Commission du 11 mars Les attentats de Madrid, le 11 mars 2004, ont été le déclencheur d'une série de ratages et de dérapages qui ont ébranlé les assises du gouvernement espagnol. Non seulement la chute de José Maria Aznar a été une conséquence directe des attaques terroristes, mais la succession essuie les éclaboussures d'une affaire que, tantôt on a voulu étouffer, tantôt on a déguisé pour telle ou telle finalité politique. Une bataille rangée secoue la Moncloa, le Congres et les partis politiques espagnols sur un sujet qui domine la politique intérieure et extérieure de José Luis Rodriguez Zapatero : Qui a fait le 11 mars et qui sont les fautifs politiques, criminels et complices? Au fil des mois, on aura lu les déclarations les plus sûres, vites avortées par des démentis ou des retournements de situation. On a épinglé celui qu'on voulait en tirant à vue sur tous les suspects dans ce qu'il est convenu d'appeler l'enquête la plus ratée de l'histoire de la justice européenne. A qui profitent les accusations contre les Marocains et le Maroc ? Et pourquoi Aznar soutient toujours que l'ETA et Al Qaïda travaillent la main dans la main ? Sans oublier de demander à quelle fin servaient les multiples versions des polices espagnoles et des juges ? Retour sur un scandale politico-judiciaire maquillé en affaire interne banale. C'est un tir groupé qui dure depuis quelques mois. La charge très ciblée, dont font les frais les services secrets marocains, le gouvernement et le peuple marocains tout entier, a pris des mois de préparation. La liste des livres qui émaillent aujourd'hui le paysage scriptural espagnol est tout au plus une espèce de caution morale, intellectualisante, mâtinée de quelques enquêtes sur le terrain pour appuyer la thèse du complot marocain contre l'Espagne. Déjà, et à moins de deux mois des attentats de Madrid, la presse espagnole s'est faite le porte-voix de sorties venimeuses. La Razon dans son numéro du jeudi 6 mai 2004, titrait en page 26 sur Sa Majesté le Roi Mohammed VI et la réforme des services secrets pour freiner le flux islamiste dans l'armée. On y parle déjà d'expulsion d'une centaine de militaires qui auraient eu des sympathies avec les islamistes. C'était là le début des attaques et du feuilleton tourné en secret contre l'armée, le gouvernement et les services de renseignement marocains qui ont apporté une aide considérable à leurs homologues espagnols au lendemain des attaques. Tout ceci, après le déchaînement des analyses sur le terrorisme marocain, le GICM, oublié depuis, il faut bien le noter, les Abdelkrim Thami Mejjati, les Guerbouzi, les Saâd Houssaïni et autres Amer El Azizi, dont on ne parle plus aujourd'hui à l'exception de ce dernier, présenté encore ce 30 septembre comme le numéro 1 d'Al Qaïda en Europe. En filigrane et mal dissimulée, l'allusion aux liens entre le 16 mai marocain et le 11 mars espagnol est évidente avec en prime une saillie fielleuse sur le pouvoir au Maroc et d'autres clichés que l'on sert à tout-va quand il s'agit de traiter des affaires internes et souveraines du Royaume. C'est à cette date précise, la première semaine de mai, que le PP, Parti populaire espagnol, dirigé par Manuel Rajoy, après la débâcle de José Maria Aznar, a demandé une commission pour enquêter sur le 11 mars. La guerre avait déjà pris flamme entre les deux partis fratricides en Espagne (PSOE et PP) et le Maroc se profilait comme leur terrain de combat. Les dérapages de la justice espagnole Ce sont les phrases de Manuel Rajoy lors de son intervention d'explication du bien-fondé d'une commission du 11 mars. Une insistance qui devait montrer à tous que les populistes n'avaient pas peur de défiler devant la commission et d'apporter leurs éclaircissements sur ce qui s'est passé entre le 11 et le 14 mars, jour de la victoire des socialistes. Pourtant, trois mois plus tard, le PP voyait d'un très