Hamed Abderrahmane Ahmed Le Marocain, natif de Sebta qui porte la nationalité espagnole, a été extradé de Guantanamo à Madrid, après avoir passé deux ans dans la base militaire prison sur le sol cubain. Après cinq mois de détention dans la prison d'Alcala-Meco, il est aujourd'hui libéré sous caution. De retour à Sebta, chez lui, au milieu des siens, il n'hésite pas à qualifier “d'enfer” les trois dernières années où son destin l'a mené à travers les prisons sous la torture et l'humiliation. Retour sur ces années de prison qui frisent l'incroyable. C'est dans le quartier de Principe Alfonso qu'il faut aller pour s'approcher de la personnalité de Hamed Abderrahmane Ahmed, ce jeune Sebtawi normal, qui a vécu au milieu de centaines d'autres jeunes sans jamais attirer l'attention sur lui. Dans ce quartier, implanté à flanc de colline à l'entrée de la frontière de Tarajal entre le “Maroc d'ici et le Maroc de là-bas”, il n'y a que sur le papier que les Marocains sont des sujets aussi espagnols. Dans cette ville complexe et très divisée, il y a les quartiers marocains qui ressemblent à s'y méprendre aux périphéries des grandes agglomérations marocaines, et les quartiers européens où résident la majorité des habitants espagnols ou étrangers du préside occupé. Hamed a grandi dans la partie disloquée de la ville , ce boyau citadin qui fait partie d'une Europe bicéphale où la distinction des genres opère toujours la jonction civile flanquée de discours sur l'égalité et le bien-être de tous. De cette égalité, il y avait les premières années de scolarité de Hamed qui ont épaté son entourage. Pour les professeurs qui l'ont connu, c'est le même refrain: “Hamed estaba un alumno muy simpatico et trabaja muy bien”. Eh oui, celui qu'on allait désigner des années plus tard comme “un dangereux criminel” affidé à Al Qaïda était l'un des plus brillants de son école et ce jusqu'au lycée où il n'avait que des appréciations variant entre très bien et bien. Rarement un assez bien mais c'était pour des matières qui ne lui parlaient pas trop. Bref, le gamin de Principe Alfonso avait forcé l'égalité et l'estime dans une école où “les Espagnols voyaient en lui un extraterrestre parce qu'on leur avait inculqué que les Marocains de “là-bas” étaient des indigènes qui ne pouvaient prétendre au savoir au même titre que leurs occupants”. L'enfance d'un rescapé Pour cet ami de première heure, les années d'école avec Hamed étaient aussi les années d'insouciance et “rien ne pouvait un jour laisser voir que notre Hamed allait être mêlé à des histoires aussi dangereuses”. C'est dans ce fatras de maisons imbriquées les unes aux autres que le jeune Marocain de nationalité espagnole a grandi. Des souvenirs, il en a à la pelle pour peu qu'on gratte sous la peau des jours et que l'on tape un peu aux portes. C'est d'abord un ancien voisin qui a déménagé mais qui se souvient de l'enfance et des jours simples: “Hamed était un exemple pour nous tous et je ne le dis pas maintenant parce qu'il a eu ces problèmes. Non, demandez à tous dans le quartier et même ailleurs, ils vous diront que c'était un garçon très bien éduqué et qui a toujours gardé d'excellentes relations avec nous tous. Vous savez il n'y a qu'à voir sa mère pour comprendre pourquoi ce type était de loin le meilleur d'entre nous. Une excellente éducation, beaucoup de respect pour tout le monde et surtout la gentillesse. Et généreux avec ça.” A Principe Alfonso, les gosses n'avaient pas beaucoup d'occupation. Il y avait l'attrait Del Centro, du côté du port pour une marche à l'ombre des bâtiments espagnols qui abritaient une vie dont les gosses ne pouvaient imaginer que les contours indécis. “Je l'ai beaucoup fréquenté quand on était adolescent, raconte Ali, et je ne vous cache pas que quand le quartier était truffé de flics, d'espions et de je ne sais qui d'autre après l'arrestation de Hamed et l'arrivée de la nouvelle de sa détention à Guantanamo, j'avais peur que l'on m'embarque parce que quelqu'un aurait pu leur dire que j'étais son ami le plus proche. Mais heureusement, il ne s'est rien passé. Et j'ai témoigné de tout ce que je vous dis devant les télévisions étrangères quand elles sont venues ici. Je leur ai dit que c'était un jeune moderne, tolérant et qui n'avait aucune prédisposition au radicalisme ni à aucune forme d'extrémisme. Moi, je reste convaincu qu'il a été embrigadé