Question du Sahara Toutes les positions des différents intervenants dans la question du Sahara ont évolué ou varié au fil des ans. Seule l'attitude de l'Algérie est restée figée. Alors que le Maroc affine ses propositions relatives à une large autonomie, les élections présidentielles en Algérie, en avril prochain, annoncent-elles un quelconque déblocage ? A la suite d'un rapport, au ton jugé “plus mesuré”, de Kofi Annan, le Conseil de sécurité de l'ONU devait avaliser vendredi dernier, le nouveau délai de trois mois accordé au Maroc pour fournir sa réponse concernant le plan Baker II et qui aura pour échéance la fin avril. Loin de toute pression ou de toute forme d'ultimatum, ce nouveau délai s'inscrit dans la nouvelle équation qui, depuis septembre dernier, privilégie la recherche d'une solution de compromis négociée à l'échelle régionale, entre le Maroc et l'Algérie. Cette nouvelle approche est consacrée par le dernier rapport de Kofi Annan qui ne lie plus le report à “l'application du plan Baker II”, mais à “la poursuite de consultations”. La dissolution de la Commission d'identification de la Minurso confirme aussi l'enterrement de l'option du référendum. Après les entretiens qui ont eu lieu, en septembre, à Washington entre le roi Mohammed VI et le président George Bush, les arguments avancés par le Maroc ont mis en évidence les risques que comportait le plan Baker II et la nécessité d'une solution négociée puisque la voie référendaire était totalement dans l'impasse. Depuis, aussi bien les Européens et notamment la France, que les responsables américains, Colin Powell et William Burns, ont nommément invité le Maroc et l'Algérie à trouver la voie d'une solution négociée. Les Marocains n'ont cessé depuis d'attirer l'attention de leurs interlocuteurs au sein de l'ONU sur le fait que seule l'attitude de l'Algérie et du Polisario restait figée. On a en effet au cours des dernières années vu le représentant du secrétaire général onusien, James Baker, présenter deux propositions différentes dont la première avait été accueillie favorablement par le Maroc et la seconde rejetée. Les Etats-Unis qui semblaient, en juillet dernier, vouloir faire pression pour imposer le plan Baker II ont assoupli leur position et disent comprendre que “le dossier du Sahara est sensible pour le Maroc”. Ils seraient attentifs à tout rapprochement entre Alger et Rabat, tant il est évident que la question du Sahara ne peut être assimilée à un simple cas de décolonisation ou d'autodétermination, puisqu'à sa source l'implication des deux pays maghrébins voisins est patente. Evolutions manifestes L'évolution de la position de l'Europe est illustrée notamment par celle de la France qui connaît parfaitement tous les aspects de cette question. Historiquement, au moment où elle était encore puissance colonisatrice en Algérie, elle avait combattu l'armée de libération marocaine au Sahara occidental aux côtés des forces coloniales espagnoles, lors de la mémorable opération Ecouvillon. Ce n'est donc pas un hasard si la France joue de son influence pour favoriser une négociation maroco-algérienne. Il n'est jusqu'à la position de l'Espagne qui ne connaisse aussi une certaine évolution alors qu'auparavant, en raison des différents dossiers litigieux qui l'ont opposée au Maroc, elle prenait systématiquement parti pour les thèses algéro-polisariennes. L'Espagne, consciente aussi de l'impasse référendaire et de l'inextricable écheveau des réalités tribales au Sahara et des tensions historiques entre les Etats maghrébins, admet davantage aujourd'hui que la dimension algéro-marocaine du problème doit être prise en compte dans toute recherche sérieuse d'une solution. Faut-il considérer aussi qu'au sein même du Polisario, des évolutions ont pu se produire, provoquant des divisions au sein de la direction dont plusieurs membres ont, depuis, rejoint le Maroc. L'attitude du Maroc a aussi fortement évolué puisqu'elle adhère aujourd'hui au principe de large autonomie régionale au Sahara dans le cadre de la souveraineté nationale. C'est dans cet esprit que les propositions du Maroc ont été davantage affinées et qu'une délégation marocaine les a évoquées avec James Baker et avec des responsables américains. “Le Maroc est prêt à aller très loin dans ce sens, expliquent les diplomates marocains. Nul tabou tant que le cadre de la souveraineté marocaine est admis comme préalable”. Le Maroc s'est montré disposé à favoriser les contacts téléphoniques et les échanges de visites familiales entre les villes sahariennes et les camps de Tindouf alors que l'Algérie essaie de les limiter et multiplie les obstacles. Les avancées en matière de démocratisation et de droits de l'homme, et la reconnaissance de la diversité linguistique et culturelle sont avancées par le Maroc comme autant de facteurs prédisposant à une formule d'autonomie régionale où les spécificités seront reconnues et un mode de gouvernance très souple institué. Rigidité algérienne Les propositions marocaines mettent ainsi l'accent sur les garanties d'un développement démocratique autonome en lieu et place d'un conflit voué à l'impasse et dont les victimes resteront surtout les populations sahraouies confinées dans les camps de Tindouf. Qui aurait intérêt à voir s'éterniser une telle situation ? On imagine mal que même les plus irréductibles dirigeants du Polisario refusaient la perspective d'une autonomie avec de larges garanties si l'Algérie donnait son aval à cette dernière. Contrairement aux affirmations d'Alger ce n'est pas le Polisario qui conditionne la position algérienne mais bien l'inverse. Si les positions de l'ensemble des intervenants dans la question du Sahara ont peu ou prou évolué, on est bien forcé de constater que seule la position algérienne ne varie pas. Les motivations de cette invariance ont des racines historiques complexes et sont liées à la nature même du régime algérien. Elles relèvent d'une mémoire bloquée sur des clivages et des incompatibilités largement dépassés et qui peuvent être surmontés aisément pour peu que la volonté y soit mise. L'attitude selon laquelle il faut contenir le Maroc, en l'enchaînant à un problème sans fin où il va s'épuiser, s'est révélée être un faux calcul. Pourquoi le pouvoir à Alger s'y est-il cependant rivé en en faisant une constante de son positionnement ? Alors que les diverses justifications affichées (appui aux mouvements de libération nationale, tiers-mondisme, etc) sont en lambeaux, restent surtout les crispations internes de ce pouvoir largement contesté en Algérie et ne pouvant opérer sa mutation démocratique. Les élections présidentielles prévues en avril prochain ne semblent pas encore annoncer de changements probants sur ce plan. C'est ainsi qu'une vive confrontation oppose le président-candidat Abdelaziz Bouteflika à l'ensemble de la classe politique à propos de la régularité de la compétition électorale. Alors qu'un “front anti-fraude” a été constitué le 12 janvier dernier par des représentants de courants différents et même opposés pour dénoncer la “vassalisation” de l'administration et de la justice et la “confiscation” des médias audiovisuels par Bouteflika, l'armée affiche une “attitude de neutralité” à laquelle personne ne croit. D'un côté, l'armée laisse à Bouteflika la supériorité de l'appareil d'Etat, de l'autre le général Lamari confie à des journalistes que “si un président touche à l'ordre républicain, il trouvera l'armée devant lui”. Quel que soit le scénario envisagé, l'armée veut garder son rôle central. La question de la démocratisation réelle de l'Etat et de la société en Algérie se trouve aussi au cœur de l'attitude vis-à-vis de la question du Sahara. Davantage que pour le Maroc, cette question est un test significatif pour l'Algérie. Sera-t-elle au rendez-vous en avril ?