Asilah Juillet 2004. Les préparatifs battent leur plein et la ville affiche petit à petit son air festif qui, avec le temps, lui colle à la peau comme une seconde nature bien assimilée. On sent le festival approcher à grands pas et les habitués de la ville et de son rendez-vous culturel prennent déjà leurs marques, bien affûtés au cours des ans. Comme chaque année, la ville fait peau neuve, arbore ses meilleurs atours et les Zaïlachis ne parlent que du festival . A les entendre converser autour d'un grand vert de thé à la menthe sous les réverbères le soir près de la mer, on croirait que le festival est un personnage à part entière qui fait partie de la vie de tous, à qui on laisse une place, dont on se souvient avec bonheur et nostalgie. On l'évoque comme un ami que l'on aime et qui bientôt fera son retour parmi nous après un long départ. C'est qu'à Asilah, ils sont nombreux ceux dont la vie tourne autour de ce spectacle qui vient, chaque été, bouleverser le cours de leur existence et mettre un peu de baume dans la lenteur plombée des jours dans cette crique devenue aujourd'hui un pôle de la culture. Dans trois semaines, le festival ouvre ses portes pour faire un tour d'horizon des cultures du monde. Une fois encore, Asilah se positionne comme une ville phare dans le rayonnement des échanges entre les peuples et le partage des richesses des uns et des autres. Car, dans la philosophie qui a présidé à ce festival, le fin mot est l'ouverture sur l'autre, sur la différence, la volonté de mieux connaître le monde pour mieux se faire connaître. Une parfaite messe culturelle Le festival d'Asilah a toujours été ancré dans l'actualité. Ces tables rondes et conférences se positionnent comme des points forts dans l'analyse de l'actualité du monde. Conflits culturels entre les civilisations, tentatives d'approches pour une meilleure lecture du monde,retour en éclairages sur ce qui marque la politique entre le Nord et le Sud… et c'est là quelques-uns des thèmes qui ont toujours trouvé écho à Asilah. Contre tous les clivages culturels et humains, face à tous les blocages communicationnels, les débats qui se déroulent dans l'enceinte de la cité essayent de donner des alternatives au refus, à la guerre et aux contingences d'un monde résolument conflictuel. C'est cette plate-forme de dialogue et de communication qui a fait, entre autres, la réputation d'un festival qui a vu la participation de quelques-uns des intellectuels les plus estimés des trente dernières années. D'Afrique, des Amériques, d'Asie et d'Europe, les penseurs et les artistes viennent offrir leurs points de vue et montrer leurs expressions artistiques qui sont autant de discours sur l'amour et la paix. Asilah, on tente de participer à l'élaboration d'une véritable culture du public que l'on tente de ramener le temps d'un festival vers des sphères d'ouverture artistiques peu habituelles dans d'autres villes du pays. Il n'y a qu'à faire un tour dans les méandres de la cité entre Lkrikia et Bab Lhoumer pour voir avec quelle acuité les habitants de la ville réagissent face à l'art et aux artistes. Quand les peintures murales commencent à s'esquisser sur les parois blanches de l'ancienne citadelle, les Zaïlachis donnent leurs avis sur la peinture qui monte, peuvent rectifier telle ligne, arranger tel trait ou encore imposer des couleurs qui pourraient accompagner les tonalités de leur espace vital. C'est l'unique endroit du pays où le public voit sa ville décorée, réfléchie, investie par des sensibilités diverses qui chacune vient apposer son testament sur le cadran des jours. Asilah et ses visiteurs On ne peut décompter exactement le nombre de spectateurs du Festival, mais ils sont nombreux et la ville affiche complet durant le mois d'août, synonyme de joie et de fête. Il y a les habitués qui savent se faufiler pour voir plusieurs spectacles entre chants, danses et autres pièces de théâtre pendant un bref séjour. Et il y a ce public nombreux, passionné et disponible qui vient allier deux plaisirs : les vacances,l'art et la culture. La ville ayant cette particularité d'offrir pendant la journée des plages splendides pour les estivants et la nuit une myriade de spectacles pour les festivaliers. À examiner de plus près les comportements, il existe, en réalité, plusieurs publics distincts qui ne vivent pas le festival au même rythme. Chacun a sa perception de la ville et ses parcours propres. Il y a les habitués, les fidèles, voire les “pèlerins” qui organisent leur séjour à l'avance. Et à l'autre bout de l'échelle des comportements, les “flâneurs explorateurs” qui se laissent guider par l'instinct du moment. Il y a les touristes européens qui choisissent l'époque pour faire d'une pierre deux coups et il y a les touristes locaux qui profitent du Nord avec des escales à Asilah selon leurs programmes du festival. Le public discute, critique, interroge et débat en fin de journée dans les ruelles, dans le patio, sous les lampes éculées du café Zrirek ou sur la place près du donjon. Et il y a surtout ceux qui font la chasse aux artistes. Ceux qui aiment rencontrer les artistes présents entre acteurs, chefs d'Etat, chanteurs… Cette initiation se fait également spontanément, au hasard des rencontres du jour et des informations du moment, sans trop se presser comme beaucoup, qui de la plage se voient plongés dans une discussion sur le conflit des civilisations. C'est aussi cela Asilah: offrir au public un espace d'expression sans distinction entre les publics. C'est l'art pour le développement qui, à la rencontre des gens, investit la rue et leur parle de la façon la plus simple, chacun selon ses affinités et son amour de la ville.