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“Mon fils est un ange qui déteste les barbus radicaux ”
Publié dans La Gazette du Maroc le 04 - 05 - 2004

Interview exclusive de la famille de Mohamed Ahmed Bekkali
Mohamed Ahmed Bekkali, le père de Mohamed Bekkali, le Marocain arrêté en Espagne au lendemain des attentats du 11 mars dans le cadre des enquêtes sur les véritables commanditaires et exécutants des attaques à l'explosif dans les gares de la capitale espagnole, se dit très confiant et optimiste. Il est sûr de l'innocence de son fils et déclare être sûr de sa mise en liberté prochaine. Surtout que le 11 mai prochain le contenu des enquêtes et des interrogatoires des services de police sera rendu public. Le frère de Mohamed, Mustapha, est rentré de Hollande pour apporter de l'aide à son frère qu'il a déjà vu en Espagne. Il s'est joint à sa famille pour donner sa version des faits dans une première interview à un journal dans le monde.
La Gazette du Maroc : quelles nouvelles avez-vous aujourd'hui de votre fils Mohamed Bekkali, arrêté en Espagne ?
- Mohamed Ahmed Bekkali : je ne suis pas allé le voir moi-même, mais sa sœur et son frère, qui est venu exprès de Hollande pour cela, ont fait le déplacement à Madrid pour s'enquérir de l'état de leur frère. On attendait avec beaucoup d'impatience et d'amertume cette occasion pour que l'un d'entre nous puisse aller à sa rencontre, le voir, lui dire comment nous allons, ce que nous avons vécu depuis son arrestation au lendemain des terribles attentats de Madrid. Cette visite signifiait beaucoup pour toute la famille qui est très unie. Le voir nous a enlevé un immense poids dû à l'ignorance de tout ce qui le concernait depuis ce maudit jour.
Comment sa sœur et son frère l'ont trouvé ?
- La sœur aînée : c'était terrible de le voir dans cet état. Je n'ai jamais imaginé voir mon frère derrière les barreaux. Je lui ai parlé à travers une vitre qui nous séparait, je n'ai pas pu me contenir, j'ai craqué malgré tous les efforts que je faisais pour ne pas céder. Vous savez, je m'étais préparée avant mon voyage à Madrid pour ne pas flancher devant lui sachant qu'il avait, lui, besoin de nous pour lui remonter le moral et le soutenir. J'ai pleuré à chaudes larmes, mais ce qui m'a le plus frappée c'était de le voir, lui, Si Mohamed pleurer. Je ne l'avais jamais vu verser de larmes de ma vie. Lui qui n'arrêtait pas de rire, lui qui était la joie de vivre de toute la famille, qui passait son temps à nous charrier, en train de se demander dans un profond désarroi ce qui se passait… C'était horrible à voir. C'était à moi de l'aider à tenir, à résister, imaginez-vous que c'est lui qui s'est mis à me rassurer pour que je ne pleure plus. C'est cela Mohamed, jamais il ne pense à lui avant les autres, sa vie entière il l'a vécue pour rendre les gens autour de lui heureux.
Qu'est-ce qu'il a dit précisément ?
- La sœur aînée : il a demandé des nouvelles de sa mère, l'être qu'il aime le plus au monde. Il m'a chargée de lui dire qu'il allait bien, qu'il était en forme, qu'il ne manquait de rien et que tout finira par s'arranger et qu'il était un homme qui va supporter cette dure épreuve. Il voulait à tout prix rassurer sa mère. Vous savez, chaque jour depuis son départ en Espagne il y a presque six ans, il appelait notre mère au moins une fois par jour pour lui parler. S'il savait qu'elle était fatiguée, il appelait plusieurs fois pour s'assurer qu'elle était allée voir le médecin, qu'elle avait pris ses médicaments et que tout se passait bien pour elle. De nous tous, il était le plus proche de notre mère, elle était sa vie et lui la sienne. Aujourd'hui, c'est une femme brisée mais qui croit en l'innocence de son fils.
La mère : je connais mon enfant, je sais qui il est, ce qu'il a dans le cœur. Je sais qu'il est innocent, de cela je ne me préoccupe pas même si le monde entier me dira le contraire. Il sait de son côté que j'ai confiance en lui et que je n'ai jamais douté de son honneur et de son intégrité. Il a mon amour et ma bénédiction et bientôt le monde entier saura qu'il a été injustement mêlé à cette sale histoire de meurtriers que lui-même condamnait avec fermeté.
Le père : il détestait tous ces barbus fous. Il ne supportait pas de les voir, il ne leur serrait même pas la main, comment peut-on imaginer une seule seconde qu'il ait pu frayer avec des personnes de
ce type ? Quand les attentats du 11 septembre 2001 avaient eu lieu, il était choqué, profondément touché par l'horreur et l'inhumanité des gens qui ont commis ces crimes. Il nous disait qu'ils n'étaient pas seulement fous, mais aussi nos ennemis à tous, parce qu'ils tuaient des innocents et voulaient semer le chaos dans le monde. C'était la même réaction après le 16 mai 2003. Il en a pleuré en nous parlant, il était malade de honte et de peur pour ce qui pouvait arriver dans notre pays.
