Au Maroc, affirmer que le jeûne est une affaire privée, c'est trop dire. Elle l'est, en effet, quand il s'agit de le pratiquer ou pas, dans un cadre privé. Le jeûne du Ramadan devient une «affaire publique» dès qu'il dépasse le cadre du “chez soi” pour devenir visible à l'entourage. L'article 222 du code pénal sur “les crimes en rapport avec les cultes” stipule que “toute personne connue pour avoir adopté la religion musulmane, et qui a mangé de façon ostentatoire durant une journée du Ramadan dans un lieu public sans motif légal est punie d'une peine d'emprisonnement allant d'un mois à six mois et d'une amende qui oscille entre 12 et 200 dirhams”. Il est clair dans cet article, explique Maître Mohamed Chemsi, qu'au Maroc où l'Islam est la religion de l'Etat, le fait de ne pas observer le jeûne pendant le Ramadan est une infraction grave. “Outre le non respect de l'aspect religieux, un tel comportement pourrait provoquer des perturbations dans le public, qui est susceptible d'être choqué par la vision d'un individu musulman mangeant en public pendant ce mois si sacré pour les Marocains” indique l'avocat. Ceci dit, pour qu'une personne soit poursuivie pour une telle effraction, la loi marocaine prévoit six conditions qui font du “non-jeûne” un délit. Ainsi, comme nous l'explique Maître Chemsi, la personne qui s'est abstenue d'observer le jeûne doit être musulmane (sans prendre acte de sa foi). L'acte doit avoir lieu pendant les trente jours du mois de Ramadan. Le non-jeûneur doit être surpris en plein acte de manger pendant le temps du jeûne. L'acte doit être visible et avoir lieu dans un lieu public, sans que la personne n'ait de raison légale et valable de ne pas jeûner. Un lieu public, nous signale Mohamed Chemsi, “est tout endroit où se retrouvent, se croisent, cohabitent plusieurs personnes en dehors du cercle familial (…). Le lieu du travail par exemple est donc, par définition, un endroit public où il est, en principe, interdit de manger. Du fait que les collègues pourraient être choqués ou ne serait-ce que dérangés par un tel comportement”. Une jurisprudence datant de 1965 apporte des précisions à l'article 222. Selon cette jurisprudence, “une personne ne peut être punie pour avoir mangé en public pendant le mois de Ramadan qu'à condition qu'elle soit reconnue par l'ensemble de son entourage être convertie à la religion musulmane”. Dit autrement, tous les dossiers traités en justice à ce sujet se basent sur des témoignages de l'entourage de la personne concernée.