Le printemps de l'égalité commence à poindre à l'horizon après une longue période de mauvais temps. Les réformes introduites par S.M le Roi au code de la Moudawana concrétisent, en effet, le rêve des Marocaines de pouvoir jouir d'une vie décente à tous les niveaux. Nous avons choisi d'évoquer une réforme en particulier : la pension alimentaire. Que prévoit le nouveau Code de la famille dans ce sens ? Et quelles sont les améliorations apportées à l'ancien texte de loi ? Telles sont les questions auxquelles nous essayerons de répondre… L'accélération de la procédure de règlement des questions liées à la pension alimentaire et la création du Fonds de solidarité familiale ont été parmi les réformes marquantes qu'a apportées le nouveau Code de la famille. En effet, ces modifications viennent résoudre les grands problèmes que rencontraient les femmes lorsqu'elles cherchaient à réclamer leur pension alimentaire. Souvent, ces femmes étaient incapables devant la lenteur de la procédure et la difficulté, d'obliger le conjoint ou l'ex-conjoint à payer le montant fixé par le juge. Actuellement, le nouveau code stipule que le délai en vue d'accomplir toutes les procédures ne doit pas dépasser un mois. Autre apport remarquable dans le volet de la “Nafaka” (la pension alimentaire) c'est la création du Fonds de solidarité familiale dont le projet a déjà été soumis au Secrétariat général du gouvernement. D'après le ministère de la Justice, ce fonds renforcera la position de l'enfant du divorce en lui accordant des droits qu'il n'avait pas auparavant. Ils s'agit de donner aux enfants de la femme divorcée, dont l'ex-compagnon refuse de verser une pension alimentaire, la possibilité d'avoir une pension alimentaire mensuelle régulière. Le Fonds remplace en quelque sorte le père défaillant qui ne veut (peut) pas payer. Le montant de cette pension sera le même que celui fixé par le juge et qui normalement devait être payé par l'ex-mari. Ce fonds sera attaché à la Caisse nationale de solidarité sociale qui sera chargée de payer les mères de ces enfants et en même temps de poursuivre le père transgresseur. Par ailleurs, il sera financé par une partie des revenus qu'encaisse l'Etat sur les timbres et les frais de légalisation de documents dans les municipalités, en plus du budget que l'Etat a prévu dans ce sens et qui sera appuyé par les dons des bienfaiteurs. Il est à rappeler que l'objectif de cette caisse est la protection du noyau de la famille, surtout la femme et les enfants du manque de responsabilité du mari. La pension alimentaire : (article 115 à 132 du code) La pension est définie selon l'ancien Code du statut personnel et des successions comme étant l'obligation de l'entretien de l'épouse par le mari. Ainsi, cet entretien comporte le logement, la nourriture, l'habillement, les soins médicaux dans une mesure normale et tout ce qui est habituellement considéré comme indispensable. Par conséquent, en cas de refus de la part du mari de pourvoir aux charges d'entretien qui lui incombent, la pension alimentaire sera accordée à la femme par jugement à partir de cette date. Le juge tiendra compte donc, lors de la fixation du montant de cette pension des ressources du mari, de la situation de l'épouse et du cours des prix. Aucune pension alimentaire n'est prévue pour les ex-époux lorsque le divorce est définitif. Il s'agit d'une conséquence du régime de la séparation des biens entre époux : chacun repart avec ce qu'il avait au départ. Une simple compensation est versée lorsque la femme est répudiée. Cette compensation est fonction de la richesse de l'homme, de la situation de la femme et éventuellement de son préjudice. Par contre, les enfants du divorce auront droit à une pension alimentaire. “Plutôt la prison…je ne paye pas !” Ce sont des femmes condamnées au supplice de l'attente. Leur seul “péché” est d' avoir choisi de crier à l' injustice. Maltraitées voire battues par leurs maris, une minorité seulement parmi elles osent se rebeller et quitter le domicile conjugal pour réclamer ensuite devant la justice un de leurs droits les plus élémentaires : la pension alimentaire. Cependant, la lenteur de la procédure judiciaire et les dépenses qu'elle nécessite, obligent la plupart de ces femmes à abandonner la bataille avant son issue ou, au meilleur des cas, d'attendre … Attendre qu'un “miracle” oblige le mari à subvenir à une partie des besoins de sa femme et à ceux de ses enfants en cas de divorce …Pour rencontrer ces femmes, nous avons visité le centre d'écoute “Nejma” relevant de l'Association démocratique des femmes du Maroc et les deux tribunaux de Rabat …Témoignages. “Lorsque la vie en couple devient impossible, le seul moyen