Et l'Espagne ?
- La sœur cadette : c'est le pays qu'il aime le plus au monde après le Maroc. Toute sa vie, il a rêvé de partir en Espagne pour finir ses études, rencontrer ce peuple voisin. Il était bercé dans la culture hispanique du nord, il aimait le football espagnol et s'est même inscrit comme socio du Real Madrid. Pour lui, c'était un rêve réalisé. Dire aujourd'hui que c'est lui qui aurait pu faire du mal aux Espagnols est une absurdité qu'il ne peut pas supporter vis-à-vis de lui-même. Vous savez ce qu'il a dit à son frère ? : “ce qui me rend fou, c'est que j'ai toujours déclaré haïr le terrorisme et les extrémistes et aujourd'hui je suis accusé de terrorisme. C'est cela qui me tue. C'est cette injustice que je ne peux gérer. Je peux supporter tout, mais pas cela”.
Comment était-il plus jeune ?
- Le père : un amour de garçon. Très gentil, drôle, serviable et très communicatif. Dans le quartier, il était un exemple à suivre (vérification faite, plusieurs anciens amis d'enfance ont témoigné en affirmant qu'il était un garçon charmant et plein de vie et d'amour). Mon fils respirait la vie et le respect des autres, il n'a jamais de sa vie cherché une bagarre. Son temps il le passait entre les études, les matchs de foot et surtout les cours de musique au conservatoire de Tanger où il a appris à jouer de la guitare espagnole par amour à la musique de ce pays. En dehors de cela, il y avait les plages l'été en famille où on passait les trois mois de vacances au bord de l'eau avec ses sœurs et ses cousins et cousines. Il a toujours été blagueur, même très jeune, il faisait un peu le mariole pour nous faire rire.
La sœur cadette : il m'appelait une fois par jour d'Espagne pour me raconter la dernière blague, se moquer de moi et raccrocher. Il n'avait rien à dire, juste un coucou, une farce ou une devinette puis il coupe. C'est tout lui, cela.
La sœur aînée : il m'appelait à mon travail pour me demander ce qu'on avait fait à manger, ce qu'on avait dîné hier soir et si le couscous du vendredi était toujours bon. Il me parlait de notre vie comme s'il vivait avec nous.
Qui finançait ses études en Espagne ?
- Le père : c'est moi qui m'occupais des études de mon garçon. Il étudiait à l'université de Complutencia de Madrid. Je voulais qu'il soit docteur et qu'il me ramène un diplôme que je voulais accrocher dans mon magasin de tapis à Casa barata pour que tous mes amis le voient.
Je suis très fier de mon fils, de son parcours et de sa réussite, mais cette affaire est venue faucher ses rêves, mais ce n'est rien, il sortira et me fera le plaisir de voir ce diplôme encadré et accroché au mur. Je lui envoyais de l'argent pour vivre. Et un jour il m'a dit qu'il avait trouvé du travail pour nous aider. Je lui ai donné ma bénédiction et il a travaillé pour joindre les deux bouts et me décharger un peu.
La sœur aînée : vous savez le hasard des choses a fait que devant le magasin où il travaillait avant son arrestation, une nouvelle université venait d'ouvrir ses portes. Il s'y est inscrit pour décrocher son diplôme de docteur en physique. Vous pouvez trouver son nom parmi les étudiants de l'université.
Que dit-il aujourd'hui ?
- Le frère : il est plus serein malgré le fait qu'il soit très atteint moralement et psychiquement. Il sait qu'il n'a rien fait, qu'il est là pour des raisons d'enquête et que la police finira par le relâcher après avoir fait le tour de la question. Aujourd'hui, il se rend compte que l'affaire a pris d'autres pistes plus sérieuses où de véritables activistes sont accusés.
Lui, il est là parce qu'il travaillait chez Jamal Zougam, c'est la seule chose qu'ils aient sur lui et contre lui, si vous voulez, sinon aucune preuve ne peut aujourd'hui affirmer que Mohamed Bekkali a pris part à quoi que ce soit dans cette sale affaire.
Etait-il réellement associé à Jamal Zougam comme la presse espagnole l'avait écrit ?
- Le frère : pas du tout. Il était juste employé chez Zougam et Mohamed Chaoui. Il avait un salaire mensuel comme n'importe quel employé alors qu'on a voulu faire de lui un associé. Ce qui est un point important pour la suite de l'enquête. Vous savez, il était là à vendre des cartes et des téléphones, il faisait son boulot. S'il y a un problème à cause d'une vente quelconque, c'est au propriétaire qu'il faut s'adresser et non pas à celui qui a vendu le produit.
Est-ce qu'il vous a dit ce que Jamal Zougam a dit à la police ?