par quelqu'un, je sui sûr de cela”. Lors de nos pérégrinations à la recherche des vieilles connaissances, nous avons mis le doigt sur un ancien amour, une jeune Marocaine de Sebta, mais nous n'avons pas pu l'avoir au bout du fil. Pudeur, volonté de rester en dehors de tout cela, crainte. C'est compréhensible. Toujours est-il que Hamed est devenu après son arrestation le principal sujet de conversation du quartier: “C'est normal d'être surpris par ce qu'on lit ou voit sur lui surtout, quand on la connu. La télévision espagnole avait martelé son nom des centaines de fois. Mais personne ne pouvait imaginer ce qu'on lui reprochait”. Un passage par l'armée espagnole On a longtemps laissé de côté cette information de grande importance dans le parcours et la formation du jeune Hamed. A vingt ans, en 1994, le Sebtawi fait son service militaire sous la bannière espagnole au sein du régiment 23 de Sebta. Les langues espagnoles sont muettes à ce sujet et les quelques repères que nous avons pu avoir ont refusé de commenter nos informations. Quoi qu'il en soit, Hamed a donc suivi pendant des mois un entraînement militaire en bonne et due forme. Il a goûté aux affres de la privation, il a été au contact des durs parmi les durs sans jamais fléchir. Un ami de cette époque qui tient à garder l'anonymat se souvient : “Hamed était obligé à mon avis de faire son service militaire. il n'a jamais été habitué à la dureté de la vie. Et il a toujours vécu aimé et adoré par les siens et surtout sa mère qui est une grande dame. Je le voyais mal devenir soldat même pour un temps. Mais il a supporté, il a tenu et il a démontré à tous que le gentil Hmidou, comme quelques uns l'appelaient à l'époque, pouvait aussi être un dur à cuire”. A sa sortie de l'armée, Hamed n'avait pas beaucoup changé : “il avait mûri, mais pas changé. Il était plus coriace et d'ailleurs il a toujours été costaud et solide. Le passage à l'armée l'a rendu plus fort et peut-être plus inquiet parce qu'il avait réalisé que l'insouciance de la jeunesse était bel et bien derrière nous tous”». Dans le quartier, on trouvera toujours quelqu'un pour nous raconter un vieux souvenir d'il y a dix ans quand Hamed était “devenu soldat espagnol. Il y en avait qui n'appréciaient pas que le Marocain devienne soldat avec les Espagnols. C'est normal, ils n'arrivaient pas à faire la distinction entre un service militaire obligatoire et un engagement volontaire pour servir les forces armées espagnoles. Hamed savait qu'il y avait des personnes qui lui ont voulu un peu, mais il avait la capacité de faire comme s'il ne savait rien et il avait laissé passer tout cela sans problème”. La suite n'a rien d'extraordinaire, Hamed quitte l'armée et trouve un moyen d'échapper au chômage. Il passe un examen réservé aux jeunesses qui chôment initié par l'Institut espagnol de travail. Sans succès puisqu'il ne trouvera pas une issue malgré ses essais répétitifs et tenaces. Hamed a failli de venir policier Il attendra une autre opportunité pour s'en sortir. Il se présente à un examen de la police et en ressort quatrième du concours. Mais là non plus les autorités espagnoles se sont contentées de prendre les autres prétendants et Hamed a dû faire face à un gros malaise. Hamed rêvait donc de devenir policier dans la municipalité de Sebta. Il “voulait faire régner l'ordre, il était très à cheval sur les principes et les questions civiques. Il était réellement conscient de tout cela. Mais il n'a pas pu avoir sa chance. Moi, je pense qu'il aurait fait un excellent policier”. Pour d'autres amis, “c'est cela l'erreur des Espagnols. Ils ont refusé de l'intégrer dans un corps où il aurait pu mieux servir tout le monde. Ils ont fait cette bévue et en quelque sorte, ils sont responsables de ce qui s'est passé puisqu'ils ont stoppé net les rêves de Hamed”. Pour d'autres personnes dans le voisinage: “Hamed avait fait le mauvais choix. Il n'aurait jamais dû se présenter à ce concours. Pour beaucoup d'entre nous, cela a été ressenti comme une espèce de trahison. La police espagnole ne nous porte pas dans son cœur. Voir un Marocain porter l'uniforme aura été un peu dérangeant pour nous tous, surtout un garçon du quartier que l'on a connu et qui, un jour, pourrait venir nous mettre les menottes. Heureusement que les Espagnols ont refusé de lui laisser la place, autrement je ne sais pas comment les