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Et maintenant…?
Publié dans La Gazette du Maroc le 12 - 04 - 2004


Après la réélection de Bouteflika
Abdelaziz Bouteflika a été réélu avec 83,5 % des voix. Ses proches collaborateurs parlent déjà de changements dans la continuité. Ses opposants, candidats perdants en tête, affirment qu'ils ne baisseront pas les bras. Quoi qu'il en soit, l'Algérie est désormais entrée dans une nouvelle ère qui est assez délicate, malgré l'ahurissant triomphe du président sortant. Ce dernier, s'il veut réussir son deuxième mandat, il devra éviter le règlement de comptes politiques, et définir tout de suite et une fois pour toutes, son champ d'action… et celui de l'armée.
Alors que les médias locaux, comme étrangers, annonçaient une bataille serrée entre Bouteflika et son principal rival, Ali Benflis, les diplomates en poste à l'ambassade américaine à Alger, répètent depuis plus d'un mois à leurs interlocuteurs, qu'“il n'y aura pas un deuxième tour”. Et que tous les ingrédients ou presque sont réunis pour que le président sortant brigue son deuxième mandat. A savoir le retour des Algériens à revivre normalement en dépit d'un niveau de vie très bas, la reconnaissance par les Occidentaux, Américains et Français en premier, du régime algérien comme un allié fiable dans la guerre contre le terrorisme islamiste et enfin, l'augmentation spectaculaire des revenus des hydrocarbures qui ont permis de constituer un matelas de devises de 31,5 milliards de dollars, et de réduire la dette extérieure.
Néanmoins, ces diplomates – qui, semble-t-il, n'accordent pas une grande importance aux suspicions de fraude affichées par les concurrents de Bouteflika –reconnaissent que “mieux vaut une démocratie de façade” cautionnée par l'armée qu'une guerre civile consolidant les positions des courants islamistes radicaux qui finiront par menacer leurs intérêts dans l'avenir. Pour ce qui est des perspectives concernant l'environnement régional, ces diplomates estiment que le président réélu aura, sur le plan interne, du pain sur la planche. Ce qui l'empêchera d'avoir la tentation de repenser à l'idée de la puissance régionale. Et, de là, à éviter de provoquer les voisins, notamment le Maroc dans la question du Sahara. Et à un diplomate suivant de près ce dossier de dire : “nous pensons que le président algérien sait parfaitement mieux que quiconque qu'il serait inconcevable, dans les circonstances actuelles, de toucher à la stabilité de la région d'Afrique du Nord”. Dans ce même ordre d'analyse, d'informations et de position politique, ce même diplomate a laissé entendre que “Washington est persuadé que le président gagnant a bénéficié du soutien des généraux”.
Mis à l'épreuve
Devant l'étranger, dont ses observateurs ont donné satisfecit à la transparence des élections, Bouteflika, qui, une fois réalisée cette majorité écrasante face à ses adversaires, devra dorénavant avoir les mains beaucoup plus libres qu'auparavant. Surtout que le cours des élections et ses suites ont révélé l'existence d'une alliance, tacite certes, entre la présidence et les symboles de la grande muette, y compris la sécurité militaire. Cela dit, les soubresauts des dernières semaines n'étaient en réalité que des fumées visant à masquer l'essentiel.
Maintenant après son retour en force avec fidèles et arrivistes, quelles seront les perspectives dans le court terme ?
A cet égard, on apprend de sources concordantes que les chancelleries occidentales ont d'emblée fait savoir qu'elles ne toléreront en aucun cas l'émergence d'un désir de revanche, en d'autres termes, de règlement de comptes vis-à-vis de la presse qui, en majorité, était contre la réélection, ou envers ses opposants politiques. “Ce qui était applicable dans les précédentes décennies ne l'est plus aujourd'hui”, a indiqué un haut responsable au Quai d'Orsay. Malgré ce fait, les connaisseurs du symbole de l'Algérie des années 70, de sa mentalité, de son tempérament coléreux craignent qu'il ne puisse s'adapter facilement aux changements intervenus dans le monde, plus particulièrement en ce qui concerne la tolérance politique et l'oubli du désir de revanche.
