Découverte de nouvelles techniques de trafic d'hommes C'est le nouveau coup de génie des passeurs d'hommes vers l'enclave de Sebta avant de regagner l'Espagne. Des moteurs humains, des scaphandriers en tenue qui sillonnent les eaux entre Fnideq et Sebta en contournant la vigilance. Une traque s'est organisée sur place et plus de 100 personnes sont déjà répertoriées comme passeurs. Une technique nouvelle qui demande des investissements solides, qui a pris de court la Guardia civil. La journée s'annonce très chaude malgré la mi-septembre. On s'approche du souk central où s'entassent les marchandises de contrebande. Fnideq est la jumelle abâtardie de Sebta qui la nargue du haut de sa montagne dédaigneuse. Les hommes que nous rencontrons à l'abord des attirails de cartons nous di-sent d'emblée qu'ils ne connaissaient pas ce passeur, cet homme-grenouille qui vient d'écoper de six ans de prison dans la cité espagnole. “Qu'est-ce qui se passe ? Pourquoi tant de remous depuis quelques jours ? Non... Je ne savais pas que des hommes-grenouilles hyper équipés faisaient dans le passage des clandestins...” dit un jeune homme occupé à ramasser ses cartons et à compter ses deniers. Pourtant, la justice espagnole vient d'écrouer ce natif de Fnideq qui passe pour une ombre dans le quotidien des habitants de la région. Ce jour-là, comme par hasard, on allait apprendre une autre nouvelle tout aussi fracassante, en relation avec les nouvelles méthodes de travail des groupes mafieux. Un Marocain avait été arrêté en haute mer, à bord d'un jet ski, transportant soixante kilos d'huile de haschich en direction du sud de l'Espagne. La région du Détroit s'était mise à l'heure des technologies et des méthodes insoupçonnées qui dealaient avec le resserrement de l'étau. Les moteurs humains Le jeune homme du souk, plus tard, nous avait rejoint dans la rue et nous avait dit: “Ecoutez, ce n'est pas un sujet dont il faut parler en public. Surtout qu'il paraît que Sebta est sens dessus dessous depuis quelques mois. Comme les flics sont partout maintenant, les émigrés ont trouvé d'autres moyens pour entrer à Sebta ou en Espagne”. Une source policière du coin confirmera les allusions de notre précédent interlocuteur. Il nous parle du procès et affirme que ce n'est pas le premier: “La police de Sebta arrête de plus en plus d'hommes-grenouilles qui se sont recyclés dans le transport des clandestins. Je crois que personne ne parle encore de cela au Maroc - il fait un geste de sa main vers l'intérieur du pays qui paraît si lointain.” Le soir, nous entrons dans un café de marins où l'odeur du kif flotte éternellement dans l'atmosphère. De fil en aiguille nous tombons sur des personnes qui acceptent de nous en dire plus sur cette histoire. L'une d'elles est catégorique : “Je les ai vus comme je vous vois. Oui, des hommes habillés comme pour la plongée, avec d'énormes palmes pour nager. Ils ont plein de cordes enroulées à leur corps”. A quoi peuvent-ils servir, ces scaphandriers qui sortent de nulle part, matériel accroché au cou et qui se jettent à l'eau avec des pneumatiques prêts à traîner dans la fournaise du détroit des candidats à l'Europe ? “je sais comment ils font. Ils fixent l'affaire bien avant et quand arrive le moment ils sont là à attendre l'occasion pour mettre les moteurs en marche. C'est des moteurs de scientifiques, c'est l'un d'eux qui me l'a dit quand je lui avais demandé si c'était du sûr cette affaire. Après, c'est simple : lui, il nage sous l'eau et toi, tu es sur ton pneu et tu files à 100 à l'heure”. Variation sur le thème du passage Pour la Guardia civil, la vitesse est à revoir à la baisse : “Non, pas 100 mais bien 40 à 50 kilomètres/heure. Vous savez, nous avons des prototypes de ces machines, c'est des moteurs pour des recherches en océanographie. Apparemment, d'autres passeurs, ont apporté des modifications pour les rendre plus puissants et je veux bien le croire, car ils filent à grande vitesse et si on en a attrapé un, il y a d'autres qui ont réussi leurs coups.” Il ne faut pas croire que les scaphandriers opèrent à vue entre Sebta et le Maroc. Ils ont leurs techniques spéciales comme nous l'a expliqué un agent de la Guardia civil. Le rôle du passeur est de faire aboutir la marchandise. Il a un chargement humain et il se doit d'arriver à destination. En pleine plage du côté de la frontière de Tarajal, il faut être fou pour faire de la spéléologie sous-marine devant les chauffeurs de taxi et les contrebandiers. Les scaphandriers sillonnent des passages secrets empruntés aussi par les trafiquants de drogue. Ce qui fait dire à la police que des liens existent entre les deux trafics. Ils passent entre les rochers, pénètrent dans des crevasses et cheminent selon une feuille de route bien définie jusqu'à pénétrer dans les eaux de Sebta. De là, le débarquement se fait devant tout le monde sans attirer l'attention de personne. Il faut aussi préciser que pour ce type de passage, le chargement ne doit jamais dépasser deux personnes adultes et un enfant. Les chambres à air utilisés ne peuvent pas supporter plus sans compter que cela ralentit la vitesse et risque de provoquer des chavirements. Pour les trafiquants du coin : “C'est une vieille technique qu'on utilisait bien avant mais pour la drogue vers l'Espagne. Là, c'est juste quelques centaines de mètres pour passer à Sebta, c'est un jeu d'enfants pour les scaphandriers”. En effet, les moteurs et les hommes grenouilles font en tout : passage de clandestins, acheminement de haschich... et d'autres affaires que la police laisse en suspens. Ce qu'il faut retenir, c'est que en tout état de cause, l'affaire prend des tournures sérieuses puisqu'elle est déjà rattachée au terrorisme, alors que de nouvelles mesures voient le jour dans l'enclave suite à des décisions gouvernementales dans le dossier du 11 mars.