choses auraient évoluer ici à Principe”. Les années de galère Quand les portes se sont fermées, Hamed était dans l'obligation de se résoudre au destin. Il a accepté d'être malmené par la vie, lui qui était un excellent élève et qui rêvait d'une carrière plus sûre loin des humiliations, des refus et des portes closes. “Il ne savait pas quoi faire. Il tournait en rond. Il avait fait son service militaire et l'Espagne ne lui a même pas trouvé un boulot honnête. Et puis cette histoire de police l'avait marqué parce qu'il avait senti le parti pris dès le départ. La vie lui avait un peu fait mal et il n'arrivait pas à se résoudre à quoi que ce soit. Mais je crois l'avoir entendu à l'époque parler de quitter Sebta et d'aller voir ailleurs”. C'est ce que Hamed fera plus tard, mais entre-temps, il se laisse couler dans la vie de tous les jours. Il ira même jusqu'à accepter malgré ses études de travailler comme livreur ou porteur dans les magasins à Sebta. “Je me souviens de lui à cette période. Il avait accusé le coup, se rappelle le même Ali qui avait fait ses cours avec lui. Il ne voulait pas montrer son humiliation, mais croyez moi il était déjà entamé et de loin.” Pourtant, dans l'entourage de Hamed, on n'avait jamais senti la résignation. Il était là, à travailler, à trimer, sans jamais se plaindre. Le plus dur pour lui était de jeter un œil en arrière pour se remémorer les années d'école et les rêves de vie meilleure. C'est à l'époque que les premiers prémices de la religiosité de Hamed avaient commencé à poindre. “Il n'avait rien d'un fondamentaliste, mais il avait pris goût à la religion. Moi, je crois qu'il avait trouvé là un appui psychologique devant la privation et les refus des autorités espagnoles. C'était un moyen comme un autre pour supporter et tenir le coup” commente le même Ali qui refuse toujours de croire que son ancien ami soit mêlé à Al Qaïda. Le passage par Londonistan On ne sait pas exactement comment Hamed a pu faire le voyage jusqu'à Londres, mais ce qui est certain, c'est que son passage londonien a été décisif pour le restant de ses jours. Cette étape sur le chemin de la vie a apporté son lot de connaissances, de fréquentations et surtout de désillusions. Arrivé dans la capitale du brouillard, Hamed n'avait pas les idées très claires non plus. Il était aux prises avec la crainte de ne pas pouvoir se débrouiller, la peur de très vite refaire son sac pour retrouver le vieux quartier Principe Alfonso. Que peut bien faire un émigré marocain de Sebta dans la capitale britannique? Pas grand chose. Alors Hamed trouve le moyen de se fondre dans la foule et se fait embaucher dans un restaurant. Certains nous ont dit qu'il était serveur, d'autres affirment qu'il n'a fait que la plonge sans jamais avoir le privilège de servir les gens. Quoi qu'il en soit, Hamed a un travail fixe, il peut se nourrir, il peut même trouver un endroit pour dormir. C'est déjà cela de gagné. Si l'on croit des analyses de rapports américains et espagnols, c'est là que le début de l'épisode qaïdiste de Hamed a débuté. Selon les services secrets, il fréquentait déjà certains milieux islamistes à Londres. On parle volontiers de quelques Marocains qui avaient déjà pris siège dans les mosquées entre Finsbury et les appartements de prêche. Ces mêmes Marocains, qui avaient eux aussi fait le voyage londonien pour s'en sortir, mais qui avaient trouvé comme compensation le radicalisme et l'extrémisme religieux. Hamed aura été formé dans ce milieu pendant les mois qu'il a passés à Londres et c'est de la capitale anglaise qu'il fera le voyage pour l'Afghanistan. Hamed nous dira que c'était «pour apprendre le Coran et faire des études religieuses». Pour ses accusateurs, il a fait le voyage «comme jihadiste et membre d'un groupe armé». Ce que Hamed et sa famille nient en bloc et c'est peut-être là une des raisons qui a fait que sa libération a été accordée par le juge espagnol Baltazar Garzon. Sebta exporte les aspirants aux études coraniques A plusieurs reprises au cours de nos multiples voyages à Sebta, nous avons rencontré des personnes qui nous avaient raconté des histoires peu crédibles sur un grand nombre de Sebtawis qui avaient fait la route du Coran vers les écoles du Pakistan. On trouvait cette information, répétée avec beaucoup de sérieux, un tantinet tiré par les cheveux et on ne l'a jamais prise au sérieux, mais