Bouzoubâa accélère la réforme La date est officielle et elle marque la suppression définitive de la Cour spéciale de Justice (CSJ). À la mi-juin 2004, cette juridiction d'exception fermera ses portes en attendant l'adoption du projet de loi de sa suppression par le Parlement et sa publication dans le B.O. A la Cour spéciale de Justice à Rabat, l'ambiance est bon enfant. Finies les interminables nuits d'interrogatoire et de tension. Les magistrats ainsi que leurs subalternes se réjouissent d'une ordonnance parven ue, il y a quelques semaines, du ministère de la Justice au Procureur général du Roi, Abdellah Hamoud. La nouvelle s'est répandue comme une traînée de poudre chez les locataires des lieux laissant la place à des spéculations pour d'éventuelles promotions de carrière. Les magistrats d'exception ont appris, au même titre que leurs subordonnés, que la suppression de la CSJ interviendra avant le mois de juillet 2004. Et pour être plus précis, à la mi-juin 2004. Les directives du ministre de la Justice, Mohamed Bouzoubâa, vont dans ce sens et interpellent le parquet à établir un calendrier de travail et à le soumettre au premier président de la Cour. Comme cette dernière est placée sous la tutelle directe du ministère de la Justice, seul compétent pour sa saisine, elle reçoit directement les instructions qu'elle doit mettre en exécution. En effet, le parquet a dressé une liste complète d'affaires en cours de traitement ( au total une quarantaine ) et a fixé les dates d'audiences de renvoi. De plus, la note du ministre de la Justice ordonne aux magistrats de se pencher uniquement sur les affaires en cours et de se déclarer incompétents pour les autres affaires qui continuent à affluer. Dans la note adressée par le parquet de la CSJ au premier Président de la même juridiction, on peut lire : “ qu'en vue de la suppression prochaine de la CSJ, nous vous sollicitons de faire en sorte de rapprocher les échéances de toutes les affaires en cours de traitement par la cour et leur consacrer une seule audience de renvoi devant les autres juridictions compétentes … ”. Le message du parquet est on ne peut plus clair puisqu'il met fin à une anomalie majeure et flagrante de l'Etat de droit. Cette juridiction d'exception qui relève uniquement du ministre de la Justice, qui est un instrument entre les mains du pouvoir exécutif, constituait un contre-exemple de l'indépendance de la justice. Aujourd'hui agonisante, pratiquement à l'article de la mort, sa suppression a déjà été décidée ( deux projets de loi dans ce sens ont été adoptés par les deux Conseils d'Etat ), elle enlève une page noire qui a entaché l'appareil judiciaire du pays. Faisant l'objet d'une directive royale formulée dans le discours du Souverain, marquant l'ouverture de l'année judiciaire en janvier 2003, la CSJ est en voie de disparition effective, emportant avec elle toutes les anomalies qui ont caractérisé sa procédure extrêmement exceptionnelle qui a plombé lourdement le système judiciaire et la crédibilité du bon fonctionnement de la justice. 39 ans après sa création, son bilan n'est aucunement lumineux. Ses détracteurs, notamment les défenseurs des droits de l'Homme, estiment qu'elle n'offrait pas les garanties nécessaires pour des procès équitables. Son fonctionnement et son organisation comprenaient des dispositions inconstitutionnelles, comme le pouvoir donné au parquet pour décider d'incarcérer ou de libérer tout prévenu sur simple instruction du ministre de la Justice. Les fonctionnaires de l'Etat impliqués dans des affaires de corruption ou de détournement de fonds publics qui ont défilé devant cette juridiction peuvent en témoigner. À présent, la balle est dans le camp des députés de la nation à qui le projet de loi de la suppression a été transmis pour adoption. Sans grande surprise, le projet de loi, dit-on, passera comme une lettre à la poste puisqu'il garantit le droit à un procès équitable et l'égalité des citoyens devant la loi en toutes circonstances et dans tous les cas. Celui-ci prévoit que les attributions de cette juridiction d'exception seront transférées aux cours d'appel de cinq villes du pays, en l'occurrence Rabat, Casablanca, Fès, Meknès et Marrakech. Il s'ensuit que toutes les infractions définies par le code pénal –notamment celles des articles 241 à 256 sur la corruption et le détournement des deniers publics, seront traitées devant des juridictions ordinaires susceptibles d'un deuxième recours devant la Cour suprême. Des chambres spécialisées seront incessamment constituées près les Cours d'appel désignées et composées de magistrats expérimentés et assez compétents pour juger les crimes financiers. Ce qui ne peut que confirmer le grand pas franchi par le pays en matière de droit et consacre la volonté de réaliser l'égalité entre les citoyens devant la justice en leur accordant les mêmes garanties et droits, ainsi que le principe de la séparation des pouvoirs.