Face au malaise politique Avec la réactivation des instances et des structures de son parti, Mohamed Elyazghi veut donner une image plus pacifiée et plus cohérente de l'évolution de l'USFP dans le contexte actuel. La méthode adoptée au lendemain du départ de Abderrahman Youssoufi portera-t-elle tous ses fruits? Nous irons au printemps prochain à notre congrès qui, contrairement à tous les précédents, sera enfin ordinaire !". Le premier secrétaire de l'USFP, Mohamed Elyazghi, formule ainsi d'un trait ce désir, longtemps contrarié, de voir son parti échapper aux tourbillons et naviguer avec plus d'assurance et de visibilité. Ce parti pris de sérénité, malgré quelques grincements de coulisse, est devenu la tonalité dominante depuis l'adoption de la plate-forme du 28 novembre 2003 qui a désamorcé la crise provoquée par la démission de Abderrahman Youssoufi. C'est cet état d'esprit que Elyazghi cherchait à transmettre lors d'un “coin de presse”, mercredi dernier, où il a conversé à bâtons rompus avec une dizaine de journalistes sur plusieurs sujets d'actualité. Le style de cette rencontre, qui se voulait le plus convivial, renvoie à une image désormais plus apaisée et plus ouverte de ce parti qui n'a cessé, depuis sa participation au gouvernement, d'alimenter des passions contraires, des interrogations légitimes aussi bien que des fantasmes. Convaincu que les médias ont, en partie, contribué à alimenter confusion et ambiguïté durant toute cette période, Elyazghi veut instaurer avec la presse une communication plus directe, sans formalisme, “pour clarifier mais aussi pour écouter”. Ainsi, à tous les niveaux, le changement annoncé avec la plate-forme de novembre dernier s'insinue, lentement mais sûrement. Les différentes instances sont ranimées après des années de profonde léthargie. Commission administrative, comité central, commissions centrales, organisations de base, ont, à des rythmes divers, refait surface. L'effet de thérapie lié à cette réactivation des structures et à la mise en forme d'un discours politique fédérateur est loin d'être négligeable. “Nous ne sommes pas en crise, s'évertue à répéter Elyazghi, notre parti reste profondément enraciné et il surmonte des difficultés de parcours”. Ces “difficultés” sont de nature diverse : déceptions liées au scrutin de liste lors des dernières élections, risques de dérapages découlant de l'ouverture du parti à des éléments extérieurs à ses rangs, dissonances dans les sections de base entre anciens et nouveaux militants. Ces difficultés qui se sont traduites par le retrait de plusieurs militants aguerris, porteurs de l'histoire du parti, ne sont certes pas seulement d'ordre organisationnel. Elles reflètent le malaise concernant l'identité et le devenir du parti après ces années de participation au pouvoir. L'exaspération des clivages et des divisions internes, les déballages et polémiques mettant en cause les dirigeants, le doute gagnant nombre de militants, tout ceci nécessitait un traitement méthodique, pour éviter le pire. Régénérer l'USFP C'est cette préoccupation qui est devenue centrale. Quand on s'attache à ne voir dans les péripéties traversées par l'USFP que des rivalités plus ou moins féroces, animées par des appétits ou des ambitions primaires, on n'aperçoit guère que d'autres réalités, moins croustillantes, sont aussi à l'œuvre et en fin de compte, plus déterminantes. Qui ne s'attache qu'à l'écume de surface ne cherche à voir que des rivaux guignolesques. Ceci est certes le cas dans plusieurs “partis” sans profondeur sociale ni politique, mais on ne peut appliquer le même schéma réducteur à des entités qui, comme l'USFP, sont d'une tout autre nature. L'approche que Elyazghi a voulu illustrer indique, implicitement, qu'il faut d'abord préserver et régénérer le parti pour enrayer la spirale du vide où il risquait de se laisser emporter. En effet, durant les années d'épreuve, dans l'opposition, il y avait toujours un référentiel commun qui permettait le plus souvent d'éviter l'éclatement et de fédérer des éléments et tendances assez hétérogènes. Avec l'expérience de la “gauche gestionnaire” participant au gouvernement, le noyau dur rassembleur a perdu de sa consistance, la fonction de Premier ministre ayant eu, avec Abderrahman Youssoufi, des effets délétères et paralysants sur les structures du parti. Il y a là autant d'éléments qui posent de sérieux problèmes à ce dernier. Comment rester un parti structuré et vivant même en assumant la gestion gouvernementale ? Comment garder et développer la capacité à produire des idées et à débattre véritablement, avec assez d'autonomie et de créativité, dans le nouveau contexte ? L'adaptation du parti à cette phase de transition démocratique hors de “la culture de dissidence permanente” ne s'est pas révélée aisée. Il s'agit de se renouveler sans se renier et tant que cela ne s'était pas vraiment manifesté, toutes les dérives individuelles, les dissensions, la