Les banques étrangères amenées à s'installer au Maroc sous quelque forme que ce soit doivent se placer sur une niche bien définie qui apporte de la valeur ajoutée. Sans cela, leurs projets risquent de capoter. Lorsque Abdellatif Jouahri a pris la tête de la Banque Centrale, la communauté des observateurs avait le profond sentiment que celui-ci voyait d'un mauvais oeil le débarquement d'institutions étrangères sur le marché marocain. En témoigne le refus de voir un partenaire étranger entrer dans le capital de la BMCE. Pourtant, ces derniers mois, il a pu être constaté que la banque des banques avait donné son aval pour que des banques venues d'ailleurs s'introduisent dans le capital de certains établissements (CIH, BMCE…). Elle a même autorisé des institutions espagnoles à ouvrir des succursales ou des bureaux de représentation sur notre territoire. Pourquoi ce revirement de tendance ? Pour le wali de Bank Al Maghrib, intervenant lors du lancement du master international « Banque et marchés financiers » d'Attijariwafa bank, il ne s'agit aucunement d'un revirement de tendance. Il s'agit plutôt d'une continuité de la politique du marché engagée depuis des années. Sans vouloir s'attarder sur le cas particulier de la BMCE, Jouahri a insisté sur le fait que si les autorités monétaires avaient pu refuser un jour un projet donné, c'est parce qu'il ne répondait pas aux critères qu'elles s'étaient fixés. L'arrivée d'un intervenant étranger sur le marché doit apporter une innovation, une valeur ajoutée. « Nous avons ce qu'il faut en termes de banques de détails. Ce qui serait intéressant pour nous, c'est d'accepter des projets industriels qui se placent sur une niche bien définie », lance en substance le gouverneur de la Banque Centrale. En d'autres termes, Abdellatif Jouahri ne s'oppose pas à l'arrivée des étrangers au Maroc. « La porte ne leur est pas fermée ». Cependant, s'ils doivent investir au Maroc, c'est pour y apporter un plus. Le Maroc est aujourd'hui à une étape où il attire l'investissement. Mais il ne faudrait pas tomber dans le piège où l'on accepte tout et n'importe quoi. Le développement du secteur en dépend et la Banque Centrale veille au grain. La place séduit. D'ailleurs, deux grandes institutions financières étrangères ont dernièrement fait les premiers pas pour prospecter le marché marocain. « Nous avons eu des débuts de discussion avec elles, mais nous n'avons pas encore rencontré leur top management », lance Jouahri. Cependant, ces discussions ont dû être mises en stand-by à cause des crises des « subprimes » ayant affecté les marchés internationaux. Quid des institutions arabes qui souhaitent venir au Maroc pour y ouvrir des banques islamiques ? À ce sujet, la réponse (actuelle) du gouverneur de la Banque Centrale est très claire, « il n'y aura pas de banque islamique au Maroc ». Il n'évoque pas les raisons habituelles dont se fait écho la presse ou les analystes selon lesquelles le Maroc ne voudrait pas créer la confusion dans les esprits : si une banque islamique ouvre ses portes, c'est que les banques classiques ne sont pas « halal ». Pas du tout. Si le Maroc n'a pas autorisé les banques islamiques, c'est plutôt pour des raisons politiques. Selon le gouverneur, sept pays auraient formulé une demande pour ouvrir une banque islamique au Maroc. Quels arguments a-t-il bien pu leur donner pour justifier son refus ? En se réunissant avec ces banquiers, Jouahri a été encore une fois clair et franc : « si demain nous devons statuer sur deux dossiers émanant de deux pays différents, si nous décidons d'en accepter un et de refuser l'autre parce qu'il ne répond pas aux conditions exigées, ne pensez-vous pas qu'on va invoquer la carte politique pour expliquer cette différence de traitement ? » Pour éviter tout clash, les autorités du pays ont donc adopté une attitude de prudence. « Nous nous devons de rechercher des compromis intelligents. C'est pour cela que nous n'autorisons pas l'ouverture de banques islamiques, mais nous avons ouvert des fenêtres pour commercialiser des produits alternatifs », indique Abdellatif Jouahri. C'est une niche qui se développe très timidement. Des banques ont déjà commencé à commercialiser leurs produits alternatifs, mais ils restent encore trop chers pour le marché. Pour l'instant, c'est encore un flop. Si le gouverneur tient à autoriser des banques étrangères à investir dans des niches particulières, il faudrait s'assurer que le marché n'en pâtira d'aucune manière. Le secteur bancaire marocain risque d'être dépassé Le gouverneur de Bank al Maghrib tient à ce que l'équilibre du marché soit respecté. Dans ce sens, il n'a pas manqué, lors de son intervention à Attijariwafa bank, de rappeler les banquiers à l'ordre. Le système a fourni d'importants efforts. Il est même devenu un benchmark pour les pays de la région du Moyen- Orient et de l'Afrique du Nord. Mais ce n'est pas encore suffisant. Malgré les réformes menées, rien n'est encore gagné, surtout si l'on compare le Maroc à des pays africains comme la Tunisie, l'Egypte et l'Afrique du Sud. Ces pays ont des appétits à faire peur au Maroc, qui prétend être arrivé à un niveau plus que satisfaisant. Les banques ne doivent pas s'endormir sur leurs lauriers. La Tunisie veut attirer des partenariats pour devenir une place régionale. L'Egypte a une position de choix sur le plan monétaire et son système financier lui donne envie d'aller se positionner sur la région. L'Afrique du Sud est déjà un hub régional sur tous les plans : financier, des commodities (matières premières…). Elle s'est attaquée aux pays anglophones et ne va pas tarder à jeter son dévolu sur les pays francophones. La concurrence s'installe de plus en plus. Et le secteur bancaire marocain dans tout cela ? « Pour nous, il est essentiel d'approfondir très vite tout ce que nous avons entrepris jusque-là et de nous mettre totalement au diapason des normes internationales », suggère Abdellatif Jouahri. Le secteur bancaire, les assurances, le marché des capitaux, la justice, l'enseignement… tout doit y passer et vite. Le temps presse. « Nous avons vu ce que Dubaï, le Bahrein, Dublin… ont fait sur le marché. Ils ont adopté des politiques globales qui reposent sur les leviers de la fiscalité, des ressources humaines, de la technologie…nous devons faire de même », lance le gouverneur de la Banque Centrale. Il propose, à titre d'exemple, de délocaliser, comme dans l'offshoring, les métiers financiers avec plus de cohérence, de suivi et d'évaluation. Le private banking est aussi un créneau à exploiter. « Il y a des prémices, des choses à faire à ce niveau ». En ce qui concerne le régime de change, Jouahri pousse à ce qu'il soit plus libéralisé… Bref, le message de Jouahri était clair : le Maroc a des atouts qu'il faut capitaliser. Mais malheureusement, ce qui nous manque le plus, c'est le souffle long.