de s'en sortir reste la séparation, malheureusement chez nous c'est à partir de là que les vrais problèmes commencent, car la loi marocaine soutient toujours l'homme au détriment de la femme !” explique Fatima, une quinquagénaire que nous avons rencontrée au tribunal de première instance de Rabat. L'histoire de cette femme est difficile à croire mais c'est une histoire vraie ! “Tout a commencé le jour où je me suis mariée, il y a 24 ans déjà. C'est une grave erreur que j'ai commise alors et j'en paye encore le prix jusqu'à maintenant”, se désole-t-elle. Fatima s'arrête et marque un temps. Elle fixe le vide comme pour rattraper des souvenirs qui lui ont échappé, ou qu'elle a refusé d'évoquer depuis longtemps pour ne pas retourner le couteau dans la plaie. Après un long moment, elle enchaîne : “j'avais à l'époque 26 ans et je venais de commencer à travailler comme infirmière, je voyais encore la vie en rose. Durant cette période, plusieurs personnes se sont présentées pour demander ma main mais je refusais. J'avais peur de vivre la même chose que ces femmes dont j'entendais parler avec pudeur à l'époque. Ces femmes battues ou répudiées que la société marginalisait et taxait de mauvaises et insouciantes et je n'ose pas dire pire… qui a dit qu'un jour j'en ferai partie !” Fatima s'arrête encore, cette fois juste pour laisser échapper un rire mélancolique, mais elle reprend vite, probablement parce qu'elle a tellement de choses à raconter :“en tout cas pour éviter ces problèmes j'ai choisi d'épouser mon cousin qui travaillait à l'époque en France. Tout semblait bien marcher au début. Mais après le mariage rien n'allait plus. J'ai découvert que mon mari était esclave de l'argent. Son but dans la vie était d'accumuler les sous. Dès fois, il partait 3 mois sans me laisser un centime et quand il rentrait, il me tendait 50 Dh ! Cela a duré 6 ans. A la fin, n'en pouvant plus, j'ai quitté la maison avec mes deux garçons âgés respectivement de 5 ans et 2 ans. J'ai ensuite déposé une plainte contre lui pour négligence de la famille et demandé une pension alimentaire pour moi et mes enfants. Le procès a traîné trois années durant lesquelles je dépensais chaque mois tout mon salaire pour payer l'avocat, les huissiers pour lui acheminer la convocation …etc. Entre temps, lui, passait son temps à amasser l'argent en France. Au bout de ces trois ans, la justice a finalement admis que mon mari ne viendrait jamais assister à aucune des séances du procès et le jugement a été enfin prononcé. Un jugement qui m'a conduite à passer 2 jours à l'hôpital à cause d'une dépression nerveuse car le juge nous a fixé 5 dirhams chacun pour la journée, soit 450 Dh le mois et 5.400 Dh l'année. Ceci, parce que je ne suis pas arrivée à justifier le montant de son salaire mensuel. A cet instant je ne voulais plus rien de lui, même pas son argent, alors j'ai demandé le divorce qui dans ce cas est accordé pour absence du mari. Mais il est revenu (le mari) pour prouver sa présence et a demandé même le retour à “ bayt taâ ” (le domicile conjugal). Et contrairement à tout le temps que j'ai dû attendre pour mon procès contre lui, il a obtenu gain de cause en l'espace de trois mois et j'étais obligée de revenir au domicile conjugal avec mes enfants ”. Fatima s'arrête encore. Mais cette fois c'est l'émotion qui lui coupe la parole. Le sentiment d'injustice est si fort qu'elle ne peut que verser des larmes pour soulager un peu cette peine qui pèse tant sur la poitrine et empêche parfois la personne de respirer. Elle reprend enfin : “je suis revenue donc au domicile pour subir mon sort avec mes enfants. Je savais très bien que mon mari ne cherchait qu'à se venger de moi. A mon retour j'ai trouvé la maison vide. Il avait tout déménagé. Il n'a même pas laissé une chaise. Rien. Il avait tout calculé, il savait que je ne pouvais pas supporter de vivre dans cette situation. Il m'a donc demandé d'abandonner la pension alimentaire que je réclamais si je voulais revenir à la maison de mes parents. Forcément, j'ai accepté. Mais il refuse obstinément de divorcer, je lui ai même proposé de l'argent pour me répudier selon les dispositions du divorce “khol” (la répudiation moyennent une compensation), mais il a refusé et il refuse toujours. Son but est de faire durer cette situation le plus longtemps possible pour que je reste ni mariée ni divorcée… Amina… La souffrance de cette femme si dure soit elle n'est pas unique, d'autres femmes vivent la même situation mais de manière différente. Amina n'a que 25 ans, pourtant à la voir on croirait qu'elle a vingt ans de plus. L'histoire de cette femme est aussi absurde que la première. “A l'âge de 22 ans j'ai été violée par