mauvais œil la convocation de José Maria Aznar devant la commission. Contradiction de plus qui vient grossir la liste de quelques dérapages inédits dans l'histoire de la justice européenne. Pourtant le PSOE, victorieux et heureux d'être en place, répétait “qu'il ne fallait pas chercher des coupables”, mais essayer de comprendre ce qui s'est passé. Pour le comprendre, il faut remonter au jour des attentats. Le 11 mars lui-même avec sa série de sorties précipitées. Quand le PP savait, et les preuves ne sont plus à présenter puisque la commission du 11 mars les a rendues publiques, que la piste islamiste était dans le coup, il martelait via le ministre de l'Intérieur encore en poste Miguel Angel Acebes que c'était l'ETA qui était derrière le massacre d'Atocha. La thèse n'a pas beaucoup changé aujourd'hui (voir encadré “ETA/ Al Qaïda, y a-t-il des preuves ?”) sauf qu'on y a ajouté des liens “avérés” avec des groupes islamistes notoires algériens et yéménites. Et là, c'est la deuxième grosse bévue des responsables du PP. Ils ont dès le départ crié haut et fort que ce sont les Marocains et le GICM qui sont les commanditaires. Et aujourd'hui ils n'offrent aucune preuve, même minime, de l'implication de ce groupe marocain dans les attaques de Madrid ni dans l'achat ni dans les négociations avec l'ETA et ses dépôts de munitions et d'explosifs. Tous coupables, mais sans preuves De Jamal Zougam et son demi-frère Mohamed Chaoui, à Abderrahim Zbakh en passant par Mohamed Chedadi et son frère Abdennabi, Abdelwahed Berrak Soussane connu comme Abdou ou encore Hassan Serroukh et d'autres, tous raflés dans les jours qui ont suivi l'attentat, nous n'avons aujourd'hui aucune preuve irréfutable de leurs implications à quelques degrés que ce soit dans ces attaques. D'ailleurs, toute la liste précitée jouit aujourd'hui de la liberté, faute de preuve alors que dans le tas et pour ne prendre que deux exemples, celui de Zbakh et de Bekkali, ils ont été présentés comme des cerveaux des crimes et des auteurs matériels. Sans oublier que pour Zbakh, on a même pu trouver un témoin oculaire qui l'a identifié comme l'un des poseurs des sacs explosifs. Plus de deux mois après, ni Zbakh, ni Bekkali ni Chaoui, ni les Cheddadi, ni Soussane, ni tous les autres n'ont été maintenus en détention. Zbakh aura même été le Chimique, l'artificier, le coupable désigné. Comment expliquer un tel retournement de situation ? C'est très simplement une attitude forcée qui est dictée par les évènements. On ne pouvait continuer impunément à déclarer, à claironner que c'est la bande à Zougam qui a perpétré les attentats alors que le suicide de Leganès a eu lieu. C'est là le revirement de situation, le coup de théâtre que la police et les responsables espagnols n'ont pas su gérer. D'abord en poussant au suicide le groupe du Tunisien et de Jamal Ahmidan qui, eux, ont négocié les explosifs, ont même projeté d'autres attaques dans des villes symboles en Espagne. Après le suicide, on ne pouvait plus continuer à charger les autres premiers détenus qui n'ont ni acheté des explosifs, ni rencontré des informateurs de la police nationale et de la Guardia civil comme Trashorras et Rafa Zouheir qui, lui, a témoigné en disant qu'il avait informé la police sur l'existence d'explosifs et de détonateurs chez Ahmidan, mais la police n'avait pas pris ses dires au sérieux. Après une grave erreur comme celle du suicide de Leganès, la police espagnole a pris son temps pour libérer au compte-gouttes les Marocains présentés au départ comme la tête pensante des massacres. Le monde avait vu qui étaient les réels instigateurs de ce drame et jusque-là il n'y a pas une preuve d'un quelconque lien entre Zbakh, Chaoui, Bekkali, Chedadi, Afandi et d'autres avec le Tunisien ou Ahmidan. Comment faire le lien en l'absence de preuves ? C'est un tour de force que la justice espagnole a réussi. Cette même justice