble que dans la mesure où elle entraîne un développement des importations dont le règlement exerce un effet restrictif sur la trésorerie des banques. Je ne suis pas d'accord avec vous quand vous dites que “le fait que le système financier ne soit pas en banque ne permet pas d'aligner les taux à ceux de la Banque centrale”. Ce raisonnement était peut-être valable quand les interventions de la Banque centrale étaient à sens unique. Aujourd'hui, le cadre opérationnel de la politique monétaire a beaucoup évolué, avec notamment l'introduction d'instruments nouveaux tels que le swap de change et la facilité de dépôts. Ainsi, Bank Al Maghrib dispose actuellement d'une panoplie d'instruments d'intervention modernes qui lui permettent de gérer de manière symétrique, aussi bien les situations d'aisance que de manque de liquidités bancaires, tout en orientant le loyer de l'argent vers le niveau souhaité. Les mécanismes de régulation que nous avons mis en place fonctionnent normalement, et le taux observé sur le marché monétaire interbancaire s'inscrit dans la fourchette que nous avons définie. Vous avez annoncé au printemps dernier la préparation d'un plan d'action stratégique pour Bank Al Maghrib, quelles en sont les principales orientations ? Ce plan stratégique a déjà été adopté et est actuellement en cours de réalisation. Grâce à ce plan, Bank Al Maghrib dispose maintenant d'un cadre qui offre une plus grande visibilité à court et surtout à moyen terme, avec des objectifs précis dans les différents domaines de son intervention, et une idée plus claire sur les moyens à mobiliser pour atteindre ces objectifs. L'adoption de ce plan s'impose d'autant plus que l'Institut d'émission est appelé à répondre à un certain nombre d'enjeux majeurs découlant des perspectives d'une plus grande ouverture de l'économie marocaine sur l'extérieur, des profondes mutations que connaît le paysage financier et des nouvelles responsabilités de la Banque centrale, découlant notamment des projets de réforme de ses statuts et de la loi bancaire qui consacreront l'autonomie de Bank Al Maghrib en matière de politique monétaire et de supervision des établissements de crédit. Parallèlement au plan stratégique, nous avons engagé un certain nombre d'actions structurantes dont certaines ont été déjà réalisées et d'autres sont en cours. Il s'agit en particulier du schéma directeur informatique, du schéma directeur des ressources humaines, des manuels de procédures et du nouvel organigramme de l'Institution. Si on devait dresser une évaluation du comportement de la monnaie nationale depuis 2001, quelle serait la vôtre ? Je voudrais tout d'abord rappeler que le panier de cotation du dirham a fait l'objet en avril 2001 d'un réaménagement qui a consisté en l'augmentation de la pondération de l'euro en vue de réduire les fluctuations du dirham par rapport à la monnaie du principal partenaire commercial de notre pays. Ce réaménagement s'est, au demeurant, mécaniquement traduit par une dépréciation du dirham de 5%. Compte tenu de l'évolution de la parité euro / dollar, le dirham s'est, dans une première phase, apprécié vis-à-vis de l'euro et déprécié par rapport au dollar. Il s'est par la suite, du fait de la fermeté qui a caractérisé le comportement de l'euro, légèrement déprécié à l'égard de cette monnaie et apprécié par rapport au dollar. Si l'on se réfère à l'objectif de la politique monétaire et de change, laquelle vise à assurer la stabilité de la monnaie en vue d'offrir la meilleure visibilité possible aux opérateurs, on peut dire qu'elle a, dans l'ensemble, donné de bons résultats comme en témoigne la stabilité qui a caractérisé l'évolution du taux de change effectif tant nominal que réel du dirham au cours des dernières années.