- La sœur aînée : oui, il l'a revu après avoir passé plusieurs jours seul. Car Zougam a été en isolement pendant 25 jours où il n'avait aucun contact avec aucun des individus arrêtés. Mon frère m'a dit qu'il avait posé la question sur ce qu'il leur avait dit et Jamal lui avait répondu qu'il avait déclaré à plusieurs reprises à la police que Mohamed Bekkali et Mohamed Chaoui n'avaient rien à voir avec ces histoires et que c'était une erreur de les détenir, eux, qui étaient des employés du magasin. C'est ce que mon frère nous a dit, mais comment savoir si Jamal l'a vraiment dit ou pas, je ne peux pas juger, mais mon frère semble croire ce que Jamal lui a dit et cela nous rassure davantage et nous donne encore de l'espoir de le voir s'en sortir.
Ne pensez-vous pas qu'il aurait pu se faire manipuler ?
- Le frère : jamais de la vie. Mohamed est un garçon très futé et très intelligent. On ne peut pas lui tourner la tête ni lui faire croire quoi que ce soit dont il n'est pas convaincu. En plus, il est très ferme sur ses principes et ne permet jamais à quiconque de venir lui dire ce dont il ne croit pas. S'il avait vu un seul signe chez Zougam lui mettant la puce à l'oreille, il l'aurait quitté sur le champ. Non, il savait avec qui frayer, qui fréquenter, avec qui parler et savait mettre un terme à toute chose qui pouvait représenter un danger pour lui et pour sa famille.
A-t-il parlé du traitement par la police espagnole ?
- La sœur aînée : oui, il a dit clairement qu'ils les avaient tous bien traités. Il m'a confié qu'ils ont été corrects avec eux sans jamais montrer quoi que ce soit de désagréable à leur encontre.
L'ont-ils torturé ?
- La sœur aînée : non. Il m'a juré que jamais aucun policier ni enquêteur ne lui a dit quoi que ce soit de déplacé ni posé la main sur lui.
Il m'a dit qu'ils l'avaient interrogé une fois et depuis rien du tout. Ils ont posé plusieurs questions pendant des heures, des questions sur tout : la religion, la vie, ses principes, ses connaissances et plein de choses puis ils le laissaient pendant cinq heures avant de revenir poser d'autres questions. Mais jamais de torture ni de coups.
Avait-il une amie en Espagne ?
- Le frère : oui, il avait une copine qu'il fréquentait depuis quelques années, avec laquelle il sortait. Elle travaillait dans une boulangerie à côté du magasin où il bossait. Ils n'avaient pas de projet de mariage, mais étaient bien ensemble.
Ils allaient tous les week-ends au cinéma et nous avons des preuves puisqu'ils avaient des réductions dans certaines salles.
Sa copine est là derrière lui avec toute sa famille qui a bien connu Mohamed et qui le croit innocent.
Sa copine demande à la justice espagnole de venir l'interroger sur lui , elle qui le connaissait depuis plus de deux ans et qui peut leur dire qui il était en réalité.
La police ne l'a jamais interrogée ?
- La sœur aînée : non jamais, et c'est bizarre. Elle le demande elle-même. Sa copine est allée plusieurs fois les voir et ils ont refusé de l'écouter.
Là elle est en train de trouver un moyen pour parler à des responsables voire des ministres et même Zapatero ou le Roi pour qu'on lui explique pourquoi on ne veut pas l'entendre sur ce qu'elle sait sur Mohamed.
Je l'ai vue là-bas, elle est toujours avec nous et voudrait même demander aux autorités de lui donner la possibilité de se marier avec lui, maintenant, en prison comme la loi espagnole le permet aux gens.
Cela prouve que cette femme espagnole croit en son innocence, autrement elle aurait été la première à le dénoncer.
Ce sont tout de même 200 Espagnols morts dans ces horribles attaques. Je voudrais juste que l'on m'explique pourquoi on ne veut pas l'entendre, elle, l'Espagnole, qui l'a bien fréquenté ?
Et qu'en pense votre frère ?
- Le frère : il trouve cela très bizarre et ne comprend rien à cette histoire. Pour lui, la justice espagnole l'a déjà fait.
C'est moi qui lui ai dit que jusque-là personne n'avait posé la moindre question à sa copine espagnole.
Et comment voit-il les prochains jours ?
- Le frère : il a peur qu'on le laisse en prison indéfiniment sans que l'on cherche à trouver la vérité sur les véritables criminels.
La sœur aînée : il m'a dit qu'il était sûr de sortir, mais il ne voulait pas qu'on l'oublie ici comme d'autres personnes arrêtées depuis des années et qui attendent qu'on vienne un jour les sortir de prison.
Il m'a demandé aussi si la presse marocaine avait dit des choses sur lui et s'il avait le soutien des Marocains.
Il compte beaucoup sur nous tous pour l'aider à s'en tirer car il est innocent.


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