Le dialogue des cultures Ce texte est la synthèse d'une conférence faite le 27 février 2004, à l'Institut français de Casablanca, dans le cadre d'un colloque international, organisé par le Centre de recherches méditerranéennes de l'Université Hassan II. Le dialogue des cultures est un thème récurrent qui nourrit désormais la réflexion dans toutes les grandes conférences internationales. D'autant que, d'une manière générale, la dynamique culturelle, dans quelque pays que ce soit, ne peut plus se concevoir sans une intégration dialectique –nécessairement mondialisée et impérativement assumée et non subie- des nouvelles technologies issues de la révolution numérique sous ses multiples dimensions industrielles : informatique, télécommunicationnelle, audiovisuelle… C'est ce qui explique sans aucun doute l'implication sans réserve des Nations-Unies dans un projet grandiose qui a réuni à Genève, du 10 au 12 décembre 2003, quelque 16.000 délégués venus de tous les pays, en vue de la préparation du “sommet mondial sur la société de l'information”, envisagé à Tunis en 2005 (infra). Tant il est vrai que, des trois grandes révolutions culturelles qui ont changé de fond en comble la face du monde à savoir, l'écriture, l'imprimerie et le numérique- c'est cette dernière invention qui semble, le plus, modifier les approches cognitives et étendre instantanément ses tentacules sur toute la planète, au bénéfice des plus forts et au détriment des plus faibles. Un tel décalage à l'intérieur des Nations en général et entre le Nord et le Sud en particulier, ne cesse de produire ce qu'il est convenu d'appeler une “fracture numérique”, qui joue ainsi le rôle de miroir et d'interface d'une “fracture culturelle” susceptible de peser de tout son poids sur le dialogue des cultures. Ce questionnement incontournable, dont la trame est constamment traversée de controverses, ne peut donc faire l'économie d'une interrogation prospective qui plonge ses racines dans une actualité insaisissable, caractéristique de ce troisième millénaire. En effet, alors que le monde industrialisé avance à pas de géant dans ses acquisitions technologiques les plus prometteuses comme les plus destructrices, les deux-tiers sinon les trois-quarts de l'humanité peinent encore à faire face aux besoins de première nécessité : sanitaires, nutritionnels, éducatifs, sociaux et culturels. Bien que ce dernier besoin revête parfois un caractère symbolique, il n'en constitue pas moins le ciment autour duquel s'agglomèrent ou butent tous les autres, dont l'apparence en fait un révélateur d'une fracture Nord-Sud généralisée à laquelle le numérique ne peut échapper. On peut se demander cependant en quoi la fracture culturelle constitue-t-elle un interface de la fracture numérique ? Pourquoi la culture, en tant qu'émanation symbolique de l'expression humaine dans ses fondements matériels et intellectuels, psychologiques et éthiques, façonne-t-elle les comportements sociaux ? Et dans quelles conditions peut-elle se développer ou se régénérer pour promouvoir une dynamique salvatrice, structurer les personnalités et endiguer les dérives afin de lutter plus efficacement contre toutes les fractures, et plus particulièrement la fracture numérique ? Ce sont là quelques questions qui méritent sans doute un débat particulier, nourri de multiples apports, avant de pouvoir y répondre aussi objectivement que possible. Dans ces conditions, devons-nous considérer la culture comme un simple révélateur d'une situation et nous contenter d'en prendre acte ? Ou bien peut-on concevoir la culture comme un régulateur ancestral capable par sa dynamique de forcer le destin si les femmes et les hommes qui la produisent en prennent conscience ? Dans un cas comme dans l'autre, la culture paraît comme un talon d'Achille sur lequel tout peut s'écrouler mais aussi comme un enjeu déterminant autour duquel tout peut se construire. Non seulement une solidarité numérique est nécessaire, mais il faut aussi une reconnaissance mutuelle bien comprise, et en particulier une intégration Nord-Sud au sens large, qui ne peut se concevoir toutefois qu'à travers une combinaison de plusieurs facteurs : une volonté commune liée à un partenariat dans l'engagement politique, une égalité dans l'échange économique, une convivialité sociale mieux partagée et une réciprocité langagière qui – soustraite au sens unique imposé par les cultures dominantes - résisterait à l'épreuve du temps et aux intérêts mercantiles… Bio-sommaire de l'auteur Ahmed Moatassime a exercé des fonctions d'enseignement bilingue arabo-français à tous les degrés de l'éducation au Maroc, élémentaire, secondaire et supérieur, avant d'effectuer de nombreuses missions internationales d'éducation comparée dans différents pays du Tiers-monde. Il est Docteur en sciences de l'éducation, Docteur en sciences politiques et Docteur en sciences humaines et sociales (Sorbonne). Il est vice-président de l'Institut méditerranéen de la culture et de la communication à Paris. Il est aussi professeur honoraire des universités au Maroc, chercheur honoraire au CNRS et directeur de recherches doctorales à la Sorbonne. Biblio-sommaire de l'auteur - Arabisation et langue française au Maghreb, Paris, PUF, 1992. - Francophonie/Monde arabe : un dialogue est-il possible ? Paris, l'Harmattan 2001. - Langages du Maghreb face aux enjeux culturels euro-méditerranéens (à paraître). - De nombreuses études et recherches publiées dans différentes revues internationales.