le fils de nos voisins qui n'avait à l'époque que 25 ans et pour éviter la prison, il a accepté de m'épouser, c'est-à-dire de signer l'acte de mariage devant tout le monde pour que les autres voisins et ma famille sachent que je suis mariée. Le jour même, il m'a ramenée à la maison de mes parents et je ne l'ai plus revu en sachant qu'il a un magasin de cassettes et CD audio dans le quartier où j'habite. Lorsque je suis partie le retrouver, il a juré ses grands dieux de me faire souffrir parce que je l'ai obligé à m'épouser et de me laisser “suspendue entre ciel et terre” (traduction littérale) sans divorce. J'ai porté plainte contre lui pour négligence de la famille alors le juge m'a accordé 300Dh le mois parce que je n'ai pas pu présenter de document prouvant son véritable salaire. Mais mon soi-disant mari refuse même de payer cette somme dérisoire juste pour se venger de moi. Cela fait maintenant trois ans qu'il n'a pas payé un centime. Actuellement, il me doit 9.800 Dh mais au lieu de payer, il a préféré aller en prison non parce qu'il n'avait pas d'argent mais juste parce qu'il a juré que je ne toucherai jamais ses propres sous. Mais moi je ne veux plus de son argent, je veux juste divorcer, je suis prête pour cela à tout lui abandonner et même à lui donner de l'argent.” Amina termine sa triste histoire en éclatant en sanglots. Leïla… Leïla, en revanche, se considère chanceuse par rapport aux autres femmes car elle n'a pas vécu le supplice de l'attente. Son mari l'a répudiée dès qu'elle a demandé le divorce. “Je crois qu'il n'attendait que cela. Il ne cherchait qu'un prétexte pour me répudier, mais je suis heureuse qu'il l'ait fait, de toute façon les choses ne marchaient plus entre nous depuis longtemps. Le problème c'est que mon ex-mari refuse de payer la somme d'argent fixée par le juge comme pension alimentaire pour mon fils et qui ne dépasse pas 500 Dh par mois. Depuis le jour du jugement, il n'est jamais venu rendre visite à son fils âgé aujourd'hui de six ans. Cela fait quatre ans maintenant que je le poursuis en justice pour l'obliger à payer ce qu'il nous doit mais il s'entête dans son refus tout en sachant que son enfant a rejoint l'école primaire et que cela nécessite des frais. D'autant plus que je ne travaille pas et donc je n'ai aucun moyen pour subvenir à ses besoins. Actuellement, ce sont mes parents qui nous prennent en charge, et je suis consciente qu'ils ne le feront pas éternellement. C'est pour cette raison que j'ai commencé à chercher n'importe quel travail. Cela prendra du temps, mais je finirais sûrement par trouver une offre intéressante. Le hic c'est que le père de mon fils est un gendarme, c'est-à-dire un homme d'autorité qui normalement doit veiller au respect de la loi, mais il préfère être convoqué devant le tribunal militaire et être condamné à deux mois de prison plutôt que de payer la pension de son fils unique ! ” finit-elle par lâcher, furieuse ! Il reste à dire que ces histoires, si invraisemblables soient-elles, ne représentent qu'un petit échantillon de la souffrance que vivent quotidiennement nombre de femmes aux quatre coins du pays. Une souffrance qui les ronge en silence. La question qui se pose avec acuité à présent est : s'il est relativement facile de changer les lois, comment faire pour changer les mentalités ? Quatre questions à Fatiha Ramah, membre du centre d'écoute Nejma pour la formation, le conseil, l'information et l'assistance juridique “Une course sans fin…” Battues et expulsées du domicile conjugal par leurs maris, des femmes se trouvent dans la rue sans ressources et sans aucune information sur leurs droits. Le centre d'écoute Nejma essaie de leur apporter un soutien pour les orienter. La Gazette du Maroc : quel est le profil des femmes qui recourent à votre centre d'écoute ? Fatiha Ramah : on peut classer ces femmes dans trois catégories. D'abord les femmes qui ont été expulsées du domicile conjugal après avoir été battues et torturées par leurs maris. A leur départ de la maison, elles ne savent plus quoi faire. Quelqu'un leur communique notre adresse et elles contactent l'association pour demander une assistance juridique avant d'entamer une procédure devant la justice. La deuxième catégorie concerne des femmes incapables de se défendre. En général, elles sont très fragiles et des fois elles viennent dans un état critique après avoir supporté longtemps la violence du mari, certaines n'arrivent même pas à parler les premiers jours. Ces femmes cherchent surtout dans ce centre une oreille qui les écoutera de manière “professionnelle” pour pouvoir les orienter et des personnes pour les consoler et les encourager à réclamer leurs droits devant la