on avait tenté de creuser dans cette direction. Fait curieux, ce ne sont pas les milieux défavorisés qui ont été touchés par cette folie de Peshawar. “Loin s'en faut, ce sont les familles aisées de la ville qui avaient un ancrage religieux précis et solide et qui voulaient que leurs enfants apprennent le Coran et les sciences religieuses dans les meilleures écoles du monde. Evidemment le Pakistan tient le haut de l'affiche et je suis sûr que beaucoup de jeunes se sont fait piéger là-bas par le spectre d'Al Qaïda”. C'est du moins ce qu'affirme un avocat de la ville qui en connaît plusieurs dont les enfants ont fait les frais de l'extrémisme et qui ne sont jamais revenus. Il y en a aussi qui sont de retour et qui affichent une sérénité à toute épreuve sans laisser rien paraître d'un éventuel radicalisme. Dans les faubourgs de la ville, on relate d'autres histoires sur les jihadistes qui ont été financés par d'autres Sebtawis qui les avaient devancés au Pakistan. “On leur a trouvé une place là-bas et on s'est débrouillé pour les faire sortir d'ici. Ils ont pris leurs places dans les rangs des jihadistes de Ben Laden. Ici tout le monde le sait. On va vous raconter des salades, mais croyez-moi, j'ai entendu des frères de jihadistes raconter des histoires incroyables.”. Le bonhomme qui témoigne ici est un ex-frère musulman qui nous a été présenté par un avocat de la place qui tient à ce que «ces affaires de volontaires pour les écoles coraniques éclatent au grand jour». Pour les deux, «un jour on se rendra compte que les Espagnols avaient fermé l'œil sur ce trafic humain mais quand tout cela éclatera ce sont les familles marocaines qui vont en baver». Principe Alfonso Un quartier en ruine C'est là que Hamed a vécu, a grandi, a rêvé avant de se voir happé par le destin qui l'a mené d'une prison à l'autre sans jugement. On l'avait déjà écrit lors de nos nombreux reportages à Sebta, publiés durant toute l'année 2004 sur les colonnes de La Gazette du Maroc, ce quartier est un parfait exemple de la distinction nette entre une Sebta espagnole et une autre marocaine délaissée par les autorités locales espagnoles. Inutile de revenir sur les témoignages des citoyens qui attestent “qu'ils ne sont ni Marocains ni Espagnols, mais des oubliés, des laisser-pour-compte dont on ne s'occupe pas. On vient nous espionner, nous maltraiter, nous insulter, nous traiter tous de terroristes, ça oui, ils le font après que les gens aient découvert que Hamed a été prisonnier chez les Américains. Le quartier est devenu un laboratoire à ciel ouvert où on passait au crible tous les recoins pour faire sortir des terroristes. C'est à croire que les Espagnols et les Américains voyaient des criminels sur chaque visage qui sortait de chez lui”. Sur les plans social et économique, le quartier compte parmi les plus pauvres de la ville. Selon des chiffres officiels espagnols: “le bidonville qui a été rasé a laissé la place à un quartier en dur de presque 2800 maisons d'environ 50 mètres carrés où vivent plus de 17 000 personnes. Ce qui nous donne une moyenne de 7 à 8 personnes, par maison, ce qui n'est pas le cas dans les quartiers espagnols de la ville. On compte aussi plus de 65% de chômeurs dans le quartier et toute la zone habitée par les Marocains. Il y a aussi deux écoles et 15 écoles coraniques pour ce seul tronçon de la ville. Les écoles coraniques ne sont pas légales et n'ont pour la plupart aucune autorisation d'exercer. On compte aussi 7 mosquées qui ne jouissent d'aucun contrôle ou alors rarement”. Le quartier est aussi célèbre pour son trafic en tous genres et notamment la drogue. On y a arrêté un nombre incalculable de trafiquants et il a été aussi le théâtre de descentes de police très spectaculaires. “L'autre fait notoire de ce quartier est que pendant longtemps on ne pouvait avoir ni accès à l'aide de la police ni aux soins parce que les ambulances ne se risquaient pas dans un trou pareil et la police ne voulait pas nous venir en aide”, clame un membre d'une association locale. Selon d'autres membres d'associations locales, “depuis que les autorités ont découvert les cas d'islamistes purs et durs ici, on jouit d'un traitement particulier. Aujourd'hui, nous sommes surveillés 24/24 par les espions de services de renseignements américains et espagnols et cela tout le monde le sait et même les Espagnols vous le diront”.