perte de lien interne devenaient possibles. La méthode actuellement privilégiée vise en premier lieu à colmater les brèches, redonner confiance, rendre les structures plus productives. Le maître mot est : “priorité à l'institutionnel”. La “personnalisation” excessive du leadership à tous les niveaux doit céder la place à une organisation et une pratique plus responsables, renforçant la culture démocratique interne. La perspective du 7ème congrès est ainsi tracée. “Sans précipitation”, précise-t-on, car la demande d'un congrès extraordinaire, formulée par Mohamed Lahbabi, un des vétérans du parti, n'a pas été adoptée. D'où l'évident souci de la direction actuelle d'assurer une préparation sereine, sur la base des travaux des commissions, et d'éviter tous les soubresauts inutiles. “Un congrès ordinaire” marquera le passage à une USFP qui aura accompli sa mutation vers la social-démocratie, tout en invoquant son patrimoine historique. Elyazghi veut sans doute incarner ce passage qui, au cours du 6ème congrès, avait failli tourner au naufrage. Il renouvelle, avec insistance, l'appel à tous ceux qui ont quitté le parti de réintégrer celui-ci. D'où aussi l'insistance mise sur le rôle central des partis politiques dans toute démocratie. S'élevant contre la campagne qui s'est développée depuis des mois contre les partis, accusés sans nuances de n'être ni crédibles ni efficaces ni influents, Mohamed Elyazghi rappelle qu'un tel discours avait par le passé servi à bloquer toute velléité de démocratisation du régime et, avec Oufkir, il s'était soldé par les tentatives de putsch. La querelle sur les partis Qui a intérêt à fausser, aujourd'hui, le débat sur les partis ? Ce n'est pas à “l'inutilité” de ces derniers qu'il faut conclure mais plutôt à leurs insuffisances. Ce n'est pas leur négation qui serait de mise mais plutôt leur maturité et leur développement qui doivent être des critères de démocratisation, encouragés et soutenus. Quant à l'attitude anti-partis, que traînent parfois certains journaux qui se veulent “indépendants”, elle risque, par son ambiguïté, d'entretenir une forme de “poujadisme” à la marocaine, où des revendications et antagonismes plus ou moins catégoriels ou populistes, instaureraient “la guerre de tous contre tous”, sans rationalité politique globale, sans débats d'idées et de société. C'est ainsi que parfois un certain radicalisme de façade rejoint des formes archaïques de pensée et de positionnement. Ceci bien sûr ne dispense pas les partis qui ont tant soit peu d'assises, de se remettre en cause et d'envisager, avec plus de lucidité, leur nécessaire évolution. Les tiraillements au sein de l'Istiqlal où le patriarche Abdelkrim Ghallab a annoncé avec fracas sa démission (que Elyazghi s'est abstenu de commenter) est un signe des scléroses à surmonter et de l'innovation à entreprendre. Quelle est cependant la nature de la phase actuelle que traverse le pays ? Pour Elyazghi, la transition démocratique se poursuit, malgré les accrocs et les retards qu'elle enregistre. Cependant le principe du choix du Premier ministre au sein du parti majoritaire aux élections est, à nouveau, réaffirmé. Le vœu est émis pour que cela devienne une “tradition”, même si la Constitution ne le stipule pas. Au cours du 7ème congrès, une évaluation générale de tout le processus de démocratisation sera entreprise et, à la lumière des débats, une révision constitutionnelle pourrait être alors préconisée et revendiquée. La participation au gouvernement Jettou, malgré la réserve initiale quant à la nomination de ce dernier, est justifiée par le fait qu'il fallait garder ses chances au changement démocratique, soutenir les réformes, poursuivre les chantiers lancés. Il ne fallait surtout pas fragiliser ce processus, au risque de voir s'opérer des régressions aux conséquences dangereuses. La menace représentée par l'apparition d'une mouvance terroriste, est venue conforter cette position. Toutefois des lignes rouges sont néanmoins formulées, marquant les limites de toute participation au gouvernement. Il s'agit, en l'occurrence, d'une remise en cause des processus de réforme, d'assainissement et de modernisation politique et culturelle du pays. Tout en relevant certaines hésitations de tel ou tel ministre à prendre clairement position sur des questions essentielles, ainsi que des lenteurs au sein de la coalition gouvernementale, Elyazghi fait l'éloge de Driss Jettou qui “se montre à la hauteur de sa mission”. Selon lui, le gouvernement n'est pas doublé par les organismes spécialisés ni par les conseillers du roi, ces derniers n'ayant pas, comme sous le règne de Hassan II, la main haute sur certains secteurs ou dossiers. Ici comme en ce qui concerne la remise à flot de l'USFP, la méthode Elyazghi veut d'abord “positiver”, et assurer un pilotage sûr sans crainte d'être taxée de “réformisme timoré”. Depuis longtemps, ce dirigeant considère le temps comme un allié.