relayée par les médias espagnols changent leur fusil d'épaule après moult ratages et autres inexactitudes dans le déroulement des enquêtes. Il y a eu d'abord les Zougam et tous les autres Marocains qui ont servi pour affirmer devant tout le monde que le Maroc est un exportateur de terroristes, ensuite, on a libéré les détenus, faute de preuves sans rétablir la vérité et réparer la réputation qu'on a fait du Royaume. Et là on se rabat sur les services secrets et le gouvernement marocains complices des islamistes. Un coup de folie qui a assez duré chez les voisins du Nord et qui est apparentable à de la paranoïa doublée d'un sévère syndrome de schizophrénie galopante. Sauf que dans les règles de la loi internationale, sans preuves, on se donne à la raillerie des autres et on démontre l'étendue de sa haine viscérale et injustifiée. Confidentiels Confidentiels Rabei Osman Sayed L'Egyptien avait des photos d'une bombe prototype C'est l'ordinateur de Rabei Osman Sayed qui révèle à la police italienne que des photos et autres croquis de bombes et de détonateurs étaient à l'étude chez l'Egyptien considéré, depuis une semaine, par la justice espagnole comme le cerveau du 11 mars. La police a trouvé chez lui des archives plus détaillées et plus sophistiquées sur les explosifs et les bombes. Des photos plus fortes que toutes celles trouvées à Madrid chez le Tunisien et ses compères. Autre élément fort apporté par cette trouvaille, c'est que les bombes de l'Egyptien devaient, elles aussi, être actionnées grâce à des téléphones mobiles. Sur d'autres photos, on a trouvé un autre type d'explosif qui peut être activé par détonateur dans des opérations kamikazes. Les prisons en Espagne Les islamistes seront séparés C'est le ministre de l'Intérieur, José Antonio Alonso, qui l'a déclaré, en fin de semaine dernière, dans la communauté de Castilla et Léon où il était en visite de travail. En effet, le ministère étudiait, depuis quelques temps, la possibilité de disperser les prisonniers islamistes dans plusieurs centres pénitenciers espagnols pour éviter des groupements et d'éventuelles planifications à des ripostes ou des attaques même en prison. Cette décision survient aussi suite aux réclamations de plusieurs fonctionnaires des pénitenciers qui avaient attiré l'attention des responsables sur l'état des prisons et les conflits générés par l'arrivée de plusieurs islamistes étrangers. Une enquête est ouverte pour étudier les comportements des prisonniers islamistes, y compris tous les Marocains et il n'est pas exclu que le gouvernement ait recours aux mêmes pratiques en cours en ce qui concerne les détenus de l'ETA. Une mesure donc, il faut le souligner, qui ne sera pas appliquée à tous les étrangers mais uniquement aux prisonniers islamistes en relation avec des activités terroristes. Jamal Zougam Sa deuxième voiture est retrouvée C'est la police municipale de Madrid qui a mis la main, jeudi dernier, sur une autre voiture de Jamal Zougam, le Marocain inculpé par la justice espagnole comme étant l'un des auteurs matériels des attentats du 11 mars 2004. La voiture était stationnée près de chez lui dans le quartier del Sequillo dans le district de Ciudad Lineal là où vivent sa mère et ses sœurs. La police, dans un rapport encore confidentiel, affirme “n'avoir rien trouvé de suspect dans la voiture de Zougam”. Mais que vient faire dans ce dossier épineux, presque six mois après l'arrestation du Marocain, cette nouvelle découverte ? Selon ce même document secret, la police explique que “quand Jamal Zougam a été arrêté le 13 mars 2004, les agents de police avaient affirmé qu'il avait deux voitures : une fourgonnette Renault Express qui a été localisée au moment de son arrestation et une autre Mitsubishi Galant”. La police scientifique qui s'est appliquée à fouiller la voiture n'a rien trouvé qui puisse avoir un lien quelconque avec le 11 mars.