Sur ce point, Abdelaziz Belkhadem avait précisé à “La Gazette du Maroc” en marge du Sommet 5+5 tenu à Tunis début décembre dernier que le président algérien va donner, au cas où il serait réélu, l'exemple de la bonne gouvernance à ses pairs arabes et montrer aux Occidentaux – qui ne cessent de donner des leçons en matière de démocratie, de multipartisme et des droits de l'homme – que l'Algérie réussissant à mettre fin à sa sale guerre, est capable de résoudre ses problèmes internes aussi bien politique que socio-économique. Pour les proches collaborateurs, notamment les technocrates, Bouteflika n'a que trois soucis majeurs : s'attaquer aux problèmes sociaux (chômage, logement, éducation et santé), ce grand casse-tête, assainir le secteur bancaire et financier qui entachent toujours l'image de l'Algérie, empêchant les investisseurs de s'engager dans le programme de privatisation et poursuivre la voie de la concorde civile, seule garantie contre le retour du terrorisme islamiste.
Concernant ce dernier volet, indispensable à la concrétisation des deux premiers, le président algérien est parfaitement conscient que rien dans ce domaine ne pourra se faire sans l'aval et la participation efficace de l'armée.
De ce fait, il ne pourra que composer avec elle. Et que les spéculations des uns et des autres sur une contre-attaque contre l'institution militaire qui l'avait écarté lors de la succession de Boumediène, restent inconcevables.
Car, en dépit d'une neutralité sans précédent, allant jusqu'à adopter un profil très bas, la grande muette pourra surgir à tout moment, sortir ses griffes et lui compliquer la tâche et la vie. C'est pourquoi les “sages” qui entourent Bouteflika, notamment son conseiller, le général à la retraite Larbi Belkheir – artisan de sa victoire et canal privilégié avec l'armée – ne cessent de le conseiller de contenir sa “colère glacée” qui perdure depuis son écartement en faveur de Chadli Benjedid.
Parmi les épreuves auxquelles il sera confronté dès les premiers jours, montrer qu'il n'y a pas eu de fraudes, temporiser sa victoire, calmer ses troupes et éloigner les plus “arrogants” ainsi que les membres de sa famille – plus particulièrement son frère Saïd – du devant de la scène. Pour céder la place aux figures conciliantes tels que Abdelaziz Belkhadem ou le ministre de l'Energie, Chakib Khélil.
Dans les perspectives
Les proches collaborateurs, interrogés par La Gazette du Maroc sur les premiers défis auxquels sera confronté Bouteflika, préfèrent parler de programme, des engagements à honorer, de perspectives, et surtout des bonnes intentions. Mais ce qui semble les préoccuper le plus, c'est la “récupération” définitive du FLN précisément après le coup d'Etat avorté, dirigé par Abdelkader Hajjar. Le président algérien veut, à tout prix, mettre la main à nouveau sur cet édifice historique et symbolique, et le renforcer plus tard. Car, il ne compte plus rester dépendant d'un parti qu'il ne contrôle pas. C'est-à-dire, celui de son Premier ministre, Ahmed Ouyahya. Simplement parce qu'il ne veut plus voir se reproduire le même scénario de Benflis avec le FLN.
Toutefois, cette récupération risque de ne pas être une promenade de santé, et ce, malgré l'échec cuisant de son ennemi juré qui n'a pu obtenir que 7,9 % des voix. La crainte d'être accusé de règlement de comptes l'obligera probablement à utiliser la méthode douce, rusée, pour s'emparer de cette forteresse qui sera, d'après lui, censée jouer le même rôle central d'antan dans la vie politique de l'Algérie.
Dans ce même ordre de perspective, l'armée demeure une énigme même si elle a accepté de jouer le jeu et de cautionner Bouteflika au point de fermer les yeux sur des cas de fraude et d'abus de pouvoir lors de la campagne électorale.
Si certains généraux véhiculent depuis des mois l'idée que l'armée se concentrera désormais sur l'amélioration de son professionnalisme au détriment de son implication dans le politique, les analystes estiment que cette institution ne pense guère céder son rôle aux politiques, notamment au président de la République.
En effet, les généraux aspirent à un rôle similaire semblable à celui qui existe en Turquie. C'est-à-dire, être le garant de la République qui, à tout moment, peut intervenir dans la politique, écarter l'exécutif y compris le chef de l'Etat. Cet exemple d'establishment en Algérie a apparemment la bénédiction de Washington. Ce qui laissera en quelque sorte voire en fin de compte les mains de Bouteflika liées.


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