Historique d'un accord Le 7è round des négociations pour la conclusion d'un accord de libre-échange (ALE) avec les Etats-Unis s'est achevé la semaine dernière à Rabat. Ce round supplémentaire est présenté comme le dernier avant de parapher le projet final prévu fin janvier/début février 2004. Quant à la signature officielle de l'ALE, elle est programmée pour fin avril/début mai entre S.M. le Roi et George Bush, la loi américaine exigeant un délai de 90 jours après son dépôt devant le Congrès pour la signature protocolaire. Jusqu'à l'ultime round, deux secteurs posaient problème. Le textile, d'abord, où les Américains ont cependant fini par accepter d'assouplir leur position sur la question de la règle d'origine pour l'accès à leur marché. L'agriculture, ensuite, où malgré l'acceptation du principe d'une période de transition d' “ au-delà de 10 ans ” pour protéger sa céréaliculture et son élevage, le Maroc est acculé à élaborer d'urgence un programme de réformes structurelles. Un défi qui apparaît difficile à relever du fait des pesanteurs à tous les niveaux du monde rural marocain face à la déferlante américaine. La décision de conclure un accord de libre-échange entre le Maroc et les Etats-Unis a été annoncée officiellement le 23 avril 2002, à l'occasion du voyage de S.M. le Roi aux Etats-Unis. Les deux chefs d'Etat, S.M. Mohammed VI et le Président George W. Bush, donnèrent alors des instructions fermes aux membres de leurs gouvernements respectifs afin de concrétiser le projet dans les meilleurs délais. La première importance de cette décision réside dans le fait que le Maroc deviendra ainsi le 5e pays dans le monde et le 2e sur le plan arabe, à signer un accord de libre-échange avec les Etats-Unis. En effet, seuls le Canada, le Mexique, Israël et la Jordanie sont actuellement liés par un accord similaire. C'est dire la place privilégiée que le Maroc occupe dans la stratégie géopolitique de la première puissance mondiale. Après une phase de préparation, les négociations ont démarré sur les chapeaux de roue en janvier 2003. Du côté marocain, le dossier a été confié à Taïeb Fassi Fihri, ministre délégué aux Affaires étrangères et à la Coopération, désigné coordinateur et interlocuteur principal des autorités américaines. Du côté des Etats-Unis, c'est Catherine Novelli, sous-secrétaire d'Etat au Commerce américain, qui fut chargée de mener les négociations. Pour des considérations de politique intérieure américaine certainement, on fixa fin 2003 comme date limite. L'année suivante étant en effet consacrée à la course aux présidentielles américaines et l'administration Bush ne cache pas sa volonté de brandir le trophée de l'ALE avec le Maroc lors de la campagne électorale. L'intervention du Premier ministre Les négociations furent programmées en 6 cycles se déroulant alternativement à Washington et à Rabat. Le calendrier initial fixait le mois de décembre 2003 comme date limite pour la conclusion de l'ALE. Ce rythme tranche évidemment avec les habitudes européennes qui s'aménagent de larges perspectives de réflexion. Donc rien à voir avec les délais proposés pour l'accord de libre-échange euro-méditerranéen, qui a démarré en 1995, et qui s'est fixé l'objectif de 2012. Soit sept ans contre 1 an pour l'accord avec les Américains. Tout le long de l'année 2003, les négociateurs ont joué le jeu et réussi à suivre le rythme imposé. Mais les négociateurs marocains, et c'est tout à leur honneur, ont stoppé lorsque des dossiers sensibles ont été abordés. Cela a été le cas pour le textile et, surtout, pour le secteur agricole. Ce dernier dossier en particulier est remonté jusqu'au Premier ministre qui a réuni une commission ministérielle pour fixer les lignes rouges à ne pas dépasser. Quant au secteur du textile, Driss Jettou a directement associé les responsables de l'AMITH aux négociations. Signalons que la problématique des droits de propriété intellectuelle et industrielle a également soulevé quelques divergences, vite aplanies, notamment au niveau de la fabrication des génériques dans l'industrie pharmaceutique. Les Marocains auraient bien aimé tergiverser quelques années encore, mais les Américains poussaient pour une conclusion immédiate de l'accord. Jettou décida donc de se rendre aux Etats-unis pour sensibiliser les hauts responsables américains aux contraintes marocaines. Et son voyage ne fut pas inutile. Puisqu'il est parvenu à convaincre les hautes autorités américaines de demander à leurs négociateurs d'accorder une oreille plus attentive aux doléances marocaines. Du moins sur le volet agricole où l'ouverture des frontières à l'agriculture extensive américaine risque effectivement de déstabiliser le Maroc. Le détail des dernières négociations n'a pas encore été rendu public et des consignes très strictes ont même été données aux responsables de l'administration marocaine concernés de s'interdire de communiquer la moindre information à la presse au sujet de l'ALE. A deux semaines de sa conclusion, il semble qu'on redouble de précaution pour éviter tout dérapage. Ce qui ne nous empêche pas d'essayer d'évaluer l'impact de cet accord sur l'avenir de notre pays. Cet exercice ne peut toutefois être pertinent si on ne prend pas en considération les aspects politiques de l'enjeu. Ce sont d'abord des considérations politiques qui ont poussé les Américains à se rapprocher davantage du Maroc puisque leurs échanges avec notre pays atteignent à peine 0,06 % de leur commerce extérieur. Faut-il divulguer à ce sujet les informations parvenues de Washington selon lesquelles, jusqu'à la dernière minute, la Tunisie a fait des mains et des pieds pour faire savoir aux Américains qu'elle était prête à signer tout de suite, en acceptant toutes leurs conditions, le projet d'ALE proposé au Maroc ? En vain. Les Américains n'ont pas choisi le Maroc par hasard. Ils ont constaté en effet que, comparativement, même si nous continuons de souffrir de certains dysfonctionnements sur le plan économique, les avancées sont réelles sur le plan de la consécration des droits de l'homme, de la réforme de la Justice, du Code de la famille. ..Des critères qui comptent beaucoup du point de vue américain. Par ailleurs, au niveau économique, le Maroc devrait servir de plate-forme aux Américains pour aller à la conquête des marchés de l'UE, situés à proximité, de même que des pays africains. L'ALE a ainsi pris la place de l'initiative Eisenstadt qui visait la constitution du marché du Grand Maghreb restée lettre morte à cause de l'entêtement de l'Algérie à refuser de résoudre le contentieux du Sahara avec le Maroc. Enfin, du côté marocain, les répercussions de l'ALE seront également positives même si elles ne sont pas quantifiables à court terme, du moins. Outre la mise en valeur des potentialités économiques et les perspectives ouvertes devant les entrepreneurs marocains, l'ALE constitue un encouragement aux réformes engagées par le Maroc, à l'amélioration de l'environnement des affaires et à la mise à niveau des cadres juridiques et réglementaires. En un mot, comme l'a résumé Margaret Tutwiller, l'ex-ambassadrice des Etats-Unis à Rabat, “les bienfaits de cet accord sont plus importants que ses handicaps !”. Les négociations furent programmées en 6 cycles se déroulant alternativement à Washington et à Rabat. Le calendrier initial fixait le mois de décembre 2003 comme date limite pour la conclusion de l'ALE.