justice. Enfin, la troisième catégorie est composée de femmes ayant traversé plusieurs étapes. Cela dit, elles ont déjà poursuivi leurs maris en justice pour réclamer leur pension alimentaire ou juste celle de leurs enfants en cas de divorce, et qui ont même obtenu gain de cause mais n'ont pas réussi à faire exécuter le verdict parce que le mari change constamment de domicile ou juste parce qu'il préfère aller en prison que de payer. Dans certains cas, en effet, la femme peut traquer le mari quinze ans, voire vingt ans sans baisser les bras et, dans ces situations, le tribunal finit par l'orienter vers un centre d'écoute en l'absence de cellules d'écoute judiciaires spécialisées. A votre avis, pourquoi le mari refuse de payer une pension alimentaire qui souvent représente une somme modeste ? On ne peut continuer à se voiler la face. Soyons lucide. Personne ne peut nier le fait que le bras de la justice est court lorsqu'il s'agit de chercher le mari pour l'obliger à payer ce qu'il doit à sa femme. C'est donc à l'épouse de jouer le rôle de détective privé pour trouver le mari afin de permettre à la procédure judiciaire de suivre son cours.Cette recherche peut durer parfois dix ans ou quinze ans durant lesquels la femme est obligée de dépenser tout son argent. Cela, sans parler de la lenteur des actions juridiques au Maroc. Un procès de pension alimentaire peut prendre des années avant qu'un jugement soit prononcé. Mises à part les failles de la loi, il y a aussi le problème de l'absence des valeurs et principes. A votre avis, que peut-on attendre d ‘un mari qui préfère être condamné à une peine de deux à trois mois de réclusion pour ne pas payer, et je vous assure que ces cas sont très fréquents. La victime dans toutes ces situations reste la femme qui se retrouve en général perdue et des fois même sans domicile fixe, surtout quand elle ne travaille pas. Certaines de ces femmes en sont arrivées à tendre la main pour subvenir aux besoins de leurs enfants. D'autres ont préféré travailler comme des domestiques pour pouvoir gagner quelques sous mais, en même temps, elles étaient obligées de laisser à la rue la tâche d'éduquer leurs enfants… Combien de cas traitez-vous chaque année ? Y a-t-il des statistiques disponibles à ce sujet? En fait cela est relatif. Pour le mois dernier, par exemple, on a reçu 38 cas de femmes victimes de blessures. Aujourd'hui on a eu six appels de femmes résidant dans différentes villes du pays. On ne peut séparer les statistiques des femmes victimes d'agression physique de celles réclamant une pension alimentaire, parce que souvent ce sont des cas “composés”, c'est-à-dire qu'une femme peut être agressée parce qu'elle a porté plainte pour négligence de la famille et a demandé au même temps sa pension alimentaire, ce qui fait qu'on ne peut pas dissocier les cas. Pour répondre à votre deuxième question, je peux dire que les statistiques réalisées au niveau de la ville de Rabat par le Centre "Nejma" de consultation juridique relevant de l'Association Démocratique des Femmes du Maroc (ADFM), durant la période allant de 1997 à juin 2003, ont révélé que le nombre de femmes ayant été victimes d'une agression physique de la part du conjoint ou de l'ex-conjoint et qui ont eu recours au centre, a atteint 267 cas, tandis que celui des femmes ayant réclamé une pension alimentaire s'élève à 219 cas et des femmes expulsées du foyer conjugal à 116 cas. Par ailleurs, le nombre de plaintes déposées par des femmes pour abandon par l'époux du foyer conjugal a atteint 54 cas, pour la non-reconnaissance des enfants 31 cas, l'expulsion du foyer conjugal après répudiation 12 cas, le retour forcé au foyer conjugal 11 cas et le partage des biens après divorce 28 cas. Mais ces statistiques ne peuvent être prises comme repère parce qu'elles ne sont pas représentatives. La plupart des femmes préfèrent souffrir en silence par crainte du regard de la société. Certaines même subissent la violence du mari sans même pouvoir quitter la domicile par peur de rencontrer l'indifférence de leur propres familles. Qu'est-ce que vous pensez du futur Fonds de la solidarité familiale ? Je pense que c'est un pas énorme vers plus d'égalité entre l'homme et la femme et qu'il a beaucoup tardé à voir le jour. Notre espoir est de savoir qu'il verra bientôt le jour car il est devenu pour pas mal de femmes, surtout celles sans ressources financières, une véritable lueur qui s'annonce à l'horizon. Chaque jour des femmes viennent me demander la procédure pour s'y inscrire, et les documents nécessaires. Certaines même n'hésitent pas à revenir chaque semaine pour avoir plus d'informations à ce propos et pour s'assurer que ce n'est pas un mirage…